Les subventions à la culture attribuées en fonction du nombre de billets vendus
La ville de Prague inaugure un nouveau système de subventions à la culture, un système basé notamment sur le nombre de billets vendus. Ecoutons à ce sujet Yvona Kreuzmannova, fondatrice du célèbre festival international de danse Tanec Praha, et conseillère du Ministre de la Culture de la République tchèque, Ondrej Hrab, directeur du théâtre Archa, et Milan Richter, Adjoint à la culture pour la ville de Prague.
Tout a commencé avec un procès, comme le raconte le directeur du théâtre Archa, théâtre du centre de la capitale :
« La ville, après que le propriétaire d'un des théâtres commerciaux de Prague a porté plainte auprès de la Cour européenne de Strasbourg, a interrompu le processus de subventions. Nous sommes actuellement, au théâtre Archa, face à un problème de taille : nous sommes au mois de novembre, notre subvention pluriannuelle s'achève le 31 décembre, et nous ne savons pas ce qui nous attend. »
Le directeur du théâtre Archa, théâtre indépendant financé à 50% par des subventions de la ville de Prague, exprime son mécontentement face à un système mis en place dans l'urgence :
« Il est absolument exclu qu'une politique culturelle naisse en trois semaines. Ce document est né en réalité d'un problème politique, d'une confrontation entre des organisations à but non lucratif et d'autres à but commercial. Ce document cherche un compromis pour atténuer les tensions, mais il ne définit pas une vision; ce n'est pas un document qui s'intéresse réellement au rôle de la culture dans la vie de la capitale. »
Le nouveau système proposé par la ville de Prague ne soulève pas que la question de sa propre création. Deux grandes nouveautés voient le jour : un quart des subventions seront attribuées sur la base d'une accréditation sur des critères quantitatifs, en fonction du nombre de billets vendus. Autre première dans la vie culturelle de la capitale, 20% des subventions seront réservées aux projets des étudiants des écoles d'art et des jeunes artistes de moins de 35 ans. Le reste des subventions sera traditionnellement attribué aux collaborations internationales et aux subventions pluriannuelles - 4 ans au maximum.
L'Adjoint à la culture de la mairie de Prague, Milan Richter, explique sa position, quant aux subventions attribuées sur critères quantitatifs :
« La ville de Prague donne à la culture chaque année 900 000 000 de couronnes, combien de citoyens ont vu la couleur de cet argent? Donc je pense que la seule voie à suivre est la subvention par rapport au nombre de billets vendus, ce qui veut dire que le théâtre sait combien il aura de spectateurs et donc à quelle subvention il peut s'attendre ; et le Pragois sait combien il a reçu de la ville de subvention de son propre argent, puisqu'on parle ici de l'argent de tous... »
Yvona Kreuzmannova, fondatrice du célèbre festival de danse Tanec Praha, se pose la question de l'application d'une telle idée :
« La subvention au billet, c'est un système incomparable avec ce que je connais de l'Union Européenne, alors, il faut voir si ça marche ou pas, il faut attendre vraiment l'exploitation pratique, je ne peux pas imaginer comment ils vont le compter, je ne peux pas imaginer comment ça va marcher avec les organismes qui sont créés avec le but non lucratif et ceux qui sont créés pour le profit, alors là il faut faire la différence, et je vais voir comment ils vont développer les détails. »
Au-delà de la réalisation pratique de cette accréditation, le directeur du théâtre Archa, lui, interroge la raison de cette formule :
« Ce n'est pas une subvention pour l'artiste, mais pour le spectateur, qu'il aille voir une comédie musicale, une pièce de théâtre de qualité ou de la danse contemporaine... Aucune spécificité n'est prise en compte, qu'il s'agisse d'une spécificité sociale, artistique, économique, de l'identité juridique de l'organisation : ça, je pense que c'est un cas unique en Europe, sans équivalent dans la politique culturelle moderne. »
Autre nouveauté : le soutien accru aux projets artistiques d'étudiants ou de jeunes artistes. La conseillère du Ministre de la culture exprime ses réserves :
« La question des jeunes n'est pas une nouveauté, on a toujours soutenu la création des jeunes artistes qui sortent de l'école ; maintenant, le système s'ouvre également aux étudiants des écoles artistiques. Je n'en suis pas 100% convaincue, parce que ce sont des systèmes qui se croisent un peu avec l'éducation et les systèmes éducatifs. Alors il faut bien voir, est-ce que ça ne se croise pas trop, est-ce que ça ne donne pas plus de possibilités pendant les études qu'après la sortie de l'école, et je ne parle pas de la maturité. Quand les étudiants sortent de l'école, ils font quelques projets, ils ont 35 ans et ils sortent de ce système : qu'est-ce que ça veut dire ? Si ça mange trop d'argent, ça peut vraiment avoir une influence très négative sur le développement des arts professionnels. »
La conseillère du Ministre de la culture note cependant un progrès dans le nouveau système de répartition des subventions de la ville de Prague à la culture : c'est la composition de la commission qui décide de l'attribution de ces subventions, défendue par l'Adjoint à la culture Milan Richter :
« Les experts de la commission critiquaient le fait que siégaient à cette même commission les politiques, qui ne comprennent pas les enjeux de la politique culturelle de la ville, la nouvelle commission sera composée uniquement d'experts. Elle sera présidée par un politique sans le droit de vote, et sera composée de 12 experts. Chaque année, un tiers de la commission sera remplacée, cette rotation a pour but de limiter l'influence des affinités personnelles entre les artistes et la commission. »
Yvona Kreuzmannova salue ce changement :
« Jusqu'à présent le comité qui décidait des subventions, ou recommandait les subventions de la ville, était composé moitié moitié d'experts et de politiciens ; avant, il y a deux ans, on n'avait que les politiciens. Maintenant le nouvel adjoint a la culture est arrivé avec un système qui suit les recommandations de l'Union européenne et de plusieurs politiques culturelles en Union européenne, c'est-à-dire que le comité devrait être composé d'experts, uniquement d'experts, et les politiciens doivent suivre la recommandation des experts. Là je trouve vraiment le progrès énorme parce que les experts doivent être nominés par les organisations professionnelles, c'est-à-dire par les professionnels eux-mêmes. Ainsi on peut espérer une évaluation des systèmes de subventions de la ville beaucoup plus profonde et beaucoup plus professionnelle. »
De nombreuses questions restent ouvertes, comme celle des subventions par le biais de « partenariats », toujours opaques, ou celle des organisations publiques aux revenus certains: la question de ces organisations, une centaine dans la république, et qui représentent 95% du budget pour la culture en République tchèque, concerne tout le pays...
Plus d'informations dans une prochaine édition, avec Yvona Kreuzmannova, conseillère du ministre de la Culture de la République tchèque.