Le cas Bohême

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La Bohême fut-elle un modèle de tolérance religieuse et nationale ? Toute réponse rapide serait nécessairement simpliste et pourtant l'histoire est éloquente : les Juifs de Bohême-Moravie, qu'ils se soient installés à Prague au Xe siècle ou au XVIIIe siècle, ont moins souffert des persécutions que leurs correligionnaires d'Europe occidentale.

Tout d'abord, les pays Tchèques comptent peu de pogroms. On se souvient de débordements et d'agressions contre des Juifs lors des troubles hussites, mais ceux-ci intervenaient dans un contexte de trouble politique intense où les dignitaires catholiques étaient finalement les premiers visés.

Surtout, le royaume médiéval de Bohême ne connaîtra pas d'expulsion massive, comme c'est le cas en Angleterre et en France au XIIIe siècle. Au contraire, les Premyslides puis le roi Luxembourg Charles IV placeront systématiquement la communauté juive sous leur protection. En France par exemple, les résultats sont nets : à la Renaissance, il reste très peu de Juifs autochtones sur le territoire.

Luther lui-même, fondateur du protestantisme et d'une confession persécutée, était connu pour son antisémitisme, aussi virulent qu'appartenant à son époque. Luther prétend ainsi qu'en Bohême, des Juifs tenteraient de convertir des protestants de Bohême, certains fêtant même le Sabbat et s'étant fait circoncire. Un constat plutôt étonnant quand on sait que le prosélytisme est totalement étranger aux habitudes des Juifs ! Ecoutons Luther dans un discours qui n'a rien à envier aux grands totalitarismes du XXe siècle : «Je ne puis pas convertir les Juifs ; notre Seigneur le Christ n'y a pas réussi : mais je peux leur fermer le bec, de manière qu'il ne leur restera qu'à rester étendus par terre. »

En 1670, l'impératrice d'Autriche, Marie-Thérèse, décide à son tour d'expulser les 1 400 Juifs de Vienne. La synagogue de Vienne est transformée en église et consacrée à Saint-Léopold, margrave et patron d'Autriche. Une mesure inspirée par le confesseur de Marie-Thérèse, un fransiscain espagnol, mais qui répond surtout aux voeux des Viennois, traditionnellement antisémites.

La Bohême et plus encore la Pologne donnent asile aux Juifs exilés en ces temps troublés. Doit-on à ce titre parler d'un modèle de tolérance dans ces deux royaumes durant les époques médiévales et la Renaissance ? Le témoignage de Comendoni, légat pontifical, lors d'un voyage en Pologne en 1565 est éloquent : «Dans ces régions, les Juifs ne sont pas méprisés comme ils le sont ailleurs. Ils ne vivent pas dans l'abaissement et ne sont pas réduits aux métiers vils. Ils possèdent des terres, s'occupent du commerce, étudient la médecine et l'astronomie (...). Ils ne possèdent aucun signe distinctif et on leur permet même de porter les armes. Bref, ils disposent de tous les droits de citoyen. »

Une situation qui n'est pas sans rappeler l'âge d'or de l'Espagne des trois religions, modèle unique de tolérance religieuse en Europe jusqu'à l'expulsion des Juifs d'Espagne à la fin du XVe siècle.

Le courant humaniste, qui imprègne, tardivement mais sûrement, la Bohême contribue également, dans une certaine mesure, au dialogue entre religions pour reprendre un terme très employé aujourd'hui. Membre de l'Eglise des Frères, une branche du protestantisme tchèque, le seigneur morave Charles de Zerotin, pose comme nécessité la maîtrise des langues antiques, le latin, le grec mais aussi l'hébreu. Au milieu du XVIe siècle, l'Eglise des Frères adopte ces préceptes humanistes. Dans la même lignée, Jan Blahoslav préconise de lire les textes religieux, Bible et Evangiles, dans la langue d'origine. Il proposera d'ailleurs de traduire les textes religieux en tchèque à partir du texte original.

Sous l'Ancien Régime, les Juifs tchèques vivent donc en relative harmonie en terres tchèques. La Moravie compte d'importantes communautés, comme Mikulov ou Trebic, qui rayonnent culturellement sur les plus grandes communautés juives d'Europe.

A Trebic, les Juifs vivent dans un quartier séparé depuis le Moyen-Age, quartier dont la frontière naturelle est, au sud, la rivière Jihlava. Mais fait notable, le ghetto n'est institué qu'en 1723. Les Juifs de Trebic avaient d'ailleurs de bonnes relations avec les évêques d'Olomouc, les brimades venant épisodiquement des seigneurs locaux.

La visite du cimetière Juif de Trebic apporte d'autres éléments : sur certaines pierres tombales figurent en effet des enseignes évoquant les métiers des défunts. Et l'on peut voir des livres pour l'enseignement, des instruments de médecine ou encore de musique. Ceci tendrait à prouver que les Juifs n'étaient pas cantonnés dans des activités de prêt à intérêt, comme c'était le cas partout ailleurs en Europe.