En République tchèque, l’antisémitisme stagne, mais change de contenu
Comme chaque année, la Fédération des communautés juives de République tchèque a publié son rapport sur l’état de l’antisémitisme dans le pays. Depuis deux décennies, en effet, la Fédération assure un suivi annuel qui comptabilise le nombre de discours, oraux ou écrits, ou d’actes antisémites. Conclusion du rapport pour l’année 2015 : si les opinions antisémites tendent à stagner, leur contenu connaît des évolutions.
C’est, selon elle, essentiellement internet qui est le réceptacle de ces discours de haine, et surtout les réseaux sociaux, même s’il existe quelques maisons d’édition liées à des mouvements d’extrême-droite qui proposent des traductions de textes nazis. Il s’agit, dans la plupart des cas, de rééditions de livres antisémites plus anciens mais aussi de nouveaux textes négationnistes.
Pour Tomáš Kraus, secrétaire de la Fédération des communautés juives du pays, la République tchèque reste toutefois relativement épargnée par les sentiments antisémites. Mais les formes que prennent ces derniers semblent changer selon lui :
« Il faut dire que dans l’ensemble, la République tchèque s’en sort plutôt bien. On enregistre environ le même nombre d’incidents de ce type pour 2015 qu’en 2014. Mais ce qui est inquiétant, c’est une certaine tendance lié au caractère de ces incidents. L’an dernier, nous avons enregistré pour la première fois des tentatives de boycott d’événements liés d’une manière ou d’une autre à l’état d’Israël. La République tchèque avait été, jusqu’alors épargnée par ce mouvement présent en Europe de l’Ouest. L’an dernier, par exemple, il y a eu des tentatives pour essayer de boycotter, voire empêcher la tenue du festival Les Journées de Jérusalem. »Parmi les autres phénomènes observés par la Fédération dans son rapport, une inflexion du discours vers une nouvelle forme de théorie conspirationniste, qui rendrait responsables les Juifs de l’actuelle vague de migration vers l’Europe. Veronika Šternová, responsable des questions sécuritaires au sein de la Fédération des communautés juives de République tchèque :
« En 2015, notre rapport indique que les théories conspirationnistes, en tant que sujets d’articles sur des sites web ou les réseaux sociaux, sont en première position. Dans la plupart de ces théories, apparaît cette nouvelle idée que les Juifs seraient responsables de l’islamisation de l’Europe et que ce serait pour eux une façon d’affaiblir l’Europe avant de prendre le pouvoir. Il s’agit en fait de la récupération et de la réadaptation d’une idée ancienne, selon laquelle les Juifs cherchent à affaiblir les pays avant de prendre le pouvoir. »Paradoxalement, et en parallèle de ces nouvelles formes d’expression de l’antisémitisme, la Fédération observe aussi un déplacement de certains discours : si les Juifs, tout comme les Roms d’ailleurs, étaient il y a quelques années encore, les boucs émissaires privilégiés de divers groupuscules extrémistes, les manifestations islamophobes semblent avoir quelque peu pris le dessus en lien avec la crise migratoire, comme l’explique Veronika Šternová :
« Evidemment, les discours antisémites subsistent. Mais ce nouveau thème de l’islam, de la crise migratoire, arrive en première position parce que grâce à cela, les groupes extrémistes ont réussi à toucher un plus large éventail de la population. Nous avons pu l’observer l’an dernier au cours de différentes manifestations : après des années de stagnation, ces manifestations ont attiré bien plus de monde. Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément d’extrémistes, mais ce sont souvent des gens qui ont tout simplement peur et à qui on n’a pas assez expliqué ce qui se passe. Les groupes extrémistes en profitent et font de la récupération à des fins politiques. »A noter enfin que les données de la Fédération sur le suivi des discours et actes antisémites en République tchèque peuvent différer de celles d’autres institutions, comme de la police par exemple. Cette dernière ne prend en effet en compte que les actes qui tombent sous le coup de la loi : ainsi selon le rapport du ministère de l’Intérieur, la police tchèque a enregistré 47 délits de ce type en 2015, soit deux de plus qu’en 2014.