Manon Lescaut, une héroïne de tous les temps
Manon Lescaut, la belle du roman de l'abbé Prévost, doit sa popularité actuelle à deux compositeurs, Jules Massenet et Giacomo Puccini. C'est l'opéra de ce dernier, une Manon « vériste », qui sera présenté à l'Opéra d'Etat de Prague. L'histoire de cette jeune femme qui aimait passionnément sans pouvoir se départir de ses faiblesses, revivra sur la scène grâce au chef d'orchestre italien Marco Zambelli et au metteur en scène slovaque Jozef Bednarik.
Marco Zambelli voit dans cet opéra de jeunesse déjà une oeuvre accomplie de Puccini :
« Tout en respectant les autres opéras de Puccini, il faut dire que Manon est l'opéra dont la qualité dominante est le lyrisme. Un lyrisme quasi insupportable. Dans cette période-là, Puccini, qui était toujours un compositeur très curieux et très touché par ce qui se passait dans le monde musical, est revenu à lui-même. Très influencé par la France, Claude Debussy et Paul Ducas, Puccini a subi dans cette période une profonde influence wagnérienne. Nous nous trouvons donc face à un fait tout à fait absurde : un opéra complètement italien avec une musique influencée par Wagner. Mais nous ne pouvons pas nous tromper : ce n'est pas du Wagner, c'est uniquement du Puccini. »
Jozef Bednarik est sans doute une personnalité incontournable du théâtre slovaque mais il travaille aussi bien souvent en Tchéquie. Manon Lescaut l'accompagne depuis sa jeunesse :
« J'avoue que, jeune, j'étais amoureux de la Manon de Massenet. Il me semblait, c'est peut être une profanation que je vais faire maintenant, que cet opéra avait un peu le genre de comédie musicale. C'était comme une série de chansons qui alternaient avec la prose, tout cela se déroulait à Amiens, à Paris au Havre et cela me convenait beaucoup. J'aimais aussi la langue française, les quatre premiers opéras que j'ai montés étaient des opéras français. Mais dans la mesure où je mûrissait, disons franchement vieillissais, je découvrais que la Manon de Puccini m'était plus proche. Pour Puccini c'est un drame des passions, il a laissé « les menuets » à part pour évoquer la grande passion, la passion désespérée qui m'est plus proche aujourd'hui. Avec l'âge je penche pour les choses sérieuses et Puccini est un auteur sérieux, quand il est désespéré, il l'est vraiment. Et c'est surtout cette qualité, cette brutalité, ce « vérisme », si vous voulez, qui me convient mieux aujourd'hui. » Comme il fallait s'y attendre, la conception de Jozef Bednarik n'aura rien d'orthodoxe. Il refuse de reléguer Manon seulement au XVIIIe siècle et au cours de l'opéra son héroïne traversera donc les âges pour devenir à la fin notre contemporaine.« Je procède de façon classique. Manon ne change pas. Ce ne sont que les costumes et les milieux qui changent. Pourquoi ? Je pense qu'il est bon de montrer que Manon n'est pas une image rococo, une histoire baroque. Ce n'est pas que l'histoire de l'abbé Prévost. Manon est parmi nous, Manon vit parmi nous, Manon travaille, Manon tombe, Manon meurt et Manon aime, toujours. Il ne faut pas trop moraliser. Mesdames, spectatrices dans la salle, choisissez ... »
Ceux qui désirent voir l'histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, revue et corrigée par Jozef Bednarik, surnommé « le magicien de la scène », ont la première possibilité, ce jeudi, à l'Opéra d'Etat de Prague (Statni Opera).