Le mécénat : une tradition tchèque
Quand on parle aujourd'hui culture en Europe, on parle aussi de politique culturelle et de subventions. Le soutien financier à l'art n'est pourtant pas nouveau puisqu'il s'est traduit de longue date, et particulièrement en Bohême, par le mécénat. Retour sur une tradition tchèque, qui va bien au-delà de la culture.
En se faisant mécène, Rodolphe II obéit certes à un intérêt sincère. En 1595, il confirme, par une lettre de Majesté, les privilèges de la corporation des peintres. Mais ce faisant, il se conduit aussi en véritable prince humaniste, perpétuant la tradition du mécénat, véritable obligation pour un roi de la Renaissance digne de ce nom. Ferdinand Ier n'avait pas fait autre chose, de même que Philippe II à l'Escorial.
Rodolphe lui-même se sera fait représenter de différentes manières. Sous forme de portraits ou encore en prince typique de la Renaissance, mode néo-antique: on le voit en armure, couronné de lauriers ou entouré de figures allégoriques symbolisant une illustre descendance.
Rodolphe II acquiert des Titien, des Dürer ou des Brueghel, qu'il installe dans la Chambre des Arts, et notamment dans la Salle espagnole. Il demandera même à ce que «La Madone des Roses», de Dürer, soit transporté à dos d'homme plutôt qu'en calèche, depuis Venise. La plupart de ces oeuvres d'art seront pillées lors de la Guerre de Trente Ans.
L'action de Rodolphe n'en aura pas moins permis de former des artistes locaux, à une époque où la diffusion des idées et des arts n'est pas aussi facile qu'aujourd'hui. Couleur, composition, modèles, les peintres tchèques disposent à la Cour de la matière nécessaire à l'étude. Les peintres tchèques du premier baroque, comme Karel Skreta, sauront en profiter.
L'imagerie populaire a retenu la légende du roi mystique. Pourtant, Rodolphe II a surtout fait de Prague un centre culturel important en Europe. Pour cela, il a su s'entourer d'artistes de valeur en leur offrant une position à la Cour ainsi que des revenus importants. Position sociale en anoblissant, comme le peintre d'Anvers Bartholomeus Spranger. L 'Italien Giuseppe Arcimboldo, anobli en 1560, se verra même décerner le titre de comte palatin pour ses célèbres «Vertumnus», portraits de Rodolphe II en forme de fruits et de fleurs. Parmi les artistes célèbres passés à la Cour de Rodolphe II, citons aussi le sculpteur de La Haye Adrian de Vries.
Du XVIIe au XIXe siècle, le mécénat s'élargit peu à peu, en même temps qu'il épouse l'évolution sociale et politique des siècles. Après le mécénat du Prince, voici, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le mécénat des grands nobles. Dans ces deux cas de figure, il s'agit avant tout d'exalter sa propre puissance.
Au XIXe et au début du XXe siècle, la tradition du mécénat se développe mais surtout, son but est désormais d'affirmer l'indépendance de la nation tchèque.
Prague est alors à l'avant-garde de l'Europe en matière architecturale. Loin de signifier un repli sur soi, la période voit l'ouverture totale de la Bohême à l'Europe. Peintres et architectes tchèques sont formés à Vienne ou à Paris.
Les banques tchèques, qui s'imposent peu à peu face aux banques de Vienne, deviennent de grands mécènes collectifs, en passant commande, pour leurs propres édifices, aux architectes et décorateurs tchèques. La Banque Régionale est ainsi conçue par Oskar Polivka dans un style néo-Renaissance. A l'intérieur, Max Svabinsky a peint deux allégories du Commerce et de l'Industrie dans le style Art nouveau.
La municipalité de Prague se fait également mécène actif. Elle encourage ainsi l'édification de sculptures dédiées aux grands hommes de l'histoire tchèque. Ainsi la célèbre statue équestre de saint Venceslas par Myslbek, actuellement en haut de la place Venceslas. Myslbek illustrera également les grands mythes tchèques, avec ses sculptures de Libuse et de Premyslide le Laboureur, dans les jardins de Vysehrad. Citons enfin la statue de Jan Hus, par Saloun en 1915, sur la place de la Vieille-Ville.
C'est également la mairie de Prague qui est à l'origine de la magnifique Maison municipale, construite de 1905 à 1911 par Balsanek et Polivka. C'est un lieu de représentation et de sociabilité, avec ses salles de concerts et ses salons luxueux. Mais c'est aussi un véritable symbole de la future indépendance, à une époque où l'élément tchèque a supplanté l'élément allemand à Prague. Dans la salle du maire, Alfons Mucha a peint, sur le plafond circulaire, l'envol du faucon, allégorie de l'essor de la nation tchèque.
Parfois, ce sont même des particuliers qui pratiquent un mécénat prestigieux. Grand collectionneur, le chevalier Von Lanna finance la construction du musée des Arts et Métiers sur les bords de la Vltava, sur l'actuelle place Jan Palach. L'Ecole des arts et métiers de Prague sera la première en Europe avec celle de Vienne. Sa réputation dans l'affiche ou la verrerie prévaut encore aujourd'hui.