Bruno Lorenzi : « Le lecteur de la bande dessinée est tout autant actif que le dessinateur. »
La bande dessinée belge est un phénomène très particulier. On connaît la passion des Belges pour cet art à la limite entre la littérature et le dessin. Depuis quelque temps, la Délégation de Wallonie-Bruxelles à Prague présente cet art spécifique aux Pragois. Actuellement, on peut voir dans les locaux de la Délégation une exposition des oeuvres d'un trio de jeunes auteurs de BD qui poursuivent et développent à leur manière l'art illustré jadis par Hergé. La semaine dernière je vous ai présenté deux d'entre eux, Marie Richter et Sébastien Thielens. Aujourd'hui, je vous propose une rencontre avec le troisième membre du trio, Bruno Lorenzi. Ce jeune blond qui a un faible pour la culture asiatique et qui apprend le japonais et le chinois, a étudié la bande dessinée à Liège et à Naples. Avec d'autres dessinateurs, il a créé la revue Loozine qui marie l'art et le sens des affaires et lance de jeunes auteurs.
Comment expliquez-vous l'engouement des Belges pour la bande dessinée?
« Pour être précis, historiquement, c'est de l'Amérique que les comics sont venus en Belgique. Pendant la guerre, l'Allemagne a interdit l'importation des comics américains, donc ce sont des auteurs belges, notamment Jijé, qui ont du par exemple dessiner la moitié et même quasiment l'entièreté du journal de Spirou. Donc des auteurs belges ont été formés durant et après la guerre pour faire les bandes dessinées en partie à cause des Américains, en partie à cause des Allemands. Pourquoi la BD est si populaire en Belgique sur le plan culturel ? J'aurais du mal à le dire. Peut-être parce que la Belgique est un pays assez hybride avec des parties néerlandophone, francophone et germanophone et que la BD est un art à mi-chemin entre la littérature, le cinéma et la peinture. »
Qu'est ce que la bande dessinée représente pour vous ? Est-ce que c'est un moyen d'expression idéal?
« Un moyen d'expression idéal? Il a ses défauts, mais c'est celui dans lequel je me sens le mieux. J'aime beaucoup lire, mais le dessin, le visuel c'est quelque chose que j'apprécie beaucoup. Il y a le moyen de faire passer énormément de choses. La bande utilise plusieurs canaux d'expression, l'écriture, le dessin et aussi l'absence d'image. En fait le principe de la bande dessinée, ce qui est très intéressant, c'est que vous composez une histoire entre une image et une autre. Par exemple vous avez une image d'un homme qui se ballade dans la rue et la deuxième image le montre par terre assommé. Et entre les deux cases vous pouvez vous imaginer tout ce que vous voulez. Dans certains cas on s'imagine que le dessinateur a dessiné des cases qu'on ne retrouve pas dans une bande dessinée. Le lecteur est tout autant actif que le dessinateur. »
Dans le cadre de cette exposition, on peut voir une série de vos dessins. Pouvez-vous nous présenter les petits héros de votre bande dessinée ?
« Et bien ce sont les noms assez compliqués, Cander et Ladilach. Ils ont tous les deux un physique de peluche. Le premier est bleu et ressemble à une sorte de gros lapin avec un oeil, une sorte de cyclope avec de très longues oreilles plus ou moins de sa longueur. Et le second, Ladilach, ne ressemble à rien. (Rires.) Non, il est vert et à mi-chemin entre la tête d'oreiller et la grenouille. Leurs caractères sont assez complémentaires. Il y en a un qui a un esprit carré, qui est très solide tout autant physiquement que mentalement, tandis que l'autre est très perspicace, il devine beaucoup de choses. Il est un peu comme les surdoués, il ne se sent pas à l'aise dans le monde, il se sent déprimé. Et j'aimerais bien raconter l'évolution de cette relation-là dans un univers qui est un peu le reflet décalé de notre univers à nous où chaque individu à un physique très particulier. C'est pour représenter la forte individualité qui est en chacun d'entre nous, qui va au-delà de l'appartenance à une population... Enfin ce projet embrasse beaucoup de choses, il est difficile d'en parler en quelques mots. »
Est-ce que ce projet fera partie d'une série ou de plusieurs livres de bandes dessinées?
« Si c'est possible j'aimerais bien en faire une série... Ces deux personnages s'ennuient dans ce monde-là et ils changent de métier régulièrement. Donc ici, dans la première histoire, ils font des détectives privés, mais à la fin ils décident de faire réalisateur de cinéma. »
Vous aimez le Japon et la culture japonaise. Dans quelle mesure cette culture japonaise se reflète dans vos dessins ?
Dans ce cas-ci, c'est plutôt le graphisme japonais. Si vous allez au Japon vous y voyez des produits et des marques publicitaires, c'est souvent des personnages à l'anatomie très simplifiée, un rond et deux ou trois traits de caractère, deux points pour les yeux et une bouche, et c'est tout. Dans cette simplicité-là il y a quelque chose qui parle à tout le monde. Cela a l'air enfantin mais je crois que les thèmes que j'aborde ne sont pas enfantins. Cela permet de toucher plus facilement les gens. Je crois que la BD est un peu comme le dessin animé, cela réclame un dessin plus simple que la peinture ou la gravure, par exemple. Cela rend la narration et l'histoire plus fluides. C'est à ce niveau-là que le Japon m'a inspiré. Dans ce projet-là, il n'y a pas vraiment une nationalité précise, ces personnages ne ressemblent pas à des êtres humains, et ils n'arrivent pas vraiment à diviser l'humanité en différentes nations, races ou ethnies. »
Pour quel genre de public créez-vous vos dessins ? »
« J'aimerais bien arriver à donner à cette BD plusieurs niveaux de lecture. Je veux que les enfants puissent la lire sans se poser trop de questions et même apprendre quelque chose. Petit, j'ai beaucoup appris en lisant des BD qui n'étaient pas nécessairement pour enfant. J'ai appris un nouveau vocabulaire grâce à cela sans avoir les contraintes qu'on donne souvent à la littérature pour enfant et à la littérature pour adulte. J'aimerais donc aborder avec ce graphisme agréable pour les enfants des thèmes à la fois assez simples, grâce à deux personnages qui évoluent dans la vie d'une manière assez courante, et des thèmes sous jacents et plus importants. »