L'hiver à Petrkov
« Il fut un passeur d'invisible, un conteur d'indicible, un fileur de lumière, » dit Sylvie Germain de Bohuslav Reynek, poète et graveur tchèque qui a passé une grande partie de sa vie dans une ferme isolée des Hauteurs tchéco-moraves. Exposé aux caprices de la nature, loin des séductions et des idoles de pacotille des grandes villes, il a gardé la sérénité et la pureté de l'esprit qui se reflétaient dans son oeuvre. Entouré d'animaux domestiques comme un pâtre biblique, il a su écouter jusqu'aux battements du coeur de ses moutons et de ses chats, jusqu'à la respiration du paysage endormi sous la neige. Car le domaine de Petrkov était souvent couché sous le linceul blanc et les hivers dans cette contrée étaient longs et rudes.
Il y a quelque chose de fascinant dans la simplicité et dans le courage avec lesquels Bohuslav Reynek a accepté son sort difficile. Il était croyant et sa foi lui donnait la force de supporter et d'accepter les vicissitudes de la vie. Il est né dans la ferme de Petrkov en 1892. Il abandonne ses études à l'Institut supérieur de technologie à Prague, rentre à la ferme familiale, se lie d'amitié avec l'éditeur et traducteur Josef Florian et devient l'un de ses collaborateurs les plus actifs. Il traduit pour lui de nombreuses oeuvres d'auteurs français et allemands et publie chez lui aussi ses propres oeuvres poétiques d'inspiration expressionniste et mystique. Parallèlement il s'exprime aussi par la gravure, la peinture et le dessin.
En 1926 il épouse la poétesse française Suzanne Renaud avec laquelle il séjourne souvent en France jusqu'à la mort de son père, en 1936, lorsqu'il reçoit la charge de la ferme de Petrkov. Il ne quittera plus la Bohême. Sous l'occupation nazie le domaine familial est réquisitionné et la famille Reynek se réfugie chez Josef Florian. Après le coup de Prague et l'avènement du régime communiste le domaine est de nouveau confisqué et Reynek et ses deux fils deviennent de simples employés dans leur ferme. Le poète, interdit de publication poursuivra cependant son oeuvre avec persévérance et humilité jusqu'à sa mort en 1971. Ses poèmes, ses traductions, ses dessins et ses pointes sèches composent un témoignage fascinant sur cette vie qui savait être belle et sereine malgré la cruauté de l'époque.
Parmi les admirateurs de son oeuvre il y a aussi l'écrivain français Sylvie Germain, auteur du livre « Bohuslav Reynek à Petrkov » : « C'est l'oeuvre de quelqu'un d'une totale intégrité, d'un immense courage. C'est cela que j'aime finalement. Je trouve que les plus belles formes de courage et d'héroïsme, ce ne sont pas les flonflons militaires ou des grandes expositions de la bravoure, mais c'est souvent ce qui se joue dans l'ombre. Et Reynek était un homme de l'ombre, c'était un homme infiniment discret, qui portait, comme illuminé, toute sa vie une foi profonde; il y avait une dimension mystique dans la foi de Reynek. Il a traversé une des pires périodes qui soit, la guerre, l'occupation des nazis et puis le communisme. Il a vécu cette période avec sa femme, la poétesse française Suzanne Renaud qui a été assez brisée par tout cela. Je trouve que l'oeuvre qu'il a créée, à l'aube, avant d'aller nourrir ses cochons, assis près de son grand poêle en train de graver avec vraiment les moyens du bord, il n'avait presque pas de matériel, il était assez autodidacte dans ce domaine-là, c'était vraiment une manière chez lui de traduire ce qu'il y avait de plus profond en lui, donc une oeuvre extraordinaire, que ce soit le cycle de « La Passion », que ce soit le cycle de « Don Quichotte de Cervantes », ou sa poésie.
Pour moi, il y a beaucoup de ce que l'on peut appeler (je me méfie des grands mots comme l'âme tchèque) mais disons de l'esprit de ce pays, peut-être. En tout cas, j'ai été extrêmement touchée par cette oeuvre. Alors même que mon niveau de tchèque était misérable, un jour en lisant un livre de Reynek, quand j'habitais encore Prague, dans les samizdats à l'époque parce qu'il était interdit de publication, j'ai été extrêmement touchée, j'ai même senti qu'il y avait une sorte de consonance avec l'oeuvre d'un autre poète que j'adore, le poète autrichien Georg Trackl. J'ai appris après d'ailleurs qu'il avait traduit Trackl. Donc, vous voyez, c'était comme s'il y avait une force qui permettait par la douceur même de la musique de Reynek à une étrangère comme moi avec une connaissance minime de la langue, d'y être sensible."
L'hiver et la neige jouaient un rôle capital dans la vie de Bohuslav Reynek. En automne déjà la ferme, le jardin et les champs de Petrkov disparaissaient sous l'édredon blanc qui reléguait les habitants de la maison à l'isolement et à la solitude. Transi de froid le paysage familier devenait distant et mystérieux. L'hiver était cruel certes mais sous l'immensité blanche germait déjà un nouvel espoir. Il apportait au poète et peintre Reynek aussi beaucoup d'inspiration et se reflétaient dans son oeuvre. Dans son recueil de poèmes en prose « Le serpent sur la neige » il y a beaucoup de textes inspirés par les paysages neigeux comme celui intitulé « Koleda (Chant de Noël) ». Le paysage désert et glacé s'anime grâce à la fantaisie du poète et devient théâtre d'une vie intense, un espace initiatique où se rencontrent le passé et le présent, le ciel et l'enfer :
« Neige, neige, neige. Soir, le soleil se couche. Grands fûts branches nues - les petits épicéas en file sous la neige, simples cônes clairs comme des seins. L'hiver est une louve blanche et hirsute aux pattes noires, couchée - Déesse de lascive fécondité. Elle dresse les pattes (les branches des arbres sont aiguisées comme des griffes) et le soleil pourpre, c'est la langue dans sa gueule ouverte, luisante de sang. Les nuages chiots gris, se baissent et sucent les mamelles, innombrables et gonflées, de la bâte sauvage. La louve - yeux de braise et dents de glace transparente. Sa beauté dépasse l'entendement, elle est couchée à l'entrée de la Crèche de Noël et fait hurler la terrible et parfaite flûte de la faim pour accompagner le psaume des Anges sur la vallée... Fait hurler la musique de la chute et du péché pour accompagner le chant souverain de la paix. »