« A Prague, les gens se démasquent en sortant du métro et la vie redevient normale »

Photo: Lenka Žižková

Jérôme Favre est journaliste indépendant en Suisse où, depuis lundi dernier, le port d’un masque de protection des voies respiratoires est obligatoire dans les transports publics. Inversement, en République tchèque, où, dès le début de la crise sanitaire en mars dernier, le masque est devenu le symbole de la lutte contre la propagation du coronavirus, son port, depuis le 1er juillet, n’est plus obligatoire que dans le métro de Prague et pour les événements en intérieur rassemblant plus de 100 personnes. Cette semaine, Jérôme Favre était de passage à Prague pour un reportage dans un pays que même son Premier ministre Andrej Babiš, au plus fort de la crise, a qualifié de « puissance du masque ».

Jérôme Favre,  photo: Ondřej Tomšů

« En Suisse, le masque est  un sujet beaucoup plus actuel aujourd’hui qu’il y a quelques mois. J’ai longtemps été correspondant au Palais Fédéral, et j’ai donc suivi la crise et les décisions du gouvernement. Pendant longtemps on s’est posé la question du masque, et on se disait que son port ne servait à rien. Mais depuis le début du déconfinement – même s’il n’y a pas eu de confinement à proprement parler en Suisse, mais plutôt des recommandations de rester chez soi et de travailler à domicile -, de plus en plus de personnes voyagent et prennent les transports publics. Du fait de la proximité des gens notamment dans les trains, un moyen de transport très apprécié des Suisses, il fallait donc prendre des mesures supplémentaires, car le nombre de nouveaux cas de contamination, même s’il se limite à une centaine par jour, augmente de nouveau. On a donc imposé les masques dans les transports depuis lundi seulement. »

« C’est donc quelque chose de très différent par rapport à la République tchèque, puisque quand les masques y étaient obligatoires, ils ne l’étaient pas en Suisse, et maintenant que la Suisse a rendu son port obligatoire, celui-ci ne n’est plus en République Tchèque. »

Qu’avez-vous donc découvert en République Tchèque par rapport à ce port du masque ?

« Ce qui m’a d’abord étonné, c’est que la plupart des masques sont en tissu, alors qu’en Suisse presque tous sont en papier jetable. C’était même étonnant dans le métro de Prague. Par ailleurs, nous avons encore en Suisse un certain nombre de mesures et de gestes barrières que les gens respectent. A Prague en revanche, j’ai l’impression qu’une fois sortis du métro et leur masque retiré, les gens ne respectent plus aucun geste barrière, plus aucune distance. »

« Pourquoi faut-il un masque dans le métro, et pas ailleurs ? »

Vous attentiez-vous à voir autre chose ?

Photo illustrative: Anke Sundermeier/Pixabay,  CC0

« Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais c’était intéressant de voir justement cette différence. Pourquoi faut-il porter un masque dans le métro, mais pas ailleurs ? J’ai été très étonné par exemple de rencontrer quelqu’un pour une interview et que la personne en question me salue avec une poignée de main. Mais vous aussi avez fait la même chose ce matin en m’accueillant à la radio… En Suisse, on ne serre plus aucune main depuis des mois ! Il y a quand même là quelque chose d’assez paradoxal dans le fait d’un côté de porter un masque et de l’autre de se serrer la main. »

« En Suisse, il y a moins de tables dans les restaurants, s’il y avait un groupe de plus de quatre personnes, il fallait laisser son adresse à l’entrée du restaurant pour que l’on puisse vous contacter en cas de problème… Il y a plusieurs autres mesures et le masque en est une de plus, tandis qu’ici à Prague, le masque semble être un reliquat, une sorte de souvenir d’une période déjà passée. »

On a effectivement le sentiment qu’à l’exception du métro, où tous les gens sont masqués, ailleurs, le coronavirus n’est plus que de l’histoire ancienne...

«  Oui, la vie semble tout à fait normale à l’exception du nombre très réduit de touristes et de gens dans les rues de Prague. Une autre chose qui m’a surpris ici est que, plusieurs fois, le personnel dans les cafés ou les commerces m’a dit préférer le liquide à la carte pour les paiements. En Suisse, où les règlements par carte ont explosé pendant la crise, on est encore méfiants vis-à-vis du cash parce qu’il représente un contact physique et un risque de diffusion du virus. »

La République Thèque a souvent été citée en exemple dans les médias étrangers pour sa gestion de la crise. Etait-ce le cas également en Suisse ?

« Assez peu, en tout cas dans la partie francophone du pays, où on a un regard plutôt tourné vers la France et la Belgique. Les médias germanophones sont, eux, peut-être un peu plus sensibles à ce qui se passe en Europe centrale, mais de manière générale je n’ai pas l’impression que l’on ait beaucoup parlé de la République tchèque. Ceci dit, je me souviens d’une question posée par un confrère à un membre du gouvernement afin de savoir s’il fallait recommander aux gens de fabriquer eux-mêmes leurs masques, comme cela se faisait dans certains pays. Je peux imaginer que cela faisait référence notamment à la République tchèque. »

« Dans 20 ou 30 ans, le masque sera une forme de témoignage »

Vous avez visité l’exposition consacrée aux masques qui se tient au Musée national. Comment l’avez-vous trouvée ?

« J’ai trouvé ça extrêmement intéressant. Je peux imaginer que cela a été une période de craintes et d‘angoisse, et le fait d’avoir ces masques colorés, avec certaines fois des traces d’humour – et l’humour tchèque est très particulier -, cela a pu être un moyen de dédramatiser et de mieux traverser la crise, alors que les masques médicaux rajoutent en quelque sorte de l’angoisse à l’angoisse. Ils font un peu penser aux costumes autrefois des médecins de la peste qui devaient effrayer davantage encore les gens… Alors qu’ici, voir toutes ces couleurs… Par exemple, une femme a réalisé un masque à partir de la chemise de mariage de son mari, c’est plutôt joli et symbolique, non ? Ces masques sont un souvenir fait à partir d’un souvenir. Cela restera un symbole fort et deviendra un objet historique. Dans 20 ou 30 ans, ce sera un témoignage pour la prochaine génération. Un masque cousu exprime beaucoup plus de choses qu’un simple masque en papier acheté en pharmacie. »

L’exposition des masques,  photo: Zdeňka Kuchyňová

Vous vous apprêtez à quitter la République tchèque, repartez-vous de Prague avec un masque en souvenir dans vos bagages ?

« J’avoue que j’en ramène même deux ! Le premier est tout simple, il est noir avec Prague inscrit dessus, et le second comporte un drapeau tchèque…  Comme je prévois de voyager cette année, je me suis dit que ce serait une bonne idée de ramener des masques en souvenir. Ça sera aussi un témoignage de la réalité des différents pays en Europe durant cette période, et la République tchèque ne peut pas manquer dans cette collection. »