Les femmes polonaises peuvent continuer à se faire avorter en République tchèque
Chaque année, quelque 100 000 femmes polonaises sont contraintes de se rendre dans des cliniques à l’étranger pour se faire avorter, en raison d’une législation extrêmement restrictive dans leur pays qui s’est transformée en quasi-interdiction à l’automne dernier. Pour ces femmes en situation de détresse, la République tchèque voisine, beaucoup plus libérale en matière d’interruption de grossesse, est une destination souvent privilégiée. Mais récemment, ce droit européen fondamental a été remis en cause par le ministère de la Santé.
Lundi encore, alors qu’était célébrée la Journée internationale des droits des femmes, une manifestation s’est tenue à Varsovie pour protester contre l’arrêt très controversé rendu en octobre dernier par la Cour constitutionnelle polonaise, qui a rendu l’avortement illégal dans les cas de malformations fœtales graves, alors que ceux-ci concernaient 90 % des interruptions de grossesse dans le pays. L’adoption de cet arrêt a rappelé combien les droits des femmes étaient bafoués depuis longtemps en Pologne où, depuis janvier, l'avortement n’est donc plus autorisé qu’en de cas de viol, d’inceste ou de danger pour la vie de la mère.
Conséquence de cette impossibilité d’avorter dans les autres cas de figure, les femmes polonaises désirant mettre un terme légalement à leur grossesse dans un environnement thérapeutique, et ainsi éviter d’opérer dans la clandestinité chez elles, sont souvent contraintes de se rendre à l'étranger. Leur choix se porte généralement sur les pays limitrophes appartenant à l’Union européenne : Allemagne et République tchèque notamment, ou encore Autriche ou Pays-Bas.
En République tchèque, où il a été légalisé en 1950, l’avortement, quel qu’en soit le motif, est autorisé jusqu’à la douzième semaine de grossesse, comme dans plusieurs autres Etats membres Au-delà de ce délai, il ne peut plus être pratiqué qu’en cas de viol ou sur indication médicale.
Cela fait déjà plusieurs années que des femmes polonaises se rendent à cette fin en République tchèque, comme les y autorise la directive européenne sur les droits des patients, qui vise à garantir leur mobilité et la libre prestation des soins de santé transfrontaliers.
Mais en février dernier, alors que la pratique était pourtant jusqu’alors courante, le ministre de la Santé, Jan Blatný, a mis les pieds dans le plat en déclarant que tout médecin en République tchèque qui interrompait la grossesse d’une femme étrangère commettait un acte délictueux passible de lourdes sanctions. « La Tchéquie n’aidera pas les Polonaises », a-t-on pu alors souvent lire dans des médias tchèques très majoritairement indignés, avant que le ministre, quelques jours plus tard, sous la pression, finisse par admettre qu’il s’était trompé.
Katarzyna Byrtek est responsable de « Ciocia Czesia » (« Česká teta » – littéralement « La tante tchèque »), une initiative qui, depuis l’automne dernier, accompagne justement les femmes polonaises qui viennent se faire avorter en République tchèque. Et ce en les informant et en les accompagnant dans leurs démarches administratives, voire même parfois en aidant celles qui n’en ont pas les moyens à financement leur voyage et leur prise en charge dans les cliniques tchèques. A la Radio tchèque, Katarzyna Byrtek expliquait récemment pourquoi le ministère avait finalement fait marche arrière :
« Le problème est que le droit tchèque manque un peu de clarté. Le ministère s’est d’abord référé à une loi des années 1980, qui stipule que seules les personnes possédant un permis de séjour permanent disposent du droit à l’avortement. Mais c’est oublié la législation européenne qui autorise ce type de soins pour les ressortissantes des autres pays membres. Une interruption de grossesse est un service de santé comme un autre. C’est comme si vous alliez chez le dentiste en République tchèque. Il n’existe pas plus de restrictions pour l’avortement. »
Cette confusion dans l’interprétation des différents textes en vigueur n’a cependant pas aidé l’initiative dans sa mission, comme le regrette Katarzyna Byrtek :
« Malheureusement, le fait que cette cette incertitude et ce chaos aient été relayées dans les médias ne facilite pas notre tâche. Certaines cliniques se méfient et ne souhaitent pas accueillir de patientes polonaises, même si je dois dire aussi que la situation s’est améliorée suite à la déclaration officielle du ministère de la Santé, qui a finalement reconnu son erreur et admis qu’il n’y avait pas de problèmes pour les ressortissantes de l’UE. »
Une interprétation finale du ministère qui a été accueillie avec soulagement par une majorité de l’opinion publique tchèque, mais qui n’est toutefois toujours pas celle de la Chambre des médecins tchèque. Celle-ci considère en effet qu’aider à avorter les femmes ne possédant pas de permis de séjour de longue durée reste une pratique illégale.