5) Ces dessins animés qui enchantent les Tchèques, petits et grands, depuis plus de 50 ans
Médor le maxichien, les lutins Křemílek, Vochomůrka et Rákosníček, la petite Taupe, les bricoleurs Pat et Mat, les petits ours Monsieur et Monsieur, la fée Amálka ou encore le bon brigand Rumcajs : ces personnages et bien d’autres encore ont enchanté trois générations de Tchèques. Ils ont été créés, à partir des années 1960, par de grands noms du cinéma d’animation, pour Večerníček, une émission de télévision devenue culte, destinée aux enfants tchèques et slovaques. Coup de projecteur sur ces séries animées devenues célèbres en République tchèque et à l’étranger dans ce nouvel épisode de notre série sur les grands maîtres du cinéma d’animation tchèque.
« Aucune autre émission télévisée tchèque n’a influencé autant de générations de spectateurs et n’a eu un tel impact sur leur goût pour l’art et leur sens esthétique que Večerníček », constatait récemment la critique de cinéma Jindřiška Bláhová dans l’hebdomadaire Respekt. Elle soulignait que ce format télévisé d’une dizaine de minutes, proposé aux enfants chaque soir de la semaine depuis 1965 jusqu’à aujourd’hui, a représenté pour les réalisateurs de films d’animation « un espace de création relativement libre » dans le domaine de la culture officielle, autrefois surveillée de près par l’Etat.
Dans la Tchécoslovaquie communiste des années 1970 et 1980, la télévision était la principale source de distraction et les autorités se réjouissaient des fortes audiences réalisées par des émissions comme Večerníček, qui était sans la moindre concurrence à l’époque. La qualité artistique était le mot d’ordre pour ceux qui ont créé, au fil des années, dans les studios de Prague, de Gottwaldov (aujourd’hui Zlín) ou d’Ostrava, des centaines de séries d’animation spécialement conçues pour l’émission Večerníček.
« Les meilleures séries ont été créées par d’excellents plasticiens entourés de gens qui maîtrisaient bien le métier d’animation et savaient réaliser leurs visions et projets », expliquait, toujours pour Respekt, Pavel Horáček du festival Anifilm. Parmi ces grandes personnalités du dessin animé tchèque de la seconde moitié du XXe siècle, on trouve notamment Václav Bedřich, ancien collaborateur de Jiří Trnka et auteur de quelque 300 courts-métrages d’animation, dont les célèbres séries Médor le maxichien, Les contes de la fée Amálka, La poupée de pavot et le papillon Emanuel ou encore les aventures des lapins Bob et Bobek.
Nés en 1978 sous le crayon de l’illustrateur Vladimír Jiránek, les aventures des deux fameux lapins restent, avec leurs 91 épisodes, la plus longue série télévisée d’animation jamais réalisée en République tchèque.
Autre dessin animé devenu phénomène : « Pohádky z mechu a kapradí » (Les contes de la mousse et de la fougeraie). Il s’agit d’une adaptation d’un livre de l’écrivain Václav Čtvrtek (auteur également de l’histoire du gentil bandit Rumcajs), illustrée par le peintre et animateur Zdeněk Smetana. Il s’est souvenu du travail périlleux sur les aventures des lutins Křemílek et Vochomůrka qui vivent dans une souche :
« J’ai dessiné ces deux personnages pendant très longtemps. Pendant au moins six mois, je n’ai rien fait d’autre que de jeter à la poubelle des dessins ratés. Du coup, les deux lutins étaient là. J’ai un jardin dans lequel je passe beaucoup de temps. La nature qui m’entoure est très présente dans mes contes. »
Les réalisateurs des dessins animés de l’époque s’appuyaient certes sur les livres des classiques de la littérature tchèque pour enfants (dont Josef Lada, Josef Čapek ou Václav Čtvrtek déjà cité), mais ils collaboraient également avec des compositeurs et acteurs renommés. Parmi les stars tchèques de l’époque passées du grand au petit écran pour prêter leurs voix aux personnages des dessins animés, on trouve František Filipovský, Karel Höger, Rudolf Deyl, Josef Abrhám, Petr Nárožný ou Jiřina Bohdalová. C’est cette dernière qui a doublé les voix des lutins Křemílek et Vochomůrka. Elle explique comment cette animation a pris forme :
« Le lutin Vochomůrka est un peu plus godiche et plus gros, tandis que le lutin Křemílek est plus moralisateur. Je m’étais alors inventé une voix différente pour les deux personnages. Le réalisateur Zdeněk Smetana m’a également expliqué les caractéristiques des autres personnages, dont j’avais aussi imaginé les voix. Nous les avons enregistrées, et ce n’est qu’ensuite que les dessins ont été réalisés. Comme les spectateurs, tout autant que les enfants, j’étais donc très curieuse quand les premiers épisodes ont été diffusés à la télévision, car je ne les avais encore jamais vus. »
L’acteur Josef Dvořák a fait la même expérience lors de son travail sur la série Médor le maxichien (Maxipes Fík en tchèque) :
« Nous avons d’abord enregistré les voix, puis l’équipe réalisatrice a travaillé sur l’animation. Avant de tourner un nouvel épisode, le réalisateur m’a montré le scénario, les textes, et là, sur le champ, nous avons imaginé les voix des personnages. Le problème est que la veille du tournage du premier épisode, j’ai participé à une fête, durant laquelle j’ai beaucoup fumé. Du coup, j’avais une voix très grave, un peu cassée, le lendemain. Je pensais ne pas être en état de travailler, mais le réalisateur Václav Bedřich, à ma grande surprise, était ravi. Il m’a dit en plaisantant : ‘Voilà un acteur exemplaire qui a déjà bien travaillé son rôle ! C’est exactement la voix du maxichien ! »
A l’origine de la série animée, Médor le maxichien est un livre pour enfants créé par Rudolf Čechura, auteur également de romans policiers. L’illustrateur est Jiří Šalamoun. Cette joyeuse et loufoque comédie avec un énorme molosse canin au cœur tendre pour héros a été adaptée en série télévisée pour la première fois en 1975.
Comme par exemple Mach et Šebestová créé à cette même époque par l’écrivain Miloš Macourek et le célèbre illustrateur Adolf Born, qui raconte les aventures de deux écoliers qui trouvent un jour un récepteur téléphonique déchiré et magique, Médor le maxichien, pour son humour, fait partie des séries très appréciées aussi du public adulte.
Au-delà des frontières tchèques et slovaques, deux séries d’animation plus particulièrement ont rencontré un grand succès : la Petite taupe, Krteček, imaginée par l’illustrateur Zdeněk Miler, et les bricoleurs Pat et Mat, personnages inventés au milieu des années 1970 par l’illustrateur Vladimír Jiránek et le réalisateur et plasticien Lubomír Beneš.
Après la chute du régime communiste en 1989, l’émission Večerníček, comme le film d’animation tchèque en général, a eu besoin d’un certain temps pour reprendre son souffle, se repérer face à la concurrence internationale, trouver de nouvelles sources d’inspiration et, plus encore, les moyens financiers pour les mettre en œuvre.
Malgré les difficultés liées à la privatisation des studios et au départ des animateurs expérimentés, de nombreux projets intéressants ont vu le jour, comme les longs-métrages d’animation « Fimfárum », « Kozí příběh », ou encore le film « Lichožrouti » sur d’incomparables mangeurs de chaussettes. De nouvelles séries créées pour l’émission Večerníček ont également vu le jour.
Récemment, ce sont les « Mlsné medvědí příběhy », une série créée par deux jeunes animatrices Kateřina Karhánková et Alexandra Májová, en collaboration avec plusieurs partenaires européens, qui ont enchanté les enfants tchèques pendant plusieurs soirées, toujours à la même heure, 18h45, et toujours sur la deuxième chaîne de la Télévision tchèque. Juste avant le journal télévisé, et juste avant de filer au lit, car il est certaines priorités dans la vie qu’il convient de respecter. Pour le bonheur de tous.