Censure de Radio Prague Int. en Russie : « Ce blocage découle des mauvaises relations entre Prague et Moscou »
Le Service fédéral russe de surveillance de la protection des droits des consommateurs et du bien-être humain (Rospotrebnadzor) a décidé de censurer la version russe du site de Radio Prague Int., qui n'est plus consultable sur le territoire de la fédération. La cause officielle de cette censure est un article consacré à Jan Palach, bloqué en vertu d’une législation qui interdit toute description et détails relatifs au suicide. Cet article de la rédaction russe de Radio Prague Int. relatant l’immolation du jeune étudiant tchèque en protestation contre l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 remonte pourtant à 2001. Cette censure d’une des émissions internationales du média public tchèque peut se lire aussi dans le contexte du regain de tensions entre Prague et Moscou, selon la journaliste tchèque Petra Procházková, ancienne correspondante de Lidové noviny en Russie et persona non grata dans la Fédération russe après ses activités humanitaires en Tchétchénie dans les années 2000 :
« Je pense que c’est dans l’ordre des choses et qu’il y a là deux raisons principales : cela correspond à la politique officielle de l’actuel régime russe vis-à-vis des médias mais aussi des organisations de défense des droits humains, bref, à l’encontre de tout ce qui dévie de la ligne officielle et qui représente la liberté d’expression. L’autre raison, c’est que la République tchèque s’est récemment retrouvée sur la liste des pays ennemis de la Russie. Les relations entre Prague et Moscou sont extrêmement mauvaises. Je me souviens pas qu’elles aient jamais été aussi mauvaises, à part peut-être quand la République tchèque est devenue membre de l’OTAN. Donc ce blocage découle de ces mauvaises relations. Je pense que vous n’allez pas être les seules victimes, mais qu’il est fort probable que d’autres sujets liés à la Tchéquie soient également touchés. »
Au-delà de l’explication officielle selon laquelle l’article incriminé enfreint la législation russe parce qu’il s’agit d’une publication relative au suicide, comment interpréter le fait que cela touche précisément cet article-là, lié aux événements de 1968 en Tchécoslovaquie, mais qui remonte à longtemps dans nos archives :
« Jan Palach est un symbole de l’opposition des Tchèques et des Slovaques à l’occupation soviétique de leur pays en août 1968. Je me souviens que dans les années 1990, quand j’exerçais encore en Russie, on a peu à peu commencé à expliquer qu’il s’agissait bien là d’une occupation et non pas d’une ‘aide fraternelle’. L’opinion russe sur cet événement changeait à l’époque progressivement. Actuellement, la situation est diamétralement opposée. La position officielle de Moscou reste vague, mais dans certains médias on peut entendre la version selon laquelle l’URSS a été contrainte à aider la Tchécoslovaquie à résister à l’agression de l’Occident et qu’il s’agissait bien d’une ‘aide fraternelle’. La perception de l’Histoire par le Kremlin et les autorités est vraiment différente aujourd’hui et beaucoup plus stricte. Des lois sont adoptées qui interdisent toute version alternative de l’Histoire officielle. On n’a pas le droit de mettre en doute des événements considérés comme établis, des victoires russes etc. La personne de Jan Palach ne convient pas à cette version de l’Histoire, mais elle convenait tout à fait pour bloquer votre site. »
Comment les autorités tchèques doivent-elles réagir à ce blocage ? Ou encore la communauté journalistique ?
« Je pense que les journalistes tchèques ne réagissent pas assez activement à ce qui se passe actuellement en Russie, à la manière dont sont traités leurs collègues russes dont certains sont persécutés, emprisonnés. Pensons au cas d’Ivan Safronov qui est incarcéré sous prétexte d’espionnage pour la République tchèque. Je trouve dommage que la communauté journalistique tchèque n’exprime pas davantage de solidarité car nous avons cette expérience passée de lutte pour la défense de la liberté d’expression, nous savons que même quelques mots exprimés depuis l’étranger représentent une aide. Du côté de l’Etat, je ne sais pas ce que les autorités peuvent faire car les relations sont, comme je vous le disais, très mauvaises. Il s’agit d’un média public donc la République tchèque devrait officiellement s’exprimer sur la question et protester, réfléchir à une façon de permettre aux auditeurs russes d’accéder à vos informations. Voilà ce que devrait faire l’Etat tchèque. »
Le porte-parole de la Radio publique tchèque Jiří Hošna a réagi dimanche au blocage de la version russe de Radio Prague Int. :
« Nous estimons que ce blocage par les autorités russes est une censure sans précédent. C’est là une démarche anti-démocratique qui représente une attaque des principes de la liberté d’expression. Nous avons informé le ministère des Affaires étrangères de la situation. »
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