Accusé de menace à la sécurité nationale, le chef de l’Église orthodoxe russe en Tchéquie expulsé
Le ministère de l’Intérieur tchèque a retiré son permis de séjour au chef de l’Église orthodoxe russe en Tchéquie, Nikolaï Lichtcheniouk, pour menace à la sécurité de l’État. Contraint de quitter le pays sous 30 jours, le prêtre a tenté de contester la décision devant la justice, en vain. En juin dernier, l’ecclésiastique avait perdu son procès devant la Cour constitutionnelle tchèque.
Originaire de l’oblast d’Orenbourg en Russie, Nikolaï Lichtcheniouk a fait ses études de théologie à Moscou. Ordonné prêtre en 1999, le jeune pope est arrivé en Tchéquie vers 2000 et a d’abord officié à l’Église Saint-Georges-le-Victorieux à l’ambassade de Russie à Prague avant de rejoindre, en 2006, l’Église Saints-Pierre-et-Paul à Karlovy Vary, ville thermale de l’ouest de la Bohême très prisée des touristes russes, où il a été élevé au rang de recteur du métochion [ndlr : territoire ecclésiastique de l’Église orthodoxe] de l’Église orthodoxe russe.
Selon la journaliste du quotidien Deník N, Zdislava Pokorná, qui a enquêté sur l’affaire, Nikolaï Lichtcheniouk « était, déjà à cette époque, un prêtre de haut rang de l’Église orthodoxe russe, chargé, depuis 2009, de diriger l’ensemble de la branche tchèque du Patriarcat de Moscou. »
L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a cependant rebattu les cartes pour le pope. En avril 2023, le patriarche Kirill, le primat de l’Église orthodoxe russe, a été placé sur la liste des personnalités sanctionnées par le gouvernement tchèque et Nikolaï Lichtcheniouk était alors rentré à Moscou où il a été nommé vice-président du département des relations extérieures de l’Église du Patriarcat de Moscou.
Toutefois, toujours selon les données du Deník N, la véritable raison pour laquelle le religieux a quitté la Tchéquie tient à la décision prise en août 2023 par le ministère de l’Intérieur tchèque. Le retrait de son permis de séjour permanent l’obligeait à quitter le pays dans un délai de 30 jours. Et après que l’ecclésiastique russe a tenté à plusieurs reprises de contester cette décision devant les tribunaux, la Cour constitutionnelle, à la mi-juin, lui a finalement donné tort.
Le ministère de l’Intérieur a motivé sa décision en s’appuyant sur des informations confidentielles qui lui avaient été communiquées en 2023 par les services de renseignement. Les décisions de justice successives n’ont cependant pas indiqué clairement ce que les services de sécurité tchèques reprochaient à Nikolaï Lichtcheniouk. La Cour administrative suprême s’est bornée à évoquer des « activités indésirables » menées par le prêtre orthodoxe russe en Tchéquie.
« Les activités révélées du requérant ont été reconnues comme des activités indésirables. Avec le soutien des organes d’État de la Fédération de Russie, il a créé une structure d’influence dont le but était de soutenir les tendances séparatistes dans les pays de l’Union européenne », a souligné la Cour dans sa décision, affirmant que ces activités étaient contraires aux intérêts de la Tchéquie en matière de sécurité. « Il existe un risque fondé que le requérant mette en péril la sécurité de l’État », avait ajouté la Cour sans donner plus de détails.
« Bien que les tribunaux n’aient pas divulgué les informations confidentielles classées ‘secret’, on peut supposer que les services de renseignement s’intéressaient, entre autres, aux liens qu’entretenait Nikolaï Lichtcheniouk avec son supérieur, le patriarche Kirill. Ce dernier est un allié de longue date du président Vladimir Poutine et soutient activement l’invasion russe de l’Ukraine. Et c’est justement pour son soutien à l’invasion qu’il figure sur les listes des personnes sanctionnées non seulement en Tchéquie, mais aussi en Australie, au Canada, en Ukraine et au Royaume-Uni », écrit Deník N.
Nikolaï Lichtcheniouk a vainement tenté d’obtenir des tribunaux qu’ils divulguent les informations classifiées sur son affaire.
« Les services de renseignement qui ont fourni les informations à l’autorité administrative ont clairement indiqué que le secret serait violé si le requérant en prenait connaissance », a expliqué la Cour administrative suprême, selon laquelle les informations classifiées contiennent une description des actions spécifiques du pope, y compris le moment exact où elles ont eu lieu.
Nikolaï Lichtcheniouk a vécu en Tchéquie pendant plus de vingt ans, entouré de sa femme Ekaterina, de ses trois filles et de son fils.
En plus de son sacerdoce, le prêtre était également engagé dans les affaires en Tchéquie, comme le révèle Deník N : « En 2015, il est devenu directeur de ‘Vila Sofia’, une société dans laquelle, selon le registre du commerce, l’Église détient une participation de 100 %. Ce que fait exactement cette société n’est pas clair. Le registre ne mentionne comme objet d’activité que la ‘location de biens immobiliers, d’appartements et de locaux non résidentiels’. Selon le site d’actualité iDnes.cz, la société loue des appartements dans un bâtiment qu’elle possède près de l’hôtel Thermal à Karlovy Vary. D’après les derniers comptes financiers publiés, la société possédait l’année dernière des actifs d’une valeur de 43,6 millions de couronnes, dont 8,4 millions de couronnes de dettes envers des tiers. »
Autre preuve de la notoriété locale du religieux, Nikolaï Lichtcheniouk avait été fait citoyen d’honneur de la station thermale de Karlovy Vary en 2020, notamment pour avoir supervisé la rénovation de l’église orthodoxe de la ville.
Depuis son départ de Tchéquie en août 2023, le Patriarcat de Moscou tente de trouver un successeur à Nikolaï Lichtcheniouk. Le nom de l’évêque Hilarion a un temps été évoqué, mais ce dernier a finalement été écarté, empêtré dans une affaire de harcèlement sexuel.