Les remords et les doutes de Václav Havel dans un texte retrouvé plus de 40 ans après
En 1977, Václav Havel a rédigé un long texte décrivant son arrestation quelques jours après la publication de la Charte 77 et ses expériences ultérieures, souvent intenses. Ce récit fascinant a été perdu pendant des décennies mais, après avoir été retrouvé, a été publié ce jeudi sous le titre Někam jsem to ukryl (Je l’ai caché quelque part). Michael Žantovský est le directeur de la bibliothèque Václav Havel, éditeur de ce nouveau livre.
« Après sa libération, il a écrit un rapport sur toute l'histoire de la Charte 77, son emprisonnement et l’enquête dont il a fait l’objet. Il faisait plus de 100 pages. Et puis il a disparu. Dans le livre Interrogatoire à distance, publié en 1986, Havel déclare : ‘J'ai écrit un rapport sur toute l'affaire, je l'ai caché quelque part et j'ai oublié où il se trouve - peut-être le retrouverai-je un jour’. »
« Il ne l'a jamais retrouvé, mais après sa mort, le petit-fils de l'un de ses plus proches amis, Zdeněk Urbánek, a découvert le manuscrit dans les papiers de son grand-père et nous l'a apporté. Nous avons passé la dernière année environ à rechercher, éditer, annoter et compléter le manuscrit. »
Angoisse, remords et doute
L’une des parties les plus intéressantes est intitulée Mon histoire, où Havel écrit sur sa, comme il le dit, défaillance morale lorsque - en prison pour la première fois - il a dit aux autorités qu'il ne continuerait pas à être le porte-parole de la Charte et a déclaré qu'il cesserait de s'engager en politique. Cet épisode était connu auparavant, mais le texte apporte-t-il quelque chose à notre compréhension de celui-ci ?
« Oui, cet aspect représente, je pense, le noyau, le noyau spirituel, de tout le livre. Effectivement, on savait déjà qu'il avait fait ce compromis et qu'il s'en voulait de l'avoir fait. Mais ce n'est que maintenant, dans ce manuscrit, que nous comprenons pleinement l'angoisse et le degré de remords et de doute que cela a provoqué chez Havel. »
« Cela nous donne donc une image beaucoup plus concrètede toute l'affaire, et aussi de la transformation de ce Havel qui doutait en tant qu’icône de l'opposition tchèque et de la lutte pour les droits de l'homme, sur la base de sa résolution intérieure de ce conflit. »
Vous pensez donc que le fait qu'il ait eu le sentiment d'avoir échoué à cette occasion l'a endurci pour l'avenir ?
« J'en suis absolument certain depuis un certain temps, et ce manuscrit, ce texte, ne fait que le confirmer, oui. »
L'habitude de cacher certaines de ses pièces et manuscrits
Et l'écriture ? Václav Havel a-t-il apporté le même soin à son écriture que dans, par exemple, certains de ses principaux essais ?
« Nous estimons qu'il a passé environ six mois à écrire ce texte. Il envisageait qu'il y ait des essais supplémentaires écrits par certains de ses collègues ajoutés au texte, ce qui, pour autant que nous le sachions, n'est jamais arrivé. Dans le livre que nous publions, nous avons donc tenté de rattraper le coup en ajoutant quatre essais de notre cru. »
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« Son texte porte les marques d'un produit inachevé. Je crois qu'il avait l'intention de continuer à y travailler, comme il l'a fait pour ses essais les plus importants, mais d'autres événements ont dû s'interposer. Il s'est impliqué dans l'organisation du Comité pour la défense des personnes injustement poursuivies et, en mai 1979, il s'est retrouvé en prison pour quatre ans et demi. Il était donc compréhensible qu'il ait oublié où il avait mis le manuscrit. Il avait l'habitude de cacher certaines de ses pièces et manuscrits, par peur des perquisitions de la police et de leur confiscation. »
Comment situer ce livre dans la bibliographie de Havel ? S'agit-il d'une curiosité ou d'un ouvrage important ?
« Je pense que c'est une partie importante de l’ensemble. Il n'y a aucun doute là-dessus, car dans le livre, il décrit les conditions de son premier emprisonnement, dont nous ne savions pas grand-chose. Il décrit certains de ses interrogateurs, les circonstances de son incarcération et de sa libération, et le temps qu'il a passé ensuite, les trois mois suivants, alors qu'il était horrifié par ce qu'il pensait avoir fait. Ses amis et ses contemporains ne l'ont jamais jugé aussi sévèrement qu'il s'est jugé lui-même, et je pense que cela témoigne de l'essence morale de Havel. »