Vivre dans la vérité : quand Václav Havel inspirait les Iraniens
Lorsqu’il y a deux ans l’Iran a été secoué par une vague de manifestations réprimées dans le sang, de nombreux Iraniens se sont réfugiés dans la littérature pour résister à l’oppression. Dans les rares fenêtres de liberté existant sur l’Internet iranien, les internautes se sont mis à citer et à partager des références à des auteurs de l’ex-bloc soviétique, et notamment à l’ancien dissident tchèque et artisan de la révolution de Velours, Václav Havel. Journaliste au Monde, correspondante en Iran entre 2016 et 2019, Ghazal Golshiri s’était intéressée à ce phénomène. Le 10e anniversaire de la mort de Václav Havel, le 18 décembre, était l’occasion pour RPI de revenir avec elle sur l’importance que peut avoir une personnalité comme celle du dramaturge pour des peuples opprimés :
« Quand j’ai écrit mon article, je me suis concentrée sur la génération de moins de 45 ans. Je pense que les gens qui étaient jeunes avant la révolution iranienne devaient aussi connaître Václav Havel ou d’autres auteurs nés dans différentes dictatures. Mais j’ai voulu me concentrer sur la génération née après la révolution qui a connu notamment les années de réforme, avec Mohamed Khatami puis pendant le premier mandat du président Hassan Rohani. »
Dans votre article, vous expliquez que ces références à Václav Havel s’expriment beaucoup via les réseaux sociaux. Lesquels et quelle est la possibilité d’y avoir accès, vu que certains sont interdits en Iran ?
« A l’époque ça se faisait, et c’est toujours le cas, sur Twitter et Instagram. Instagram est toujours accessible en Iran sans qu’il y ait besoin de VPN, de logiciel anti-filtrage. Mais Twitter est bloqué depuis 2009 donc la majeure partie de la population en Iran utilise différents moyens pour contourner cette censure avec des logiciels VPN etc. »
Quelles sont les références à Havel ? Est-ce par des citations de textes ? Comment cela s’exprime-t-il ?
« A l’époque, l’effervescence autour de Václav Havel s’est exprimée autour de son livre Le pouvoir des sans-pouvoirs. La notion principale pour les lecteurs iraniens était de vivre dans la vérité, c’est-à-dire montrer d’une façon ou d’une autre son opposition au mensonge d’Etat, aux idéologies prônées par le régime. L’intérêt pour cette notion-là se faisait entendre très souvent sur les réseaux sociaux. C’était particulièrement le cas après une vague de manifestations en 2019, des manifestations qui ont été réprimées dans le sang et à ce jour, on ne sait toujours pas combien de gens ont été tués. Internet a alors été coupé dans tout le pays pendant une semaine, parfois dix jours. Quand les gens ont pu se reconnecter à Internet, ils ont commencé à prendre conscience de l’ampleur de la répression. Il y avait donc une envie de se réfugier dans autre chose et d’une certaine manière, de résister à la répression via la littérature. C’est à ce moment-là qu’un intérêt très fort pour Havel a vu le jour en Iran. »
En 2010, un an avant sa mort, Václav Havel avait appelé à la libération de Nasrin Sotoudeh, avocate, défenseuse des droits de l'Homme, lauréate du prix Sakharov, plusieurs fois emprisonnée et, aux dernières nouvelles, à nouveau derrière les barreaux depuis près d'un an. La même année Shirin Ebadi, une autre avocate iranienne prix Nobel de la paix 2003, avait été accueillie à Prague à la conférence Forum 2000, un projet de l'ancien président tchèque. Que représente ce type de soutiens, mêmes symboliques, pour les prisonniers politiques ?
« Cela aide énormément. La pire chose qui puisse arriver à un prisonnier politique en Iran, c’est de ne pas avoir de visage, de ne pas avoir de nom, d’être inconnu. Puisque vous évoquez le cas de Nasrin Sotoudeh, elle est actuellement en liberté conditionnelle et suit des traitements médicaux dont elle a besoin. Si on ne connaît pas le nom des gens qui sont derrière les barreaux, c’est très facile de les tuer, de les torturer à mort. C’est donc très important que ces gens-là aient un visage, et c’est une aide morale pour eux aussi. »
Reza Mirchi est un bohémiste, auteur du premier dictionnaire tchèque-persan, mais aussi promoteur de Václav Havel dont il a traduit de nombreux ouvrages, dont les pièces de théâtre. Il est aussi à l’origine d’une maison d’édition à Prague et d’un site internet tchèque destiné à faire la promotion de la littérature perse. Est-ce seulement possible de jouer Havel en Iran ? Cela semble difficilement envisageable…
« Je ne pense pas en effet. Je pense que les dirigeants iraniens ont finalement compris que traduire des œuvres de Havel et d’Ariel Dorfman, sans nommer l’éléphant dans la pièce, était une façon détournée, une ruse pour parler du régime. »
Il y a eu quelques lucarnes d'espoir en Iran, des tentatives de réforme... Des espoirs qui ont été douchés ces dernières années avec plusieurs vagues de répression qui se sont succédé. Peut-on faire une analogie avec le Printemps de Prague puis la période de répression des années 1970 en Tchécoslovaquie, années où émerge le Havel dissident ?
« La République islamique d’Iran existe depuis maintenant 43 ans. C’est long… Un autre livre a été très lu après cette vague de répression, à côté de l’œuvre de Havel, c’était un ouvrage d’Ariel Dorfman sur le procès de Pinochet en Angleterre. Je pense qu’il y a un certain espoir en Iran malgré des vagues de désillusion et de désespoir. Donc peut-être, on ne sait pas… Beaucoup de gens se disent que ça fait plus de 40 ans que ce régime tient, après une guerre, malgré une situation économique catastrophique, mais on ne sait jamais… Ils essayent de trouver une lueur d’espoir dans les précédents historiques qui ont vu la chute de régimes dictatoriaux et dont personne n’osait anticiper la fin. »