Miloš Forman ou « la magie de l’ordinaire »
Né à Čáslav (Bohême centrale) en 1932, le célèbre réalisateur d’origine tchèque Miloš Forman aurait eu 90 ans aujourd’hui. Il est décédé le 13 avril 2018 aux Etats-Unis, où il avait émigré légalement en 1968, suite à la répression qui a suivi l’écrasement du Printemps de Prague. Avant d’être récompensé à Hollywood pour Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) et Amadeus (1984), Miloš Forman était le fer de lance de la nouvelle vague des années 1960 avec notamment ses films L’As de pique, Les Amours d’une blonde et Au feu, les pompiers !, devenus de grands classiques du cinéma tchèque. Réalisateur tchèque contemporain, Jan Hřebejk a eu l’occasion de côtoyer Miloš Forman. Au micro de Radio Prague International, il évoque le talent du réalisateur, le don du narrateur et la sympathie de l’homme Miloš Forman.
« Je pense que le principal talent de ce grand narrateur est qu’il savait mêler tragédie et comédie. De tous les réalisateurs que je connais, c’est lui qui maîtrisait cela le mieux. Ses films sont exceptionnellement amusants, aussi bien ses films tchèques que ses films internationaux tels que Amadeus ou Vol au-dessus d’un nid de coucou. Ils contiennent beaucoup de moments vraiment très drôles et puis, d’un seul coup, un frisson vous parcourt, vous retenez votre souffle… Il savait faire cela comme peu d’autres savent le faire, même ailleurs dans le monde. »
« A l’époque où, en République tchèque, étaient produits des films artistiques relativement recherchés, il a été l’un des premiers réalisateurs de la nouvelle vague tchécoslovaque à mettre en avant la magie de l’ordinaire. Et avec une narration tragicomique… Je pense que chacun de ses films tchécoslovaques fait partie des dix meilleurs films tchécoslovaques. Et je pense qu’au minimum ‘Amadeus’ et ‘Vol au-dessus d’un nid de coucous’ feront toujours partie des bijoux de la cinématographie mondiale. »
« Ce qui caractérise les films de Miloš Forman, pour moi, c’est que je peux les voir en boucle. J’adore, par exemple, son film Man on the Moon, sorti en 1999. Il m’a totalement séduit. Et j’estime que « Au feu, les pompiers » est le meilleur film de toute la cinématographie tchécoslovaque.
Jan Hřebejk explique que ce qui fait la différence entre les films tchécoslovaques et les films américains de Miloš Forman, c’est leur mode de narration. Pour autant, son originalité est reconnaissable dans les deux cas. En revanche, ses films tchécoslovaques ne sont pas universellement indémodables, à la différence de ses films américains. Jan Hřebejk :
« Je pense qu’avec ses films, Miloš Forman racontait toujours les mêmes thèmes, ses thèmes à lui. Mais en République tchèque, il les racontait en tchèque, et pour les Etats-Unis, il est passé à une langue différente, à un mode de narration différent. La dramaturgie anglo-saxonne est différente : en Europe, on part du principe que le spectateur sait tout ; aux Etats-Unis, on part du principe qu’il ne sait rien. Et c’est juste : le spectateur ne sait rien du tout. »
« Miloš Forman a gardé son originalité, et ses films sont reconnaissables. Et pour ce qui est de ses films américains, si vous les revoyez 30 ans après, et vous y trouvez quelque chose de différent. Mais ils vous plaisent toujours. Ses films américains sont des films qui ne vieillissent pas.
Jan Hřebejk se rappelle également ce qui faisait le plaisir des moments passés avec Miloš Forman :
« C’était un excellent narrateur, dans ses films comme dans la vie. Quand il racontait quelque chose, c’était incroyablement intéressant. Surtout qu’il avait une belle voix… Je me rappelle donc de lui comme d’un excellent narrateur avec un fantastique sens de l’humour. Il savait aussi très bien écouter. Bien sûr, comme tous les génies, c’est quand il avait envie d’être super qu’il l’était. Mais quand il était d’humeur, passer du temps avec lui, c’était formidable. Je suis reconnaissant de chacun des moments passés en sa compagnie. Et pas parce que c’était Milos Forman, le célèbre détenteur de nombreux prix et oscars, mais parce que c’était vraiment un type inoubliable. »