Du laiton venu du Massif central, preuve de contacts étroits entre l’Empire romain et les tribus germaniques de Bohême
Des archéologues et des géologues tchèques ont découvert des objets en laiton d’origine romaine datés de la période allant de 100 avant J.-C. jusqu’à 200 après J.-C. sur le territoire de la République tchèque. Selon les chercheurs, il est probable que le laiton provienne de Gaule, plus précisément du Massif central, sur l’actuel territoire français. Cette découverte témoigne de la complexité des relations socio-économiques de l’Empire romain.
Entre 2019 et 2021, des chercheurs de l’Institut archéologique de l’Académie des sciences (ARÚ) et du Service géologique tchèque (ČGS) ont analysé cinquante artefacts en laiton trouvés en Bohême centrale et orientale datés entre le premier siècle avant J.-C. et le deuxième siècle après J.-C. Parmi ces artefacts, des bijoux divers (fermoirs, anneaux, épingles), des boucles de ceinture et des garnitures pour armes.
Les chercheurs ont échantillonné ces artefacts et ont réalisé des analyses isotopiques pour déterminer leur composition et leur origine. Daniel Bursák, chercheur à l'Institut archéologique, nous en dit plus sur les résultats de ces analyses :
« Les objets que nous avons analysés ne proviennent pas d’un seul site, mais de quatorze sites, principalement de Bohême centrale et orientale. Nous ne nous attendions pas à trouver du laiton dans presque tous les objets que nous avons échantillonnés. »
Selon les chercheurs, ces objets en laiton sont d’origine romaine. Outre l’esthétique romaine de certains artefacts et leur composition chimique, cette théorie est alimentée par le fait que la production de laiton reposait sur une technique compliquée inconnue alors en Bohême. Daniel Bursák nous explique le processus nécessaire à la fabrication du laiton :
« Faire du laiton est techniquement compliqué parce que pour allier le cuivre et le zinc, il faut avoir recours à un processus beaucoup plus compliqué que ne l’est par exemple celui pour obtenir du bronze. Ce processus est appelé cémentation. Il faut suivre un protocole très précis sur la manière de fabriquer le laiton dans un creuset fermé avec un couvercle. Il faut maintenir la température entre environ 910 et 1000 degrés, pas plus, pas moins. Et ça, c’est très compliqué si l’on se souvient qu’il n’y avait à l’époque pas d’instrument de mesure pour maintenir la température à un niveau adéquat. »
Les informations obtenues sur la composition isotopique des artefacts ont également permis aux chercheurs de déterminer la provenance des minerais utilisés. Selon eux, le cuivre utilisé pourrait bien provenir de la Gaule :
« C'est probablement la découverte la plus excitante que nous ayons faite jusque-là. Nous savons désormais qu'il est très probable qu’il provienne du Massif central dans le centre de la France [ce qui était alors la Gaule]. Il a probablement été extrait autour de la ville de Lyon et dans la partie sud-est du Massif central. Cette région avait été peu de temps auparavant conquise par César, au cours du premier siècle avant Jésus-Christ. Les Romains ont pu y collecter un grand nombre de ressources potentielles pour leur économie. »
Des analyses complémentaires devraient confirmer l’origine du cuivre.
Cette hypothétique origine gauloise de minerais utilisés pour la confection d’artefacts romains retrouvés dans l’actuelle Tchéquie souligne la complexité des réseaux socio-économiques de l’Empire romain.
Si l’on comprend assez facilement pourquoi les Romains utilisaient des minerais venus des mines de cuivre de Gaule, on peut se demander ce que font ces artefacts romains sur le sol de la Bohême centrale et orientale. Pour Daniel Bursák, cela est notamment dû au contexte historique. En effet, la majorité des échantillons analysés proviennent de l’époque de la dynastie julio-claudienne qui est caractérisée par une intensification des contacts entre Romains et peuples considérés par ces derniers comme barbares. Dès l’an 9 avant J.-C., le règne du roi Marobod qui migra avec plusieurs tribus germaniques en Bohême va de pair avec des relations de non-agression et de neutralité entre la Bohême et Rome. Selon Daniel Bursák, il est possible que le laiton ait servi dans les rapports diplomatiques avec les peuples de Bohême et avec les tribus celtes et germaniques au Nord du Danube et à l’Ouest du Rhin, car il était considéré comme un matériau précieux de par sa ressemblance avec l’or :
« Le laiton a dû être un grand outil diplomatique pour les Romains parce qu’ils étaient capables de le produire à grande échelle ce que les tribus germaniques n’étaient pas capables de faire.
Les Romains, surtout après leur défaite à la bataille du bois de Teutobourg où ils ont perdu trois légions [en 9 après J.-C., sous le règne d'Auguste], étaient assez vulnérables aux attaques germaniques. Nous avons pu constater qu’il y avait un grand afflux d'objets romains dans ces territoires, y compris d’objets en laiton, après cette bataille. Bien sûr, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que ces objets en laiton étaient tous des cadeaux diplomatiques. Cependant, compte tenu de toutes les circonstances, il aurait été très utile pour les Romains de l'utiliser pour la diplomatie. »
L’équipe de chercheurs souhaite désormais se consacrer à l’analyse des pièces de monnaie romaine frappées en laiton comme les sesterces. Elle aimerait montrer que les Romains utilisaient les mêmes matériaux pour leur monnaie que pour les artefacts qu’ils exportaient vers les territoires barbares. Si cela venait à être confirmé, cela changerait la compréhension de l’économie romaine et montrerait l’importance des territoires conquis pour l’économie de l’Empire romain.