Le renseignement tchèque met en garde contre la recrudescence d’une guerre hybride russe
L’expulsion d’officiers de renseignement russes et la fermeture des consulats de Brno et de Karlovy Vary ont fortement limité les activités de renseignement de la Russie en Tchéquie. Cette situation peut toutefois entraîner la recrudescence d’activités s’apparentant à une guerre hybride, a mis en garde le directeur des services de renseignement tchèques (BIS), Michal Koudelka.
Traditionnellement hypertrophiées, les équipes diplomatiques russes ont été largement rééquilibrées depuis un an en République tchèque, l’essentiel de ces « diplomates », en réalité souvent des espions, ayant été expulsés à la faveur des révélations de l’affaire de Vrbětice au printemps 2021. La fermeture des consulats russes de Brno et Karlovy Vary suite à l’invasion en Ukraine a achevé de réduire ces équipes : aujourd’hui, il reste en Tchéquie, six diplomates et 25 membres du personnel administratif et technique de l’ambassade de Russie.
A la faveur d’une conférence sur la sécurité organisée lundi à la Chambre des députés, le chef des services de renseignement Michal Koudelka a toutefois mis en garde les législateurs : privés d’une grande partie de leur capital humain venu directement de Russie sous couvert de diplomatie, limités par les sanctions internationales dans leurs capacités à infiltrer des agents via des couvertures plus ordinaires comme celle d’hommes d’affaires ou autres, les services russes vont changer de tactique et désormais opérer via d’autres méthodes d’influence alternatives comme le détaille Michal Koudelka :
« Les services russes se sont sans aucun doute mis à opérer d’après un plan de longue date, préparé pour faire face précisément à ce type de situations. Nous devons donc être prêts pour de nouvelles formes de méthodes employées par les services russes et savoir y réagir immédiatement. Parmi ces formes alternatives, il y a la possibilité de voir des opérations menées dans le cyberespace, des campagnes de désinformation massives, mais aussi l’utilisation de relais parmi les partisans de la Russie à l’intérieur même du pays. Je pense que la désinformation représente un des plus grands dangers auquel nous faisons face et auquel nous serons encore longtemps confrontés. Or, pour mettre en œuvre ces campagnes, la Russie va pouvoir s’appuyer sur des relais tchèques ici dans le pays. »
Sans grande surprise, le chef des renseignements tchèques relève la synergie thématique des plateformes de désinformation en Tchéquie : comme dans d’autres pays, la convergence des fake news sur la pandémie de Covid-19 et sur la guerre en Ukraine est un des traits caractéristiques, auxquels viennent se rajouter dans le cas tchèque les explosions de Vrbětice attribuées par les autorités tchèques à des agents russes du GRU et au cœur des préoccupations de la scène conspirationniste tchèque.
Autre mise en garde de Michal Koudelka en lien avec la guerre en Ukraine, la possibilité de voir arriver en Tchéquie des agents envoyés par la Russie dans le flux de réfugiés ukrainiens arrivant en Europe :
« Avec plus de 250 000 réfugiés arrivés en Tchéquie, nous sommes dans une situation qui peut aller de pair avec certains problèmes. Il faut dire tout d’abord que la police et le ministère de l’Intérieur gèrent bien la situation actuellement et que la République tchèque fait office de modèle pour d’autres pays concernés de la même façon. 85 % des réfugiés étant des femmes et des enfants, donc du point de vue de nos services, ces gens ne représentent pas de risque particulier. Toutefois, nous devons tabler sur le fait que parmi ces réfugiés peuvent se trouver des personnes envoyées par la Russie avec pour objectif de mener des opérations de subversion. En outre, parmi ces réfugiés peuvent également se trouver des gens qui sont sur la liste noire du Kremlin qui pourraient être en danger une fois la guerre en Ukraine terminée et si le président Poutine a la possibilité de s’intéresser à leur sort. Là aussi, nous devons être prêts. »
La guerre en Ukraine a particulièrement remis sur le devant de la scène le travail du BIS et de son chef, Michal Koudelka, objet de vives critiques ces dernières années par le président tchèque Miloš Zeman qui lui reprochait, précisément, ses rapports annuels sur l’influence russe grandissante en République tchèque ces dernières années et ses révélations relatives à l’explosion de Vrbětice.
Il aura de toute évidence fallu une opération des services russes sur le territoire tchèque dévoilée 7 ans plus tard et la guerre en Ukraine pour donner un poids incontestable aux mises en garde répétées de Michal Koudelka auquel le chef de l’Etat tchèque a refusé à six reprises l’élévation au rang de général.