Vladislav Vančura : fidèle jusqu’à la fin
80 ans se sont écoulés depuis la mort de l’écrivain Vladislav Vančura exécuté par les nazis le 1er juin 1942. La nouvelle de cette exécution avait alors profondément bouleversé tous les amis et lecteurs de l’écrivain qui se rendaient compte que cet événement tragique avait la portée d’un symbole. En assassinant Vladislav Vančura, les nazis ont asséné un coup écrasant à tout le peuple tchèque.
Descendant de hobereaux de Moravie
La vie de Vladislav Vančura n’a duré que 50 ans mais elle a été une vie remplie d’une activité multiforme et fructueuse. L’écrivain et scénariste Zdeněk Mahler, ami de la famille de Vladislav Vančura, gardait de l’écrivain un souvenir ineffaçable :
« Plus je le connaissais, plus je l’estimais. Avant lui, il y a eu cette fabuleuse tradition de sa famille. C’était une famille de hobereaux de Moravie qui en plus étaient lecteurs de la Bible. Il était l’un des meilleurs connaisseurs de la langue tchèque et trouvait son inspiration surtout dans la Bible de Kralice et dans les richesses fabuleuses de son vocabulaire. En résumé, c’était un auteur d’une importance mondiale. »
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Dans l’ascendance de Vladislav Vančura, il y avait donc des connaisseurs de la Bible qui gardaient farouchement leur foi protestante contre les inquisiteurs catholiques, des gentilshommes de petite noblesse mais aussi des chevaliers malandrins sans foi ni loi qui, au Moyen-Age, défiaient l’autorité du roi et dévalisaient des voyageurs sur les routes. Vladislav Vančura fera revivre ces antécédents familiaux dans son célèbre roman Markéta Lazarová.
Un jeune homme qui cherche sa place dans la vie
Tout d’abord la vocation littéraire de ce fils de gérant d’une brasserie industrielle n’est pas évidente. Zdeněk Mahler répertorie les talents de ce jeune homme en quête de vocation :
« La gamme de ses intérêts était vaste. Il s’intéresse d’abord aux beaux-arts mais par la suite il se tourne vers la littérature. Et dans une étape de sa vie, il passe même de la littérature à la création cinématographique. »
Jeune, Vladislav Vančura est attiré par la peinture, il étudie à l’Ecole supérieure des arts et métiers, il rêve d’une carrière maritime. Finalement il s’inscrit à la faculté de droit mais se rend bientôt compte de son erreur, déserte la faculté de droit et se lance dans des études de médecine. Avant de se consacrer entièrement à la littérature, il mène simultanément, pendant un certain temps, les carrières de médecin et d’écrivain.
Un intellectuel engagé face aux défis de son temps
Le talent exceptionnel de Vladislav Vančura le propulse bientôt parmi les personnalités prestigieuses des avant-gardes tchèques, son style le situe parmi les hommes de lettres les plus originaux et il s’impose aussi comme un polémiste brillant. Zdeněk Mahler rappelle aussi son engagement public et politique :
« Vančura, par sa tradition familiale et par les expériences de sa vie, se situait politiquement à gauche et il ne l’a jamais renié. Il a été même un des membres fondateurs du Parti communiste tchécoslovaque, mais il n’était pas d’accord avec beaucoup d’aspects de la politique du parti. Et finalement, en 1929, il a écrit avec plusieurs autres intellectuels une pétition critique pour laquelle il a été exclu du parti. Il n’a jamais plus adhéré à un parti politique mais il faut dire qu’il n’a jamais perdu sa compréhension pour la vie des gens de condition modeste. »
Déjà dans l’entre-deux-guerres Vladislav Vančura s’engage dans le mouvement pour la liberté et la démocratie. Il soutient les émigrés politiques allemands et proteste publiquement contre la violation des droits démocratiques en Allemagne, sous le régime d’Adolf Hitler. Après le début de la Guerre civile espagnole en 1936, il défend ardemment la cause des républicains luttant contre les nationalistes du général Franco. Il se joint à plusieurs initiatives de paix, condamne publiquement les régimes autoritaires dans plusieurs pays européens et insiste dans ses discours publics sur le devoir de protéger les valeurs démocratiques. Il dit entre autres :
« L’art est impensable sans la liberté, sans l’ampleur de la vie, sans les différences et les contradictions qui s’entrechoquent et qui doivent être traitées dans les limites de l’art et par ses moyens. »
La recherche constante de la liberté se reflète aussi dans ses romans et ses contes.
Dans la résistance contre l’occupant allemand
Lorsque la Tchécoslovaquie est envahie par l’occupant nazi en 1939 Vladislav Vančura refuse de rester inactif et s’engage dans la résistance. Malgré le danger de représailles, il assume la présidence du Comité révolutionnaire national des intellectuels, organisation clandestine qui réunit, entre autres, quelques-uns des meilleurs écrivains tchèques. L’historien de la littérature Jiří Flajšman présente cette organisation illégale d’intellectuels courageux qui refusaient de se plier au pouvoir et à la terreur nazis :
« Le Comité révolutionnaire national a été fondé par des intellectuels de gauche et a été actif au début de la période du protectorat allemand en Bohême-Moravie. Ses racines idéologiques plongent cependant dans l’entre-deux-guerres, période de la Première république tchécoslovaque. Au printemps 1938 a été publié le manifeste intitulé ‘Nous resterons fidèles’ signé par des dizaines d’artistes. Les objectifs de l’organisation qui travaillait dans la clandestinité étaient de trouver des informations et de les distribuer à l’étranger, de porter assistance aux personnes vivant dans l’illégalité ou éventuellement de rédiger des documents illégaux. Au moment où Vladislav Vančura est arrêté, le 12 mai 1942, quinze jours avant l’attentat contre Reinhard Heydrich, l’organisation est démantelée par la Gestapo. »
Fidèle jusqu’à la fin
Les nazis n’ignorent pas qu’ils ont arrêté la figure de proue de la résistance intellectuelle tchèque et espèrent au début tirer de Vladislav Vančura des informations sur le mouvement clandestin. L’écrivain est soumis à des interrogatoires cruels, il est malmené et torturé mais il refuse de trahir ses confrères et se réfugie dans un mutisme total. Jusqu’à la fin, il reste fidèle à son intégrité morale et ne cède ni à la pression psychique ni à la torture physique. Après l’attentat contre le protecteur du Reich en Bohême-Moravie Reinhard Heydrich, le 27 mai, l’exécution de Vladislav Vančura devient donc pour ses bourreaux un moyen opportun d’assouvir leur soif de vengeance. Zdeněk Mahler ajoute encore une autre raison pour laquelle les nazis souhaitaient la mort de l’écrivain :
« Lorsque la résistance a envoyé Heydrich en enfer, les nazis ont déclenché de terribles représailles. Les nazis se sont fixé pour but de décapiter le peuple tchèque. Ainsi Vladislav Vančura qui travaillait dans le Comité illégal des intellectuels a figuré parmi les premières victimes exécutées lors de cette vague de représailles. Les nazis savaient qu’il travaillait sur une œuvre qui devait rendre au peuple tchèque la confiance en soi. Il rédigeait Tableaux de l’histoire du peuple tchèque. Il n’en a achevé que les deux premiers tomes et il venait de commencer le troisième. Lorsqu’on est venu pour l’arrêter, son travail a été coupé au milieu d’une phrase. »
Un livre qui couronne l’œuvre de toute une vie
Au cours des dernières années de sa vie, Vladislav Vančura abandonne ses autres projets littéraires pour travailler sur ce livre par lequel il veut ressusciter l’histoire du peuple tchèque. Il collabore avec trois historiens pour évoquer le passé glorieux de son peuple depuis ses origines légendaires jusqu’à l’extinction de la dynastie des Přemyslides. Par cet ouvrage qui couronne l’œuvre de toute sa vie, il cherche à insuffler un nouvel espoir, une nouvelle fierté et un nouveau courage à ses compatriotes qui souffrent sous l’occupation allemande. Même inachevés, ces Tableaux de l’histoire du peuple tchèque resteront un geste grandiose, le geste ultime d’un grand homme qui ne se rend pas et qui poursuit son combat même au-delà de la mort.
Vladislav Vančura est fusillé au champ de tir de Prague-Kobylisy le 1er juin 1942. La mort le sépare de sa femme Ludmila et de sa fille Alena. La nouvelle frappe terriblement tous ceux qui l’aimaient et l’estimaient. Le poète Jaroslav Seifert écrira dans ses Mémoires :
« Quand nous avons entendu à la radio parmi les premiers noms des exécutés le nom de Vančura, nous nous sommes dressés, le souffle coupé et comme pétrifiés d’horreur. Vladislav Vančura ! Par ce nom toute notre génération a été atteinte, notre destin à tous. Par ce nom tout notre pays a été cruellement blessé. »