La Tchéquie dans le top 10 des pays les plus en paix
Au début du mois de juillet, est paru l’Indice Global de Paix 2022. Il s’agit d’un classement de 163 pays du monde en fonction de leur niveau de paix. La République tchèque fait figure de bon élève et se hisse à la huitième place de ce classement. Radio Prague International a discuté avec Serge Stroobants, directeur général pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de l’Institute for Economics and Peace, le centre de recherche à l’origine de ce classement. Il nous explique en quoi consiste ce classement et comment le think tank a procédé pour déterminer le niveau de paix de chaque pays.
« L’index global de paix, ou le Global Peace Index, est une mesure de paix négative contre l’absence de violence, ou de peur de violence. C’est le produit phare de l’Institute for Economics and Peace, qui est un think tank australien mais avec une portée globale. Il dédie ses efforts à l’identification des moteurs de la paix, l’activation de la paix mais aussi l’importation et les bénéfices qui viennent avec une situation plus pacifique. »
« C’est la seizième édition de l’index. Nous avons 163 pays dans l’index qui représentent près de 100% de la population mondiale. Nous utilisons 23 indicateurs sur une échelle de 1 à 5. Nous développons cet index nous-même à l’institut, guidés par de nombreux experts internationaux. »
« Quand je parle de 23 indicateurs, nous avons en fait trois catégories d’indicateurs : six indicateurs qui mesurent l’implication dans les conflits domestiques et internationaux, dix mesures de sécurité interne (c’est-à-dire de sécurité sociétale), sept mesures de militarisation dans lesquelles il y a une mesure positive qui est l’investissement dans les missions de maintien de la paix des Nations Unies. »
Comment expliquer que la République atteigne la huitième place de ce classement ?
« Premièrement, quand on regarde le classement général, quand on regarde les pays qui ont un niveau de paix élevé, on se rend compte que l’Europe – qui est la région la plus pacifique au monde avec les niveaux de paix les plus élevés – est très représentée dans le top 10, le top 20 voire le top 30. Quand on regarde l’évolution au niveau de l’Europe, on se rend compte que ce sont les démocraties libérales, européennes, dans les pays pas trop grands qu’on retrouve dans le top 10, top 20 avec effectivement des mesures qui ont été mises en place depuis 10 ou 20 ans, très positives, qui sont en fait des mesures sur les structures et attitudes qui vont se mettre en place pour créer la paix. On se rend compte que nous y retrouvons des pays comme la Slovénie, la République tchèque, l’Autriche ou encore le Portugal, c’est-à-dire des pays plus petits, mais des démocraties libérales. »
Pourquoi trouve-t-on des petits pays en haut du classement ?
« Quand on regarde ce type de pays, et certainement dans la région européenne, on se rend compte qu’on trouve d’abord ces petits pays-là, suivis ensuite des pays européens avec des aspirations internationales ou des enjeux internationaux, qui sont un peu plus développés et qui ont un grand outil de défense. Dans les deux parties, que ce soit aussi bien dans l’engagement dans certains conflits nationaux ou internationaux que dans la partie militarisation – c’est-à-dire l’investissement dans l’outil militaire mais aussi dans les imports et exports d’armements –, ce sont presque par définition ces pays un peu plus grands, avec plus d’intérêts internationaux et une industrie de défense, qui vont presque d’office avoir un score moins important que les plus petits pays. Ces derniers vont se mettre au sein de l’Union européenne pour en prendre tous les effets positifs et pacifiques. Eux n’ont peut-être pas cette économie de défense si développée, n’ont peut-être pas des intérêts internationaux à défendre. La différence se situe tout à fait là. Mais on retrouve les pays européens en bloc au sommet de l’Index Global de Paix. C’est la région la plus pacifique au monde. »
Certains analystes considèrent que ce que l’on peut attendre de la République tchèque, c’est une position passive, et qu’elle ne s’engagera dans des conflits qu’en cas d’extrême nécessité. Etes-vous d’accord avec cette vision des choses ? Pensez-vous que la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne peut faire évoluer cette position ?
« Ici, on est tout à fait à l’intersection entre la politique interne et la politique extérieure de la République tchèque. On se rend effectivement compte que c’est un pays qui est aussi engagé au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, et qui doit suivre les engagements qui ont été pris à ce niveau-là. Quand on regarde aussi bien au niveau des pays européens que des Etats membres de l’OTAN, on se rend compte que dans les années qui viennent de se passer – certainement pour l’Europe à partir de 2016, et pour les pays de l’OTAN plus ou moins la même période – il y a un réinvestissement dans l’outil militaire. »
« La République tchèque est aussi engagée à ce niveau-là. Nous verrons de toute façon un réinvestissement dans la participation tchèque. Certainement, comme c’est un pays qui est à l’est de l’Union européenne, plus proche de la zone de conflit, nous assisterons à un réinvestissement dans l’outil de défense et son utilisation. Je pense qu’il va y avoir une intersection entre les aspirations de politique interne, qui visent à ne pas aller investir là-dedans, et la réalité extérieure et les engagements qui ont été pris, qui amènent le pays dans la défense. »
« En observant l’évolution de la République tchèque au niveau de l’index, on se rend compte que, sur la période des quinze, vingt dernières années, quand on regarde les niveaux de militarisation, il y a une diminution jusqu’en 2014 et puis un réinvestissement entre 2014 et 2020, et entre 2020 et 2022 à nouveau une baisse de l’investissement tchèque en pourcentage par rapport au produit intérieur brut. On peut imaginer que, vu le conflit en Ukraine et vues les promesses qui ont été faites au sein de l’OTAN, celui-ci va réaugmenter. »
Dans quelle mesure le conflit en Ukraine peut-il impacter la sécurité en République tchèque ?
« On se rend compte que les pays qui sont plus proches du conflit, ou les pays qui sont à l’est de l’alliance, vont voir deux choses. Effectivement, la pression est plus grande parce que le conflit est beaucoup plus proche que pour nous Belges à Bruxelles, ou les Espagnols à Madrid ou encore les Portugais à Lisbonne. C’est une première chose. »
« Deuxièmement, dans la nouvelle conception de l’OTAN, où l’on voit un déploiement de forces – et de forces en grand nombre vers la frontière est de l’alliance – on peut s’imaginer qu’il y aura une plus grande prévenance militaire otanienne dans les pays de l’est. C’est une double évolution que, je pense, des pays comme la République tchèque ou des pays voisins, vont voir dans les semaines et mois à venir. »
Est-ce que le fait que la Tchéquie fasse partie de l’OTAN ou de l’Union européenne permet d’assurer la sécurité du pays, ou au contraire, est-ce que cela n’en fait pas un ennemi direct de la Russie de Poutine, pouvant mettre à mal la paix sur le territoire tchèque ?
« Premièrement, quand on regarde l’évolution de pays semblables à la République tchèque, les pays de l’est de l’Europe, à la chute du mur de Berlin, la totalité de ces pays ont choisi de devenir membre de l’OTAN d’abord et membre de l’Union européenne après. C’était donc la sécurité d’abord et le développement économique ensuite. Ceci vient avec des engagements, et des responsabilités aussi. Clairement, ils se sont engagés dans cette vision otanienne de la sécurité européenne, et maintenant ils font partie de ce club de pays-là qui sont en opposition à la Russie, par rapport à la sécurité européenne, par rapport aux aspirations et intérêts de grandes puissances dans la région. »
« Maintenant, il n’y a qu’un pays qui a décidé d’utiliser la violence dans cette confrontation et c’est la Russie. Ce n’est pas l’OTAN. L’OTAN est une alliance avec une posture défensive qui prend ses précautions par rapport à une agression possible. Je crois que l’OTAN est aussi – et encore – toujours une garantie de sécurité pour la République tchèque. Quand on regarde les actions de la Russie dans les vingt dernières années dans la zone tampon entre les deux anciens blocs, on se rend compte que ce sont les pays partenaires, les pays qui sont juste à la frontière du parapluie de protection de l’OTAN, qui ont été attaqués et dans lesquels on trouve une présence russe. Pour les pays otaniens, on voit clairement que la Russie est réticente à engager une confrontation avec ces pays-là. Etre membre de l’OTAN pour la République tchèque est une garantie de sécurité et une garantie d’intégrité de son territoire. »
La semaine dernière, l’Office suprême d’audit de la République tchèque a affirmé que le pays ne dispose toujours pas d’un système complet et fini de protection des soft targets (écoles, hôpitaux, salles de théâtre...) contre les attaques terroristes. Le risque d’attaques terroristes est-il important en Tchéquie ?
« D’abord, quand on parle du risque terroriste, on se rend compte que depuis l’apogée de son impact en 2014-2015, on a constaté une diminution constante et permanente de l’impact du terrorisme : plus de 70% d’impact en moins dans les cinq ou six dernières années. Quand on regarde aujourd’hui, la valeur de l’impact potentiel d’actes terroristes en Europe, il est vraiment minime comparé au reste du monde et minime par rapport à ce qu’il a été il y a cinq ou six ans. Quand on regarde aussi les motivations pour l’utilisation de l’outil terroriste en Europe, on se rend compte que le terrorisme politique a dépassé de loin, en nombre d’actes, le terrorisme d’aspirations religieuses. Je pense que quand on regarde le potentiel terroriste ou le potentiel de déstabilisation par l’utilisation d’actes terroristes, il y a surtout une menace qui est interne, qui est politique. »
« Maintenant, il y a une autre question beaucoup plus profonde par rapport aux investissements qui ont été fait, durant les deux ou trois dernières décennies. On est clairement entré dans la sécurité en général de nos Etats. Si vous ne faites pas une analyse de sécurité et stratégique simple mais correcte – c’est-à-dire quand vous identifiez votre cible potentielle, vos intérêts internes et les risques qui peuvent porter atteinte à ces intérêts –, vous ne serez pas capable d’identifier les doctrines à mettre en place, de les développer dans les temps, ni d’identifier clairement les capacités qui sont nécessaires à établir la sécurité dans votre pays. Vous êtes donc dans une situation, comme beaucoup de pays européens le sont aujourd’hui – pas seulement la République tchèque – où vous vous rendez compte que la menace à laquelle nous faisons face est une menace hybride, non seulement au niveau de la sécurité et de l’outil de défense, mais aussi une menace à laquelle fait face l’entièreté de notre société et donc aussi les soft targets. »
En consultant plus en détail les résultats de l’étude, on se rend compte que la République tchèque a des résultats moins bons sur trois indicateurs en particulier : la perception de la criminalité dans la société, les agents de sécurité et la police, et la population incarcérée. Comment expliquer ces résultats et quels conseils peuvent être donnés à la Tchéquie pour s’améliorer et rester dans le groupe des pays le plus en paix ?
« On voit effectivement qu’il y a deux zones un peu en rouge au niveau de la République tchèque, mais vous avez toujours un résultat qui est meilleur que l’année passée. La République tchèque a augmenté d’une place au classement. C’est donc toujours positif. Quand je regarde sur la sécurité interne, je vois l’indicateur du nombre de policiers par cent mille habitants qui est au rouge, la perception de la criminalité qui est au rouge et aussi le pourcentage d’homicide qui est au rouge. On voit clairement là quelque chose qui peut être relié à une situation de manque de paix sociale, à une instabilité politique dans le pays. »
« Il n’y a pas que la République tchèque qui rencontre ces problèmes au niveau de l’Europe, et même au niveau mondial. C’est une évolution qui est valable dans beaucoup de pays. Le deuxième point rouge au niveau des 23 indicateurs, c’est dans le domaine ‘militarisation’. Si on rentre dans une certaine logique de compétition internationale – qui est une évolution vers laquelle beaucoup de pays iront –, on voit que le nombre de militaires par rapport à cent mille habitants est en nette amélioration, l’importation d’armement aussi tout comme le pourcentage par rapport à l’investissement dans le militaire. »
« On voit clairement que là, aussi bien une situation de paix sociale pour la sécurité interne qu’un engagement international et les effets de la situation internationale ont un effet sur certains indicateurs. Par exemple, on voit aussi que la République tchèque a beaucoup moins exporté d’armement et a investi beaucoup plus dans les missions de la paix des Nations Unies. On voit aussi que le taux d’incarcération, l’impact du terrorisme et que le nombre des personnes déplacées, et réfugiées est au vert, c’est-à-dire très positif pour la République tchèque. »
« On a donc un index qui est très complexe, sur une base de 23 indicateurs, et on se rend compte à certains moments que le rouge balance le vert. Le niveau est plus ou moins similaire à l’année précédente, avec une légère amélioration et une place à l’avant au classement dans l’index. »