Un siècle sans Jaroslav Hašek, géant de la littérature tchèque et mondiale
Ce 3 janvier marque le centième anniversaire de la mort de Jaroslav Hašek, père du mythique Soldat Chveïk et d’autres trésors littéraires.
C’est l’événement de l’année ce mardi à Lipnice nad Sázavou, où est commémorée la mort de l'écrivain Jaroslav Hašek, le 3 janvier 1923. L'homme de lettres y a passé les dernières années de sa vie. Selon le maire, Zdeněk Rafaj, l'événement débutera dans la maison de Hašek, qui abrite son mémorial. Puisque 2023 sera également l'année du 140e anniversaire de la naissance de Jaroslav Hašek, d'autres événements lui seront consacrés dans la ville, notamment une exposition humoristique et une conférence.
« Nous voulons commencer par la maison, on entendra quelque chose sur la façon dont Hašek est mort et comment ses funérailles ont été organisées. Ensuite, nous irons au cimetière, où Vysočinka jouera sa chanson de brasserie préférée, Jede sedlák do mlejno. Enfin, nous irons à l'auberge U (České) koruny, où nous voulons montrer le témoignage du scribe personnel de Hašek, Kliment Štěpánek », a indiqué Zdeněk Rafaj. Selon lui, Hašek vivait dans l'auberge à l'époque où il fit réparer la maison dans laquelle il passa les derniers mois de sa vie.
Un siècle après sa dispartition, Jaroslav Hašek est probablement l’écrivain de langue tchèque le plus connu dans le monde. Il doit sa notoriété au roman satirique dans lequel il raconte les aventures du soldat Josef Chveïk pendant la Première Guerre mondiale. Ce chef-d’œuvre ne saurait occulter le reste de l’œuvre de Jaroslav Hašek et notamment de son autre ouvrage magistral et intemporel, Histoire du parti du progrès modéré dans les limites de la loi.
Au-delà du portrait de ce que les Tchèques appellent en français et avec un plaisir non-dissimulé un « bon-vivant », Jaroslav Hašek était un homme au parcours assez peu banal, comme le raconte l’un de ses biographes, Radko Pytlík :
« Je pense que Hašek a eu une enfance normale mais marquée aussi par les aspects tragiques de la vie de sa famille. Son père était un mathématicien qu’on disait génial, son frère est également devenu plus tard mathématicien. Hašek était donc un fils d’une famille qui avait la mémoire mathématicienne et c’était très important aussi pour sa création. Il gardait en mémoire certains détails pendant vingt ans et cela émergeait tout à coup dans un moment de concentration. Hašek n’était pas donc qu’un bavard planté à la table d’une brasserie, car il dépassait toujours le niveau moyen. Certains intellectuels, comme l’écrivain Jiří Mahen, l’admiraient même et disaient qu’il y avait en lui quelque chose de plus que dans les autres membres de la bohème de Prague. »
Pris dans l’engrenage du cataclysme mondial qui éclate en 1914, Jaroslav Hašek aura la force et la chance de survivre à l’enfer du front et y puisera de l’inspiration pour les aventures du brave soldat Chveïk, son chef d’œuvre qui verra le jour au début des années 1920. Radko Pytlík voit plusieurs facteurs qui ont contribué à la gestation de cette œuvre :
« Ces terribles cinq ou six ans de guerre ont été pour Hašek un tournant existentiel à la limite entre la vie et la mort. Il a subi l’expérience horrible de la guerre des tranchées, qui ne doit pas être prise à la légère, et de la détention dans le camp de Totskoïe, où plus d’un tiers des 16 000 prisonniers de guerre ont succombé à la fièvre typhoïde. Tout cela a fusionné par la suite dans le personnage de Chveïk avec les événements politiques et historiques d’après-guerre. Hašek, qui avait participé à la fondation des légions tchécoslovaques en Russie, a été accusé après son retour en Tchécoslovaquie de haute trahison et on lui a retiré son titre de légionnaire. Tout cela a donc abouti à la création du personnage très synthétique du soldat Chveïk. »
Benoît Meunier est l‘auteur de la dernière traduction en français du roman, publiée aux éditions Gallimard il y a deux ans :
« Il faut d’abord rappeler qu’au départ, ne serait-ce que chez les intellectuels, le succès n’avait rien d’évident. La réception par la critique a même été assez désastreuse. On jugeait que l’œuvre était vulgaire, stupide et dégradante. Il a fallu beaucoup de temps pour que les critiques tchèques et les théoriciens de la littérature en acceptent la valeur et admettent qu’il s’agit de bien plus que d’une simple farce. Après, le rapport qu’entretiennent les Tchèques avec Švejk est compliqué. Effectivement, c’est l’homme du peuple et il ressemble un peu à tous les Tchèques, mais ce n’est pas si simple. D’abord parce que c’est un type de personnage que l’on trouve dans d’autres littératures slaves, comme par exemple des personnages de contes russes. Les Tchèques ont avec Švejk un rapport de ‘cadavre dans le placard’ ; ils l’aiment bien, mais ils le cachent un peu. »
« Cent ans plus tard - dans Chveïk, Hašek a ridiculisé les grandes idées qui ont poussé les gens à faire la guerre » : le titre d’une dépêche de l’agence ČTK reprise dans plusieurs médias nationaux montre à quel point se tourner vers le brave soldat aide certains à prendre du recul à l’heure où l’Europe est une nouvelle fois meurtrie de manière effroyable.
Un siècle après sa mort, nombreux sont ceux à lui rendre hommage dans son pays natal, même si l’un des candidats à la présidentielle, interrogé sur son œuvre, a brillé par son ignorance.
L’un des journaux que possède ce même candidat organise cette semaine un quizz sur Jaroslav Hašek tandis que d’autres magazines rendent hommage à celui décrit comme « un précurseur du dadaïsme et de la cimrmanologie » (une science exacte et tchèque) ou « un boute-en-train génial ».