Les affiches du Musée des Arts décoratifs de Prague ont aussi leur mot à dire
Dans le bâtiment principal du Musée des Arts décoratifs de Prague (UPM) est à voir l’exposition « La langue de l’affiche, 1890-1938 ». Les joyaux qui la constituent ont été piochés parmi les 35 000 affiches de la collection du musée, l’une des plus anciennes au monde. Avant-gardiste, cette institution en expose de manière permanente depuis 1901.
Une fois les portes en bois passées s’étalent sur les murs de la salle de grandes toiles colorées. Le spectateur est confondu puisque les affiches à sa vue s’apparentent à des tableaux, or s’approcher lui permet de réaliser qu’elles sont plutôt des lithographies minutieusement travaillées. L’observateur attentif y décèlera la signature de Gustav Klimt ou Toulouse-Lautrec. Pourtant, beaucoup d’affiches ne comportent aucun nom. Lucie Vlčková, curatrice de l’exposition, explique que ces œuvres conçues entre la fin du XIXème et la première moitié du XXème siècle n’ont pas toutes été réalisées par des artistes. En ce sens, l’affiche témoigne de la démocratisation des arts manuels :
« La popularité de l’affiche dans les années 1890 était liée au nouvel attrait pour des expressions artistiques auparavant dénigrées au sein de la hiérarchie classique des arts. L’illustration, le graphisme – ce qui s’adressait en fait à une plus large audience et ne requérait pas de formation artistique – est alors devenu intéressant. »
Au tournant du XXème siècle, ce médium se développe presque simultanément aux quatre coins de l’Europe. À Prague, Vienne ou Paris apparaissent des modèles grands formats, destinés à être exposés dans l’espace public. Les créateurs tchèques sont alors en étroite collaboration avec d’autres pays – la France notamment. Lucie Vlčková :
« Alfons Mucha, Luděk Marold, Arnošt Hofbauer et d’autres ont étudié ou travaillé là-bas. Leur inspiration a voyagé, à travers leurs affiches, de Paris en Bohême.
Un peu plus tard, pendant l’entre-deux guerres, l’affiche tchèque s’est émancipée de la sphère artistique pour converger totalement vers le domaine publicitaire. Elle a alors excellé par son originalité. Affranchie des modèles étrangers, elle fut portée par des artistes comme Vilém Rotter, Leo Heilbrunn ou Zdeněk Rykr. »
Ses couleurs distinctives, sa simplicité picturale et l’importance qu’elle accorde à un motif principal caractérisent cette dernière. Moins riche picturalement que l’affiche française, l’affiche tchèque contourne aussi les codes du fonctionnalisme et des principes de la Nouvelle Typographie. Elle n’est pas aussi austère que ces dernières, dont le langage employé est foncièrement économique, rationnel, épuré.
Un marqueur historique
Mais ce que met en évidence l’exposition, c’est qu’un poster sait raconter son époque. Lancé par un besoin massif de partager l’information couplé à l’expansion de l’industrie, ce médium s’adapte et encourage la nouvelle société de consommation. Lucie Vlčková :
« Une affiche est un média imprimé qui reflète son temps de manière exemplaire. Puisque sa durée de vie est comptée en semaines, elle emploie un langage actuel. L’affiche montre ce qui est tendance à une époque donnée. D’une certaine manière, c’est une source historique : elle documente l’existence de marques, de biens, de modes de vie, de documents culturels, d’événements politiques. »
Pour autant, les affiches se jouent des codes de la réalité. Ses concepteurs savent comment attirer l’œil et attiser le désir du consommateur. En dictant ce qui est bon de posséder, les affiches font du fantasme une nécessité. Ainsi, Lucie Vlčková explique que comme tout autre moyen de communication, leur témoignage doit être pris avec un certain degré de vigilance.
« Elles expriment les rêves et les idéaux davantage que le réel lui-même. Par exemple, les posters politiques, de guerre ou électoraux utilisent des moyens visuels pour appuyer leur message, en héroïsant les alliés ou en diabolisant les ennemis. »
De l’art ?
À mesure qu’il déambule dans le musée, le spectateur est interloqué. Il sait qu’il a affaire à des œuvres puisqu’il visite une exposition. Pourtant, la finalité des affiches n’est pas l’art, puisqu’elles ont un but publicitaire. Elles promeuvent autant cigarettes que spectacles ou bien films de science-fiction. Il semblerait donc que ce soit plutôt leur finesse d’exécution et leur institutionnalisation qui élèvent les affiches au rang d’œuvres d’art. Œuvres d’art qui, alors que d’importantes transformations de l’espace public se produisent, sont portées à la vue de tous. Lucie Vlčková explique pourtant que ce médium n’a pas particulièrement permis de rendre l’art accessible aux foules.
« À l’époque, les théoriciens de l’affiche savaient très bien qu’elles pouvaient cultiver le goût du public, voire l’éduquer artistiquement. Néanmoins, je ne surestimerais pas ce rôle. Les chromolithographies, qui reproduisaient des œuvres d’art déjà existantes, ont davantage agi pour démocratiser l’art auprès des masses – et ce à partir de la deuxième moitié du XIXème siècle. Ces tirages étaient d’une qualité exceptionnelle et constituaient la seule solution pour reproduire des œuvres d’art en couleur. Ils étaient utilisés dans les écoles, les églises, à des fins publicitaires… Les premières affiches ont été imprimées grâce à cette technique. Cependant, la chromolithographie n’est pas idéale pour la publicité : elle est chère et chronophage. »
Aujourd’hui, celle qui a marqué son époque n’est plus que chiffon de papier. Victime des avancées technologiques, l’affiche d’antan se retrouve cantonnée à un type de publicité très singulier. Selon Lucie Vlčková, cette dernière est même vouée à disparaître.
« L’affiche occupait une position importante à la fin du XIXème siècle et dans le premier quart du XXème. Si on exclut les publicités peintes sur les façades, elle était le seul médium visible dans l’espace public. À partir de la fin des années 1920, des formes modernes de publicité telles que les enseignes lumineuses et les films l’ont concurrencée. Pourtant, l’affiche a perduré en tant que forme de publicité rapide et bon marché. »
« Mais l’avènement des médias numériques a changé la donne. Aujourd’hui, je pense que l’affiche survit principalement par romantisme. Les affiches les plus courantes restent celles qui promeuvent la culture – théâtres, galeries, expositions, films. En s’emparant de la fonction publicitaire, les médias digitaux ont conduit les affiches dépeignant des biens de consommation à se raréfier. Ce qui faisait la force de ces dernières était qu’elles étaient exposées dans l’espace public. Nous vivons actuellement dans le monde digital et d’autres moyens de communication correspondent à cela. Je pense donc que l’affiche est malheureusement complètement morte. »
L’exposition « La langue de l’affiche, 1890-1938 » est accessible jusqu’au 30 avril au Musée des Arts décoratifs de Prague.