« Correspondant à l’étranger, un travail qui ne s’arrête jamais »
Qu’est-ce que le quotidien d’un correspondant de la Radio tchèque à l’étranger ? Comment s’organise sa journée ? Comment combiner vie professionnelle vécue en solitaire, loin d’une équipe rédactionnelle, et vie familiale, deux facettes incessamment entremêlées ? Telles sont quelques-unes des questions que nous avons posées à Martin Balucha, correspondant à Paris, à l’occasion du centenaire de la Radio tchèque.
« Cela fait un an que je suis à Paris. J’ai commencé ma correspondance en mars 2022. Au début j’ai pas mal fait des allers-retours Prague-Paris pour des questions administratives et pour bien mettre en place le poste qui n’existait pas depuis longtemps. Avant, Jan Šmíd occupait cette fonction, mais maintenant il travaille pour la Télévision tchèque. Je viens récemment fêter un an de correspondance à Paris en tant que correspondant de la Radio publique tchèque. »
Cela faisait quelque temps qu’il n’y avait pas de poste de correspondant tchèque à Paris. Pourquoi ce choix de renouveler ce poste ?
« Il y avait plusieurs raisons pour renouveler cette correspondance : l’élection présidentielle en France l’an dernier, ensuite les législatives. Il y avait beaucoup de sujets qu’on voulait suivre de très près, comme les candidatures présidentielles, puis le duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, ensuite les législatives qui étaient importantes puisque ce dernier n’a pas obtenu de majorité à l’Assemblée. Depuis le Brexit, il y a beaucoup de sujets qui rendent la France encore plus importante puisqu’il y a beaucoup d’entreprises qui ont déménagé à Paris. Et puis l’an prochain, il y aura les Jeux olympiques de Paris qu’on veut également suivre de près. Et entre-temps, je dois traiter de beaucoup d’autres sujets : la politique, l’actualité brûlante, la culture, les échanges entre la Tchéquie et la France, les sujets qui nous sont communs… »
Combien d’années un correspondant passe-t-il en général à l’étranger et quels sont les critères pour le sélectionner ?
« D’habitude c’est pour deux ans, une période qui peut être encore prolongée de deux ans. Il y a toujours une discussion pour savoir si on va garder le poste ou non. Parce que c’est difficile de maintenir un tel poste, c’est cher, or la situation financière actuelle de la Radio tchèque n’est pas évidente. Donc c’est un privilège, une mission qui est très importante : avoir un correspondant dans un pays, c’est pouvoir suivre de très près les sujets qui nous concernent. Aujourd’hui, bien sûr, grâce aux réseaux sociaux, aux agences comme l’AFP ou Reuters, il y a des sujets qu’on peut traiter depuis Prague, mais pas tous les sujets qui nous intéressent. Or ces grandes agences ne vont pas suivre tous les événements qui nous intéressent en tant que Tchèques. Lorsque le Premier ministre Petr Fiala était à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron, les grandes agences sont évidemment sur place, mais la Radio tchèque n’aurait pas la possibilité de poser des questions : il faut donc avoir quelqu’un sur place pour poser des questions, mener des entretiens.
En tant que Tchèques, il y a des sujets qui nous intéressent particulièrement : la réduction de la vitesse à 30 km/h dans les grandes villes est un sujet qui fait beaucoup parler à Prague aussi. La santé également, les déserts médicaux nous concernent tous. Tout cela peut relever de ce qu’on appelle du ‘journalisme de solution’ : voir ce qui se passe ailleurs pour en savoir davantage. Par exemple, je vois qu’en France, on implique davantage les pharmaciens qui essayent de traiter les petits bobos pour désengorger les urgences, aider les médecins. Ça, c’est plutôt une bonne idée, même si elle ne plaît pas à tout le monde.
Il y a aussi des sujets culturels comme l’exposition Alfons Mucha qui permet de rappeler les liens entre Prague et Paris. C’est donc très important d’avoir des correspondants sur place : à Paris, mais aussi à Berlin. On en avait aussi un à Londres, c’est dommage que ce ne soit plus le cas, mais la Télévision tchèque a maintenu le poste. »
Le travail de vos collègues journalistes à Prague peut être généraliste, mais il y a aussi des journalistes spécialisés, qui traitent davantage de sujets culturels, ou sportifs par exemple. Par contre, le correspondant à l’étranger a une tâche immense : il doit tout couvrir, tous les domaines et un pays entier, donc il doit savoir s’orienter dans tout…
« Le travail ne se termine jamais, en fait. Je peux vous donner un exemple. Récemment, j’étais déjà prêt à me coucher, mais j’ai encore regardé Twitter. J’ai vu qu’il y avait eu une tribune de 80 parlementaires qui souhaitaient que la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna déclare l’ambassadeur chinois en France persona non grata – donc le premier pas avant une expulsion du pays… »
Rappelons le contexte, c’était après les propos de ce dernier remettant en question les frontières des Etats issus de l’ancien bloc soviétique…
« C’est cela. Or j’ai réalisé que parmi ces 80 parlementaires européens il y avait 8 personnalités tchèques. Donc c’est toujours bien d’avoir un correspondant sur place car les agences vont traiter le sujet d’une manière générale, mais pas en fonction de l’intérêt tchèque. Du coup, je me suis relevé et j’ai tout de suite rédigé une brève. C’est aussi un exemple du fait que le travail d’un correspondant ne s’arrête jamais. Je réalise qu’il y a beaucoup de choses que j’ignore, je dois apprendre des choses constamment, j’essaye de rencontrer un maximum de personnes. Donc vraiment, on n’arrête jamais. »
D’ailleurs, je voulais justement vous demander comment on organise sa journée de correspondant, mais on ne l’organise pas, en réalité, c’est du non-stop…
« En fait, on s’organise. Mais la journée d’un correspondant peut être très variée, très diverse. D’ordinaire je commence après 6 heures du matin, j’écoute la radio, France Info, France Inter. Je regarde Twitter, les réseaux sociaux sont aussi une source importante d’informations. Je rédige un plan de la journée que j’envoie à mon chef qui fait la sélection des sujets qui pourraient intéresser les éditeurs à Prague. Mais la journée peut aussi être différente. Je peux avoir un déplacement, car je voyage beaucoup pour les tournages. Mais je peux aussi travailler depuis mon bureau, qui est en fait mon appartement. Je dois essayer de combiner le travail incessant et la vie familiale. Je suis marié, j’ai un enfant de trois ans, et ce n’est pas toujours évident de faire coexister les deux mondes. Les deux s’entremêlent sans cesse. Il y a toujours quelqu’un qui peut m’appeler, des actualités brûlantes qui m’obligent par exemple à revenir à la maison pour traiter un sujet. C’est intéressant, mais ce n’est pas facile. »
Nous savons tous les deux qu’il nous arrive de traiter des sujets qui ne nous intéressent pas nous personnellement, mais c’est normal, cela fait partie du travail. Mais j’aurais aimé savoir si au cours de cette année écoulée il y avait eu un reportage, une rencontre, qui vous avait particulièrement marqué ?
« Il y en a beaucoup, c’est difficile de choisir un seul tournage, une seule personnalité. Je vais en choisir deux. Récemment, j’étais en Bretagne pour un sujet d’histoire concernant un aviateur tchécoslovaque, Robert Ossendorf, dont l’avion est tombé dans la région pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des agriculteurs bretons l’ont sauvé. C’est une histoire magnifique à tous points de vue : d’une part le courage de cet aviateur tchécoslovaque qui a participé à des actions contre les nazis, de l’autre part, celui des Français qui l’ont secouru et abrité. Il y a aussi le point de vue des historiens français qui ont fait des recherches et n’ont pas permis qu’on oublie cette histoire. Et puis il y a aussi le volet tchèque : les descendants de cet aviateur sont toujours vivants et sa famille s’intéresse beaucoup à cette histoire. C’est donc un plaisir de traiter ce sujet.
Le deuxième sujet très important, c’était le déménagement de la bibliothèque de Milan Kundera à Brno. J’ai eu la possibilité de faire des interviews avec Věra Kunderová, Tomáš Kubíček, le directeur de la Bibliothèque à Brno, et de suivre de très près ce déménagement à Brno des livres d’une des écrivains tchèques les plus réputés au monde. C’est également un privilège. Et c’est aussi un des avantages d’avoir un correspondant en France, puisque les agences ne couvriraient pas ce genre de choses. »