100 ans de la Radio tchèque : les secrets des bruiteurs et créateurs des pièces radiophoniques
Pour ce 18 mai, nous avons préparé un programme composé de reportages qui vous feront découvrir les coulisses de la Radio tchèque.
« Allô, allô ! Ici la station de diffusion Radiojournal… » Il est 20 heures et 15 minutes le 18 mai 1923 quand, depuis une tente militaire installée dans le quartier de Kbely à Prague, la première émission de radio pour le public est diffusée dans l’ancienne Tchécoslovaquie.
Six mois seulement après la BBC en Grande-Bretagne, qui est la plus ancienne station de radio dans le monde, la Tchécoslovaquie devient ainsi le deuxième pays en Europe à diffuser régulièrement des émissions radiophoniques.
La Radio tchécoslovaque peut même se prévaloir d’avoir été la première en Europe, dès 1924, à retransmettre en direct des événements sportifs. C’est aussi l’époque des premiers reportages et des premières émissions culturelles. Les enregistrements les plus anciens à avoir été conservés datent des années 1930.
« Croc-Blanc », une perle dans les archives de la radio
Dans les archives de la Radio tchèque se trouve ainsi un enregistrement unique en son genre d’une pièce radiophonique diffusée en direct en décembre 1937. Il s’agit d’une adaptation de « Croc-Blanc », le roman de Jack London.
Dans son petit studio, Miloslav Turek, qui s’occupe de la numérisation des archives de la Radio tchèque, sort de son emballage l’un de ces vieux disques de 30 centimètres de diamètre. Ceux-ci contiennent trois minutes d’enregistrement par face, joué de l’intérieur vers l’extérieur. C’est un peu par hasard que Miloslav Turek a découvert cet enregistrement de « Croc-Blanc » dans les fonds sonores de la radio.
« Malheureusement, les disques étaient déformés, courbés, seuls certains extraits de la pièce pouvaient encore être écoutés. J’ai donc eu l’idée de mettre les disques par terre et de poser de lourdes boîtes dessus. Je n’y ai pas touché pendant environ dix ans, les oubliant même un peu… Quand je les ai retrouvés, j’ai été très surpris de constater que les disques étaient redevenus plats et que l’on pouvait désormais écouter l’enregistrement dans son intégralité. »
« Aujourd’hui, il n’est plus possible de diffuser ce ‘Croc-Blanc’ à la radio. Tant d’un point de vue artistique que technique, l’œuvre ne remplit plus les critères de qualité auxquels nous sommes habitués. Mais pour le centenaire de la Radio tchèque, nous avons mis la pièce en ligne sur notre site Internet et les amateurs de radio prendront plaisir à l’écouter. C’est quelque chose qu’ils n’ont encore jamais entendu ! »
Les secrets des bruiteurs de la Radio tchèque
En 1937 et bien des années plus tard encore, bruiteur a été un métier indispensable à la radio. Si le travail de ces artistes a progressivement été remplacé par des banques de sons, la Radio tchèque possède néanmoins toujours, même à l’époque du numérique, deux spécialistes dans le domaine du bruitage. Elle fait appel à eux notamment lors de l’enregistrement de pièces radiophoniques diffusées en direct.
Petr Šplíchal et Jiří Litoš nous confient leurs secrets :
« Pour imiter le chant du coucou dans la forêt, nous utilisons un appareil équipé de soufflets et de sifflets…. Il faut savoir s’en servir, appuyer dessus comme il faut. »
« C’est la même chose pour le bruit de sabot du cheval. Pour cela, nous possédons un pavé et une noix de coco coupée en deux. Le bruit d’un carrosse se fait avec un moulin à café… »
« Déplaçons-nous maintenant dans la jungle… Ici, ce sont des bandes magnétiques qui permettent de faire croire que le personnage marche dans la végétation. Le cri du tigre, quant à lui, est le fruit de l’utilisation d’un tuyau d’électriciens. »
« Et lorsque le personnage marche dans la neige, le bruit provient d’un sac plastique rempli d’amidon en poudre. Ce que les auditeurs ne voient pas non plus, c’est qu’il ne s’agit pas d’un sac plastique ordinaire, mais d’un préservatif… qui convient parfaitement à cet effet. »
Les pièces radiophoniques « en live »
A la Radio tchèque, les artistes bruiteurs sont donc sollicités lors de la création de pièces radiophoniques enregistrées et diffusées en direct sur les ondes et en streaming vidéo. Ce genre d’événements, auquel assiste le public et qui a été inventé à la radio allemande, remporte un grand succès auprès des auditeurs tchèques, et ce depuis le lancement du projet il y a six ans de cela.
« Tout a commencé un peu par hasard, avec une pièce mettant en scène le détective Sherlock Holmes », raconte Vít Vencl qui a ensuite réalisé une adaptation de « L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde », du « Double assassinat dans la rue Morgue » d’Edgar Allan Poe ou encore « De la Terre à la Lune » de Jules Verne.
« La station ‘Dvojka’ (La Deux) souhaitait consacrer l’été 2017 au roman policier. Mais il en a été décidé trop tard pour pouvoir produire une pièce radiophonique digne de ce nom. C’est comme ça que nous avons eu l’idée de diffuser une pièce en direct, un peu comme le faisaient nos ancêtres-collègues à la radio il y a plus de 70 ans. »
Une fois par an, comédiens, bruiteurs, musiciens et public se réunissent dans le grand studio A situé dans le bâtiment de la radio à Prague-Karlín, pour vivre, avec les auditeurs et les spectateurs, cette aventure que représente toujours toute tentative de reconstituer un mode d’enregistrement semblable à celui de la première moitié du XXe siècle :
« Préparer le studio pour l’enregistrement nous demande une semaine. C’est la partie la plus difficile du projet, car les studios actuels sont tout à fait différents des studios de l’époque. C’est comme si nous voulions qu’une voiture d’aujourd’hui fonctionne comme un véhicule à vapeur ! Pour ce qui est du jeu des comédiens, de la musique, des bruits, cela n’est pas tellement compliqué à mettre en scène, car nous avons tous l’expérience du théâtre, d’une production en direct. »
« Le streaming vidéo est aussi important que le reste : il montre que tout est produit en temps réel, en direct. Car évidemment, pour nous, les professionnels, enregistrer une pièce radio dans de telles conditions ne permet pas d’obtenir un résultat vraiment satisfaisant du point de vue des exigences techniques de notre époque. On peut dire en plaisantant que c’est comme si des adultes jouaient à la radio… »
Bella Figura : les passerelles entre le théâtre et la radio
Nous sommes dans le même bâtiment de la Radio tchèque du quartier pragois de Karlín, mais dans un autre studio, plus petit. L’équipe du metteur en scène Lukáš Hlavica y répète « Bella Figura », une pièce drôle et cruelle sur la rencontre entre deux couples de quadragénaires qui font « bonne figure » jusqu’à l’effondrement.
« Je joue Andrea qui est tombée amoureuse d’un homme marié. Alors pour elle, c’est évidemment mal parti… ! », nous explique en français la comédienne Petra Bučková.
Cette fois-ci, pas question d’enregistrer en direct : tout est soigneusement préparé pendant plusieurs semaines : on répète, on enregistre chaque séquence à plusieurs reprises, on travaille en post-synchronisation. Une particularité quand même : le réalisateur Lukáš Hlavica s’occupe lui-même du bruitage.
« J’ai l’avantage de connaître parfaitement l’action des comédiens. Je suis tout seul au studio, avec tous les objets dont j’ai besoin. J’entends dans le casque les voix des comédiens déjà enregistrées et je bouge comme eux le feraient dans cette situation précise, en prononçant leurs répliques. Ainsi, je me mets dans la peau de chaque personnage. J’aime bien ça, c’est une partie assez ludique du travail sur la pièce. »
« L’un des défis auxquels nous sommes confrontés quand nous adaptons une pièce de théâtre à la radio est le fait qu’un personnage disparait en quelque sorte lorsqu’il n’a pas de réplique pendant un moment. Aujourd’hui, par exemple, on enregistre une scène où les cinq personnages créés par Yasmina Reza sont assis autour la table et ont une longue conversation. Les comédiens doivent alors marquer leur présence par la respiration par exemple ou par des interjections. Non pas de manière artificielle, mais parce qu’ils vivent réellement la situation. Aussi, le personnage qui parle peut faire comprendre à l’auditeur comment ses propos sont perçus par les autres personnages, dans quel état d’esprit ils se trouvent. »
Hajaja une émission culte pour les enfants
« Pour moi, la radio est une des disciplines les plus exigeantes. Le physique n’y joue aucun rôle… Il s’agit de transmettre les émotions à travers le micro, en ayant une technique parfaite. Rien ne vous sauve si vous ne la maîtrisez pas », nous a confié Petra Bučková, cette fois-ci en tchèque.
Si l’actrice a un faible pour la radio, c’est aussi parce qu’elle a grandi, comme plusieurs générations d’enfants tchèques, avec la série radiophonique Hajaja, diffusée sans interruption depuis 1961. Petra Bučková a d’ailleurs eu l’occasion de la présenter, il y a quelques années de cela : un moment fort en émotion pour elle…
En effet, quatre ans avant que la Télévison tchécoslovaque ne lance son émission culte Večerníček, elle aussi diffusée jusqu’à nos jours, la radio proposait aux petits auditeurs tous les soirs, avant 20h00, une histoire d’une dizaine de minutes pour mieux s’endormir. Au début, le conte leur a été lu par le lutin Hajaja, d’où le nom de l’émission dont Zuzana Sikačová était la responsable au cours de la dernière décennie pour la station Dvojka :
« Le concept de l’émission n’a pas changé depuis les années 1960 et je pense que c’est bien. C’est un conte lu par un comédien, sans musique et sans effets sonores. Ce qui a changé au fil du temps, ce sont les contes eux-mêmes. Mis à part les contes de grands auteurs de littérature tchèque pour enfants, Hajaja est une pépinière d’écrivains émergeants qui écrivent des histoires spécialement pour cette émission. Quand Hajaja en était à ses débuts, c’était une émission extrêmement populaire : tout un département lui était destiné à la radio pour répondre aux lettres que les enfants adressaient au lutin Hajaja. Même aujourd’hui, nous avons des retours de la part de nos jeunes auditeurs. Souvent, ils écoutent l’émission avec leurs grands-parents. »
La vie d’un correspondant en France
Une autre émission très populaire de la Radio tchèque qui n’a pas vieilli depuis son lancement en 1955 s’appelle « Zápisník zahraničních zpravodajů » (Le carnet des correspondants étrangers). Sous le régime communiste, où les possibilités de voyager étaient très limitées, ce magazine hebdomadaire composé de reportages était une fenêtre sur le monde pour les auditeurs de la Radio tchécoslovaque.
Aujourd’hui, dans un tout autre contexte, « Zápisník » demeure une émission appréciée des auditeurs de la station Radiožurnál. Elle est conçue par une dizaine de journalistes : d’envoyés spéciaux et de correspondants à l’étranger.
Martin Balucha fait partie de cette équipe. Au micro d’Anna Kubišta, il nous raconte son expérience de correspondant permanent de la Radio tchèque en France.
Faites-nous savoir où vous avez écouté notre émission ! Nous aimerions savoir quel public dans le monde la Radio tchèque touche encore aujourd’hui, 100 ans après sa première émission.