La zmijovka, bonnet traditionnel tchèque devenu symbole en Afrique et sujet d'un futur film
C'est un bonnet facilement reconnaissable grâce à sa forme et son design pas comme les autres : la zmijovka a également une histoire et un parcours pas comme les autres. Aujourd'hui ce couvre-chef tchèque est le sujet d'un film documentaire en cours de production et qui retrace les liens tissés par ce bonnet entre Europe centrale et Afrique occidentale. Entretien avec sa réalisatrice française, Violette Deffontaines.
Violette Deffontaines : « J’ai fait des études à la FAMU de Prague et c’est là que j’ai acheté mon bonnet. De retour en France, je me suis rendue compte qu'il était un symbole pour les populations africaines, un symbole d'indépendance. À Marseille, où j’étais en service civique, j'ai rencontré des Sénégalais dans la rue qui portaient le bonnet et qui m’ont expliqué que chez eux il s'appelait le bonnet Cabral, en référence au leader de la guerre d’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau, Amílcar Cabral, qui le portait dans les années 1960 pendant sa lutte contre la colonie portugaise. »
Et à ce moment-là vous décidez de faire un film sur le sujet ?
« Oui, il y a deux mondes qui se sont reliés tout d'un coup par le biais de mon petit bonnet et j'ai trouvé ça assez fantastique et décidé de creuser un peu sur comment était-ce possible que ce bonnet fasse un lien entre l’Afrique de l’Ouest révolutionnaire et le monde rural tchèque. »
Rural et pas seulement rural parce qu’il y a aussi des notamment un leader bien connu de la révolution de Velours du côté slovaque à Bratislava, Ján Budaj, qui portait ce bonnet (le bonnet est d'ailleurs appelé aujourd'hui 'budajka' en Slovaquie, ndlr)...
« Oui, ça je l'ai découvert plus tard. À Prague, mes amis tchèques se moquaient de moi en me disant que je portais un bonnet de paysan et un bonnet de boucher donc l'idée, elle part de du lien entre Cabral et les bouchers tchèques et après progressivement, j'ai donc j'ai fait des recherches et je me suis rendu compte qu'il avait aussi accompagné ce mouvement en 1989, sur la tête de Ján Budaj notamment. »
Nom de code : Sekretář
Quel lien avez-vous alors trouvé pour rattacher Amílcar Cabral à Prague ?
« L'enquête m'a menée assez loin, mais c'est assez clair que Cabral était aidé par le gouvernement tchécoslovaque dans sa lutte. Pendant la Guerre froide, le bloc de l'Est aide les mouvements indépendantistes africains et Prague est un berceau industriel donc le gouvernement d'A. Novotny va aider le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). Il va fournir du matériel et des formations et va aussi envoyer des bonnets. J'ai retrouvé des échanges de lettres entre le PAIGC et le gouvernement, avec Cabral qui commande du matériel, des médicaments, des armes, des uniformes… et des bonnets ! »
On sait aussi que Cabral avait le nom de code Sekretář pour la StB, la police communiste tchécoslovaque…
« Oui, il était un peu considéré comme un agent secret donc il recevait de l'aide en échange d'informations sur le mouvement des non-alignés pendant la Guerre froide. »
Ça casse un peu le mythe Cabral quand même…
« Non, il cherchait des alliés parce que pour se battre contre le Portugal, il ne pouvait pas le faire tout seul. Il n’était pas non plus soumis au bloc de l’Est. Il gardait une part de liberté et donnait les informations qu’il voulait donner. »
Coproduction tchéco-franco-slovaque
La zmijovka tient son nom de la vipère, zmije, en raison des traits qui rappellent la peau du serpent. Est-ce que vous avez pu trouver l'origine même de ce bonnet ? Comment est-ce que ce design est né, d'où ça vient ?
« C'est la deuxième partie du film. En fait dans la première partie du film je me demande comment ce bonnet s'est retrouvé sur la tête de Cabral. La question c'est pourquoi il a reçu ces bonnets, pourquoi il les a commandés et le film évolue un peu plus loin pour essayer de comprendre l'histoire de ce bonnet en général. Je suis en train de finir mes recherches et commence à retrouver son territoire d’origine. »
Il s’agit donc d’une coproduction internationale avec une société de production française, une tchèque et une slovaque, c’est bien ça ?
« Oui, la société D1 Films de mon professeur à l'université à Prague Vit Janecek, Virus film, une société slovaque et en France L'Echangeur de Julien Fiorentino, qui est un ami à moi et avec qui on avait déjà discuté parce que j'avais fait des films au Ghana et à Dakar dans le cadre de mes études et je savais qu’il produisait des films sur l'Afrique de l'Ouest. »
Vous avez déjà travaillé sur ce sujet depuis plusieurs mois, combien de travail vous reste-t-il ? Ça se compte en mois ou en années ?
« En années malheureusement, entre les recherches documentaires, la réalisation, le montage et la post-production. Il reste peut-être deux ans de travail… »
Le bonnet des garçons-bouchers
Vous avez déjà fait du repérage en Tchéquie, est-ce que vous allez tourner seulement dans la capitale tchèque ou ailleurs dans le pays ?
« L’idée est que le bonnet, dans mon enquête, va me plonger dans des univers, des univers communautaires. Donc il faut absolument que j'aille dans une zabijačka traditionnelle et donc a priori plutôt en Moravie. »
Une tue-cochon donc... C'est vrai que dans la mémoire collective tchèque ce bonnet reste assez fréquemment lié au boucher…
« Oui, c’est ce que je découvre au début de l'enquête en retournant dans le magasin où je l'ai acheté. De ce que j'ai compris, c'est que c'était un bonnet qui était particulièrement porté sous le communisme par ceux qui travaillaient dehors. C'est resté chez les bouchers mais alors ça je ne sais pas vraiment pourquoi, c'est plus symbolique maintenant. »
Si vous avez acheté ce bonnet c'est aussi parce que il y a eu un retour à la mode. Il y a eu un phénomène, avec d'autres coloris aussi. C'est ce que vous avez pu constater pendant vos études à la FAMU je suppose.
« Oui, c’est vrai qu’il y a eu tout un mouvement de réutilisation de cet accessoire par les jeunes citadins. Ce n'est pas pour pas pour ça que je l'ai acheté mais je m'en suis rendu compte aussi progressivement. »
Ce projet de documentaire en cours a pour titre de travail Le pouvoir des mailles en français, Beyond a knit cap en anglais et Dvojí život zmijovky en tchèque.