Knit’s Island, le documentaire tourné dans le jeu vidéo et phénomène tchèque mondial DayZ
Trois Français, Ekiem Barbier, Guihlem Causse et Quentin L’Helgouac’h se sont lancés dans l’aventure folle du tournage de Knit’s Island, un documentaire dans un jeu vidéo tchèque de guerre postapocalyptique. Développé par le studio de jeux vidéo Bohemia Interactive, le jeu DayZ est un phénomène mondial qui rassemble des milliers de joueurs aguerris sur une ile virtuelle de 250 km où tous les coups sont permis. A l’occasion de la présentation du film au festival One World, Radio Prague Int. a pu s’entretenir avec Guilhem Causse, un des trois réalisateurs.
« Le projet est né aux Beaux-arts, quand on était tous les trois dans la même promotion. Au fil de discussions entre nous, on commence à parler du virtuel et on construit un groupe de recherche sur le virtuel, sans trop savoir où ça allait. On a commencé à se balader dans Grand Theft Auto (GTA) Online. On s’est rendu compte que ces jeux [de simulation] sont devenus assez complexes, diversifiés et grands pour qu’ils puissent accueillir une population qui fait un peu ce qu’elle veut. Il y a évidemment le système de jeu principal, donc par exemple [dans GTA] tu peux jouer un gangster, voler des voitures, etc. Mais tu peux aussi juste te balader, t’assoir sur un banc, regarder la mer. Il est possible de s’ennuyer dans un jeu maintenant, d’y aller pour se détendre. Il y a quelque chose d’assez réel dans le fait de pouvoir s’ennuyer ou de rêver.
Avec ce temps consacré à la contemplation, il y a aussi le temps de la discussion avec les autres. C’est comme ça qu’on a commencé à poser nos questions. On voulait savoir ce que les gens faisaient là, ce qu’ils venaient chercher dans le jeu. Ça a donné lieu à un premier documentaire qui s’appelle Marlowe Drive et ça nous a amené sur notre deuxième film, Knit’s Island. »
Est-ce que vous avez tous les trois une relation particulière avec les jeux vidéo ? Ou c’est un intérêt de documentariste et c’est la communauté des joueurs qui vous intéressent ?
« Je pense qu’on avait tous une sensibilité aux jeux vidéo, mais plutôt aux jeux solos. Je suis celui qui a le plus joué de la bande. Mais je n’avais pas de vraie expérience en online et encore moins dans les jeux où tu transmets ta voix dans des avatars et où tu peux parler comme dans la rue.
À mesure qu’on jouait, on a commencé se poser des questions. Avec ce genre de jeu, est-ce que c’est une future société qui est en train de se créer ? Qu’est-ce que ça change dans nos relations ? »
1000 heures de jeu
Comme vous le montrez au début du film, vous avez joué quasiment 1000 heures tous les trois dans le jeu. On se retrouve au final avec un film de 1h35. Comment vous avez fait pour le montage ? Vous aviez une méthode de travail particulière ?
« On a joué 1000 heures mais en fait il n’y a que 120 heures tournées. Tout le reste du temps, c’est de la préparation. C’est un jeu de survie réaliste, donc il faut avoir de la nourriture, de l’eau, des vêtements, des médicaments, parfois on voulait se retrouver à des endroits et on mettait plusieurs heures pour faire le trajet. Quand l’avatar est malade, la caméra tremble, donc il faut trouver des médicaments spécifiques pour pouvoir enregistrer des images. Pour faire des longues interviews, il faut une grosse préparation. C’est comme les vrais tournages en soit.
On a fait 9 mois de tournage et il a fallu quasiment un mois juste pour le dérushage. Le montage est plutôt chronologique par rapport à notre vécu en tant que documentariste ou joueur. Du début où on arrive et on a les premiers contacts avec les joueurs jusqu’à la fin où on a un lien plus fort avec certains joueurs, le montage reflète notre expérience.
De toute façon, quand on veut faire un documentaire, ça prend du temps. On doit se faire accepter par la communauté qu’on filme, pour avoir des discussions intéressantes et intimes.
On voulait raconter cette progression. Au début du film et de notre expérience, c’était très fictionnel et ancré dans le jeu de rôle. Mais après, les discussions quittent le jeu et les personnages se confondent avec les joueurs et parlent du réel. »
Tu ne sais pas s’il veut te tuer ou s’il veut être ton copain
J’imagine que le côté très réaliste et survivaliste du jeu doit jouer dans sa capacité à créer des histoires et des communautés…
« Ça change tout au niveau des relations entre les joueurs. Il faut bien comprendre que croiser quelqu’un alors que ça fait deux heures que tu marches tout seul, ça fait battre le cœur super vite ! Tu ne sais pas s’il veut te tuer ou s’il veut être ton copain. Ça rend toutes les interactions très intenses, et c’est pour ça que les joueurs reviennent. C’est très puissant émotionnellement.
Et tout cela rassemble une communauté de ce qu’on appelle des « hardcore gamers », qui recherche une expérience de jeu vraiment significative et immersive. »
On ressent une vraie bienveillance de votre part envers les joueurs. Qu’est-ce que la communauté de DayZ a de particulier par rapport à d’autres communautés qui pourraient faire l’objet d’un documentaire ?
« DayZ égraine pas mal de joueurs, que l’on appelle les « casuals », c’est-à-dire les joueurs qui jouent de temps en temps. Dans ce jeu, pour arriver à une expérience significative, il faut se plonger dans le jeu pendant plusieurs heures et revenir le lendemain. Donc c’est une communauté de joueurs très particulière.
DayZ : une sensation de réalité beaucoup plus forte
À aucun moment durant le visionnage on doute que l’on regarde un film de cinéma. Vous avez été limités graphiquement par le jeu mais le film a une autre allure que des vidéos YouTube amateurs par exemple. Comment fait-on pour faire du cinéma dans un jeu vidéo ?
« On a joué à trois avec des rôles différents. Ekiem parlait aux gens et posait des questions. C’était un peu la voix de notre groupe. Quentin était la première caméra. Donc il concentrait toute son attention sur le cadre et ne parlait jamais. Et mon rôle était d’être la deuxième caméra et d’être le régisseur, c’est-à-dire que je trouvais de la nourriture pour notre équipe, je nous protégeais, etc.
C’est grâce au fait que nous étions une vraie équipe de tournage que l’on a pu développer une cinématographie. Le jeu proposait des « objectifs » de caméra différents. Mais il a fallu ruser pour contourner certaines interfaces du jeu. Par exemple, pour éviter que de la buée s’échappe de la bouche de Quentin et que cela se voit sur la caméra, je devais toujours allumer des feux à côté de lui pour que son avatar n’ait pas froid.
Mais personnellement, je trouve le jeu beau à sa manière. Un jeu comme GTA, que l’on pourrait considérer comme étant plus beau graphiquement, ne me donne pas cet effet de réalisme. Le jeu DayZ a objectivement des textures moins qualitatives, mais il offre une sensation de réalité beaucoup plus forte. Quand on se déplace un jour de pluie dans un village, on a l’impression d’y être. Grâce à la disposition des bâtiments, à la lumière mais aussi parce que c’est un peu terne et désagréable !
Le jeu est très lent et nous plonge dans une simulation. Quand tu mets 3 heures pour aller d’un point A à un point B, t’as le temps de te poser, de filmer des brins d’herbe. Dans les autres jeux, tu n’as pas le temps, alors que dans DayZ on t’invite à t’assoir, à profiter. »