20 ans dans l’UE : « les Tchèques se sentent européens mais le sentiment envers l’UE est mitigé »
Une conférence internationale, en présence des présidents tchèque et allemand ainsi qu’avec un message vidéo du président ukrainien, était organisée mardi au Château de Prague et un concert se déroule dans le centre de la capitale tchèque ce mercredi. À l’occasion du premier jour de la troisième décennie de la Tchéquie en tant que membre à part entière d’une Union qui réunit à l’heure actuelle 27 États, dont tous ses voisins, RPI vous propose un entretien avec Eliška Tomalová, directrice du département d'Etudes européennes de l'Université Charles de Prague.
Extraits de cet entretien à écouter en appuyant sur Lecture :
Que représentent ces 20 ans dans l’UE selon vous ?
« Cela représente déjà une génération et on se rend compte que les jeunes qui étudient actuellement à l'université sont déjà nés citoyens de l'Union européenne. Donc c'est vraiment un grand changement dans la société, vous voyez une grande partie de la société qui perçoit le fait qu'on est membre de l'Union comme un fait absolument naturel. »
« Mais, selon les sondages, on voit que cela représente des choses différentes pour les différentes couches de la société - il est évident que les Tchèques se sentent Européens mais il est évident aussi que le sentiment vis-à-vis de l'Union européenne est assez mitigé. »
« Les Tchèques restent les plus eurosceptiques dans l'Union européenne »
Vous parliez des jeunes. Le seul événement à Prague sur le calendrier pour ce 1er mai est un festival de musique, c’est peut-être assez révélateur ?
« Pour les jeunes, je trouve que c'est un bon moyen de célébrer parce qu’on n'est pas très fan de pathos en Tchéquie, donc les concerts, la musique, les festivals dans la rue, c'est un peu mieux perçu disons, mais à part ça les célébrations sont plutôt modestes si on compare avec les autres célébrations dans d'autres pays membres ou par exemple avec l'Irlande l'année passée. On voit que la République tchèque ne célèbre pas beaucoup cela, je trouve que la majorité de la population ne se rend pas compte, n'a pas accès à des événements qui marquent ce 20e anniversaire. »
Est-ce que c'est à relier avec ce fameux - et parfois un peu fantasmé - euroscepticisme tchèque ?
« Peut-être d'un certain côté. Il y a certainement un manque de pathos en général. Après, le 100e anniversaire de la naissance de la Tchécoslovaquie en 2018 était aussi assez modeste. Disons donc qu’il y a un manque de volonté de vouloir célébrer ces choses en général mais le scepticisme persiste. »
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« Il y a toujours l’héritage du début du XXIe siècle, le célèbre héritage de Václav Klaus qui est toujours présent donc les Tchèques restent les plus eurosceptiques dans l'Union européenne et les affaires européennes ne constituent pas un grand sujet dans les médias, ni dans les débats politiques ni dans les campagnes électorales. Donc cela reste en fait caractéristique de la République tchèque. »
Dans un article tchèque traduit dans la presse française récemment, le journaliste Jakub Patočka évoque un « désenchantement » 20 ans après cette adhésion à l'Union européenne en Tchéquie - êtes-vous d'accord avec ce constat ?
« Désenchantement, c'est peut-être assez fort. Je trouve que les gens sont plutôt contents, mais ne manifestent pas beaucoup ce sentiment et ont d'autres soucis peut-être, les soucis plus quotidiens et des peurs différentes qui concernent le niveau de vie ou qui concernent l'immigration qui reste en sujet utilisé par les partis populistes. »
« Donc il y a d'autres sujets qui apparaissent dans la sphère publique. On voit que le gouvernement actuel est beaucoup plus pro-européen, c'est certain, mais n'utilise pas de façon positive l'intégration européenne comme partie de notre espace mental culturel et public. On a vu cela pendant la présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne par exemple, qui été plutôt bien administrée et bien accueillie mais dans les médias, il n’y avait pas un grand écho, il n’y avait pas beaucoup de débats autour de ce sujet. Donc c'était perçu plutôt comme un une question technique et c’est un peu la même chose avec le 20e anniversaire de l’adhésion. »
Vers un scénario hongrois ou slovaque en Tchéquie ?
On le voit ces derniers jours avec notamment le président allemand qui était là ces lundi et mardi et puis des hommages dans la presse à Günther Verheugen : la relation tchéco-allemande est importante et vue comme essentielle…
« Cela reste la relation bilatérale centrale, la plus importante pour la Tchéquie, stratégique du point de vue politique et économique mais on voit aussi que cette relation n'a pas d'écho au niveau multilatéral - la République tchèque n’est pas très proche des visions allemandes du futur de l'Union européenne. Il faut dire bien sûr que la République tchèque est en général assez sceptique en ce qui me concerne les grandes visions quand on parle du futur et n'offre pas d'alternative non plus… »
Il y a des problèmes au niveau démocratique dans certains pays du groupe de Visegrad, ce qui fait dire à certains commentateurs d’Europe occidentale que l'élargissement a peut-être été un peu prématuré il y a 20 ans, surtout en référence à la politique menée par Viktor Orban et puis plus récemment avec ce qui se passe dans la Slovaquie gouvernée par Robert Fico. La Tchéquie est loin d’être à l’abri de ce genre de retournement politique…
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« La République tchèque n'est pas à l'abri en ce qui concerne le populisme. On craint beaucoup que les élections parlementaires soient remportées par le parti populiste ANO d’Andrej Babiš, c'est certain, mais il y a des populistes partout en Europe. Ce n'est pas un phénomène de l'Europe de l'Est ou de l'Europe centrale, c'est un phénomène européen et on verra cela pendant les élections européennes au mois de juin. Mais bien sûr que ce qui se passe en Hongrie et ce qui s'est passé en Pologne - ça va mieux maintenant la Pologne - et ce qui se passe en Slovaquie, cela fait peur ça fait peur parce qu’on voit la Slovaquie se rapprocher - au moins au niveau du discours - de la Russie. Cela fait peur à l'Union européenne et cela fait peur aux Tchèques aussi. Du côté des politologues tchèques, on se dit qu’on ne va pas suivre ce scénario, que la République tchèque est beaucoup plus intégrée et disons plus réaliste - et on espère bien éviter cela. »
L'Ukraine et l'expérience historique
Est-ce que la Tchéquie, avec ce qui se passe de dramatique depuis février 2022 en Ukraine, a désormais un statut plus important qu'auparavant au sein de l'Union européenne selon vous ?
« La question du statut est la question du respect et de l’écoute par les autres d’une perspective, d’une expertise ou d’une certaine expérience historique et ça je crois que les pays membres de l'Union européenne comprennent actuellement qu'il y a des perspectives différentes et que cette connaissance et expérience historique a une certaine valeur. Il faudra discuter entre membres de l'Union européenne sur les affaires qui concernent justement l'évolution après février 2022, c'est certain. Mais si cela va être traduit dans le poids au sein de la Commission européenne ou au Parlement européen c'est encore une grande question.
« On verra en automne si vraiment cet optimisme de certains pays d'Europe centrale et orientale qui se sentent enfin écoutés va être traduit par l'importance politique dans le cadre des institutions. »
Est-ce paradoxal que des pays qui ont souvent les plus virulentes critiques vis-à-vis de l'Union européenne sont ceux qui plaident le plus pour un nouvel élargissement, notamment vers les Balkans occidentaux ?
« C'est une priorité de la politique étrangère tchèque depuis longtemps. On a toujours été en faveur de l'élargissement vers l'Est. On ne regardait pas vraiment vers le sud mais je trouve en fait naturel qu’on soutienne l'élargissement vers l'est et vers les Balkans. »