20 ans après le « oui » à l’UE, un mariage de raison entre les Tchèques et Bruxelles ?
Les 13 et 14 juin 2003, les Tchèques votaient à une écrasante majorité (77 %) en faveur de l’adhésion à l’Union européenne. 20 ans après quelle est leur vision de l’Union européenne alors que la Tchéquie, qui n’a toujours pas adopté l’euro, est souvent considérée comme un des pays les plus eurosceptiques du continent ?
Longtemps, l’une des voix les plus eurosceptiques du pays s’est faite entendre depuis le Château de Prague : entre 2003 et 2013, l’ancien président Václav Klaus n’a que rarement manqué une occasion d’exprimer sa défiance vis-à-vis du processus d’intégration, alors même qu’en 1996, il avait été, en tant que Premier ministre, celui qui avait remis la demande d’adhésion de la République tchèque au plus haut représentant européen d’alors, le président du Conseil italien Lamberto Dini. Cette rhétorique eurosceptique voire carrément europhobe a à la fois surfé sur une tendance latente dans la population, tout en y infusant : aujourd’hui, c’est du côté de l’ancien Premier ministre Andrej Babiš (ANO) et de l’extrême-droite incarnée par Tomio Okamura (SPD), partisan d’un « Czexit », que l’on entend désormais les discours diabolisant Bruxelles.
Pourtant, lorsqu’en 2003 la Tchéquie organise un référendum sur l’adhésion à l’UE, son résultat est plus qu’encourageant : 14 ans après la chute du régime communiste et le retour de la démocratie dans le pays, 77 % des électeurs votent en faveur de l’entrée dans cette communauté économique et politique. Un résultat entériné un an plus tard lorsque la Tchéquie devient officiellement membre.
Après une longue carrière dans la diplomatie, Martin Dvořák est le ministre chargé des Affaires européennes au sein du gouvernement de Petr Fiala. Il se souvient de ce moment et explique pourquoi l’enthousiasme des débuts a quelque peu pâli :
« Je me souviens bien car cela a été un des plus beaux moments de ma carrière politique. Je n’étais pas surpris, je m’attendais à ce genre de résultat. J’étais persuadé que le ‘oui’ l’emporterait à une écrasante majorité. Mais après ce référendum, nous avons enchaîné sur une période où nous sommes devenus de plus en plus eurosceptiques. Pourtant, nous devrions être satisfaits du fait qu’aujourd’hui bien plus de la moitié de la population continue de soutenir le projet européen. Le jour où vous vous mariez, vous êtes en général amoureux de votre partenaire à 100 %, mais vingt ans plus tard, il est fort probable que ce soit à 50 % ! Entre-temps, vous êtes devenu plus pragmatique et vous avez compris davantage la signification de ce mariage, ce que cela veut dire de vivre ensemble. »
L’adhésion de la Tchéquie à l’Union européenne se serait-elle transformée en un mariage de raison sans passion ? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir bénéficié des largesses du portefeuille de Bruxelles : depuis son adhésion, la République tchèque a retiré plus d’argent du budget européen commun qu’elle n’en a injecté. Entre 2004 et 2022, le PIB par habitant a augmenté de 44 %. Les exportations tchèques ont plus que doublé au cours de la même période, et près de 80 % des produits et services exportés sont destinés aux pays de l’UE.
Pourtant, de nombreux citoyens n’ont toujours qu’une compréhension limitée du fonctionnement de l’Union européenne, et les politiques ou les institutions ne parviennent souvent pas à expliquer clairement leurs actions. Sans compter que le phénomène grandissant de la désinformation est venu rebattre les cartes. Dans ce contexte, que peut faire un gouvernement plutôt pro-européen comme celui au pouvoir actuellement ?
« On ne peut jamais en faire assez, je le crains. Bien sûr, je pense qu’il faudrait en réalité commencer très tôt, avec une éducation civique européenne dès le plus jeune âge dans les écoles, mais aussi savoir montrer aux jeunes ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Leur apprendre à reconnaître les fake news. Mais ce genre de choses n’aura un effet que dans 10 ou 15 ans. Actuellement, je pense que nous sommes en grand danger en raison de cette guerre hybride qu’est la désinformation. Je n’ai aucun doute d’où cela provient : plus l’Europe sera affaiblie, mieux ce sera pour la Russie – et la Chine, d’ailleurs. Cette propagande est très efficace, elle marche très bien en Slovaquie par exemple. Et il n’y a pas lieu de se réjouir. Cela dit j’ai des doutes sur la légitimité à interdire ces discours et à limiter la liberté d’expression, même quand il s’agit de personnes dont nous n’apprécions pas les idées. »
Pourtant, si l’on ne peut ignorer que l’enthousiasme pour le « retour des Tchèques à l’Ouest » a sensiblement décliné depuis 2003, que les opinions négatives à l’égard de Bruxelles sont bien présentes, en particulier parmi les personnes à faible revenu et à faible niveau d’éducation, tout cela étant alimenté par la désinformation, un récent sondage réalisé par l’Institut Europeum et l’agence STEM a montré que si un référendum était organisé aujourd’hui sur une sortie du pays de l’Union européenne, 63 % des citoyens tchèques voteraient pour rester dans l’Union et 56 % d’entre eux considèrent même cette appartenance aux Vingt-Sept comme positive. Un résultat, qui selon l’agence STEM, a été largement influencé par la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis plus d’un an, mais trop optimiste sur le long terme selon Martin Dvořák :
« Je pense que c’est assez simple : quand vous sentez que vous êtes en danger, vous cherchez spontanément un pouvoir qui puisse vous protéger. Et c’est exactement ce que les Tchèques ont ressenti au lendemain du déclenchement de la guerre. Le soutien vis-à-vis de l’UE a augmenté. Malheureusement, plus la guerre se prolonge, moins les Tchèques vont la comprendre et plus le sentiment anti-européen risque de s’accroître. J’ai vu ce sondage, mais quand on compare les résultats juste après le début de la guerre et aujourd’hui, ils n’ont cessé de décroître au fil du temps. Et plus la guerre durera, moins les Tchèques seront enclins à des sentiments pro-européens. »
La participation aux prochaines élections européennes prévues à en juin 2024 pourrait être à cet égard révélatrice : à un an du scrutin européen, l’intérêt des Tchèques (et des Slovaques) pour celui-ci est le plus faible de tous les pays membres de l’UE, selon une récente enquête Eurobaromètre. En effet, en République tchèque, seuls 27 % des électeurs disent s’intéresser aux élections européennes.