Présidence UE : Prague peut mettre en avant « la perspective centre-européenne du dossier ukrainien »
Entretien avec Eliška Tomalová, directrice du département d'Etudes européennes de l'Université Charles de Prague, qui a évoqué pour Radio Prague International les enjeux de la présidence tchèque du Conseil de l'UE, à partir de ce 1er juillet et pour les six prochains mois. Il s'agit de la deuxième présidence tournante de la Tchéquie après celle de 2009, marquée par la chute de son gouvernement en plein milieu.
« Les attentes sont différentes cette fois mais le contexte est très risqué. Lors de la première présidence tchèque en 2009 les attentes étaient très basses et les Tchèques ont certainement eu à prouver qu’ils étaient à la hauteur. Mais comme le contexte de politique étrangère était différent et il n’y avait pas des ambitions d’ordre global. »
« Cette fois-ci, pour la deuxième présidence, le gouvernement a l’air d’être plus stable – j’espère. Les ambitions sont assez élevées et liées à ce contexte de politique étrangère. Je trouve qu’il y a beaucoup plus d’expertise chez les Tchèques, qu’ils sont plus aguerris au fonctionnement des institutions bruxelloises. Donc nous sommes prêts au niveau politique et au niveau administratif. »
Moins gênés aux entournures depuis qu’Andrej Babiš - qui était en porte-à-faux avec la réglementation européenne - n’est plus le Premier ministre ?
« Certainement. En plus notre Premier ministre Petr Fiala est, je dirais, beaucoup plus pro-européen. Les sujets de politique étrangère et européenne lui sont chers. »
Mais son parti ODS a une réputation de parti eurosceptique et siège au Parlement européen avec des formations eurosceptiques…
« C’est un parti divisé. Une partie de l’ODS est plus eurosceptique, contre l’adoption de l’Euro et contre des courants fédéralistes, mais il y a aussi un courant qui est beaucoup plus pro-européen. A mon avis l’image de ce parti reste eurosceptique, mais il faut noter que ce gouvernement est une coalition de plusieurs partis dans laquelle l’ODS doit collaborer avec plusieurs partenaires, donc l’image du gouvernement en tant que tel est plus européenne que celle du gouvernement précédent. »
Nous avons déjà évoqué sur notre antenne la liste des priorités de cette présidence tchèque, avec évidemment l’Ukraine comme sujet principal. Que peut apporter la Tchéquie dans ce dossier ?
« La Tchéquie peut apporter une perspective centre-européenne. Je trouve que c’est très important d’avoir un certain équilibre de vues et de perspectives au sein de l’UE. Au vu de notre héritage historique, de notre position géographique, il y a une différence de sensibilité vis-à-vis de ce dossier ukrainien. Par exemple au niveau du vocabulaire, les Tchèques parlent d’une 'agression russe en Ukraine', pas d’une guerre, cela montre notre position. Il y a eu une forte mobilisation, pas seulement politique mais aussi civique des Tchèques, c’est un sujet qui unit la sphère politique et la société tchèques, donc cela va être très important pendant cette présidence. »
Histoire et géographie différentes de ces pays d’Europe centrale, mais on a l’impression que Prague se détache du Groupe de Visegrad (V4). Est-ce une rupture avec ce nouveau gouvernement ?
« C’est très sensible. On a déjà enterré ce V4 dans le passé donc cela reste une question ouverte. Bien sûr qu’il y a des problèmes de déficit démocratique très importants en Hongrie, la situation en Pologne n’est pas facile non plus, mais on a en même temps besoin d’une force unie pour lutter contre l’agression russe. Donc je ne dirais pas que le V4 est fini. Je trouve que ce qui est important actuellement est d’être à l’écoute des différentes perspectives au sein de l’UE vis-à-vis de ce dossier ukrainien et de ne pas créer un seul narratif. »
‘L’Europe comme mission’ comme slogan sur les papiers officiels de la présidence tchèque, une référence Václav Havel. Cela vous paraît-il important pour la diplomatie, pour le chef de la diplomatie tchèque qui fait régulièrement référence à l’ancien président ?
« Cela me plaît beaucoup ce retour à Václav Havel. C’est une constante de la politique étrangère et c’est le ‘brand’, la marque la plus forte de la République tchèque à l’étranger. Pour ma génération de quadragénaires, c’est un symbole très fort… »
Et pour vos étudiants ?
« Les étudiants savent que c’est une figure importante, mais pour eux une figure historique. Lisent-ils Havel, savent-ils vraiment ce que cela signifie ? Cela reste une question, mais il n’y a aucune personnalité qui a remplacé Havel dans le narratif tchèque. Mais cette référence en politique étrangère est très importante symboliquement, ce n’est pas seulement Havel mais aussi une vision des droits de l’Homme, d’une certaine responsabilité globale et une volonté d’être à l’écoute de ceux dont les voix ne sont pas respectées dans les régimes non-démocratiques. C’est un fil qu’on peut retrouver dans les priorités de la présidence tchèque. Proposer une stratégie européenne pour les droits de l’Homme reste une priorité pour les Tchèques, c’est une façon d’identifier les symboles de la diplomatie tchèque. A un moment nous avons hésité – ‘encore Havel, encore les droits de l’Homme ? – mais on voit maintenant qu’on a décidé de revenir à Havel, parce que c’est lisible. Cela nous donne une vision claire et une identité à notre politique étrangère. »
Est-ce lié selon vous à la perte d’influence de l’actuel président de la République M. Zeman ces derniers mois ?
« Le président va être remplacé au printemps prochain. Le gouvernement actuel est très prudent, parce qu’il reste encore quelques mois. Je trouve que l’influence du président est plutôt toxique en politique étrangère. Actuellement, il a un peu reculé, car son passé ‘admiratif’ de la Russie et l’orientation vers l’Est de la diplomatie tchèque a été bien sûr remise en question après l’agression russe. Mais il revient maintenant sur la scène médiatique et il a encore par exemple des nominations importantes à faire… Cependant ce n’est pas la personnalité qui sera visible pendant la présidence tchèque, ce sera surtout les chefs du gouvernement et de la diplomatie. »
Vous parliez de la ‘marque’ Václav Havel, est-ce de ça dont il s’agit pendant une présidence européenne, de marketing politique ?
« La présidence européenne donne toujours plus de visibilité à un pays – c’est d’autant plus vrai pour un petit pays. Cette visibilité se joue différemment à Bruxelles, dans les autres capitales européennes et à l’extérieur de l’UE. Donc la République tchèque investit bien sûr une partie de son budget à sa diplomatie publique, à sa présentation, à son programme culturel et je trouve que c’est important. C’est une fenêtre d’opportunité pour être en contact avec un public à l’étranger, de mettre à l’agenda des sujets qui ne sont pas toujours prioritaires. Le programme de la diplomatie publique, de la diplomatie culturelle, reflète les priorités de la présidence et comme les autres présidences il est surtout centré sur le public bruxellois. »
Puisqu’on parle de ‘marque’, plutôt ‘République tchèque’ ou ‘Tchéquie’ ?
« C’est la Tchéquie officiellement, mais les différents acteurs ont du mal à accepter le terme et le ministère ne l’impose pas. »
Quel est votre avis ?
« J’ai un peu de mal à dire ‘Tchéquie’ en français, je ne sais pas bien pourquoi, mais je crois qu’il faut se mettre d’accord et l’utiliser de façon consistante. »
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