Bedřich Smetana, la biographie du génie de la musique tchèque
Il y a deux cents ans naissait dans la ville de Litomyšl Bedřich Smetana (1824-1884), le premier du quatuor des grands compositeurs tchèques formé avec lui par Antonín Dvořák, Leoš Janáček et Bohuslav Martinů. De nombreuses manifestations musicales ont été organisées à l’occasion du bicentenaire de la naissance de cet artisan de l’épanouissement de la musique tchèque au XIXe siècle. A la même occasion a été publié aux éditions Universum le livre que son auteur Pavel Kosatík a intitulé simplement Bedřich Smetana - Životopis (Biographie).
Rendre les traits humains à un personnage historique
Depuis la moitié du XIXe siècle, période de ses premiers succès publics, Bedřich Smetana fait partie de la vie culturelle tchèque. Et cette présence est évidente aussi de nos jours à l’époque bien différente du temps où le compositeur a créé son œuvre. Au cours des deux siècles qui nous séparent de sa naissance, il a été admiré et critiqué, porté aux nues et mis en cause, mais il n’a jamais été éclipsé par les compositeurs postérieurs. Aujourd’hui même les écoliers tchèques savent en général qu’il a écrit l’opéra la Fiancée vendue et le poème symphonique Vltava, mais évidemment le compositeur est pour eux une figure historique et les aspects concrets de sa personnalité leur échappent. Dans sa biographie de Bedřich Smetana, Pavel Kosatík réussit à rendre à cette icône de la musique tchèque les traits humains. C’est ainsi qu’il évoque la méthode qu’il a utilisée :
« Avant de commencer le travail, j’ai lu presque tout ce qui a été écrit sur Smetana et il y a beaucoup de choses. Et j’ai été consterné par la quantité d‘informations qui existent déjà sous la forme écrite. Beaucoup de choses que je me proposais de révéler au grand public avaient été déjà découvertes il y a plus de cent ans par des musicologues, dont par exemple Otakar Hostinský ou des théoriciens de l’art comme Karel Teige. J’ai donc cherché à oublier ce que j’avais lu pour ne pas en être influencé et gêné dans mon travail. »
Une musique qui regorge d’émotions
Comment expliquer la valeur et la longévité de l’œuvre de Bedřich Smetana ? Peut-on trouver une explication dans sa biographie ? Et quel est le rapport entre son vécu et les beautés de sa musique ? De nombreux musicologues ont déjà cherché les réponses à ces questions. Pavel Kosatík, lui, nous propose aujourd’hui une biographie détaillée qui nous permet de situer les œuvres du compositeur dans le contexte de sa vie et démontre que souvent ses œuvres étaient engendrées par l’émotion et la souffrance :
« Je pense qu’il serait naïf de vouloir reconstruire une vie en étudiant seulement d’innombrables documents littéraires et des sources d’archives. (...) Ce qui était crucial chez Smetana, c’était sa vie sentimentale. C’était la base même de sa vie. Cela s’est manifesté dans ses rapports avec les autres et aussi bien sûr dans sa musique qui est pleine de sentiments chaleureux et ardents. C’est une musique qui regorge d’émotions. Mais en ce qui concerne la vie sentimentale de Bedřich Smetana, nous n’en savons que peu de choses. Nous ne savons que ce qu’il a révélé dans sa correspondance où ce qu’il a confié à son journal. Ne nous faisons pas d’illusions : Smetana n’avait pas de raison pour confier à qui que ce soit les vicissitudes de sa vie intime. »
Les deux femmes de sa vie
Bedřich Smetana est né dans la famille aisée d’un brasseur de la ville de Litomyšl. Il est le premier fils d’un père de dix-huit enfants dont sept meurent en bas âge. Ses dons pour la musique se manifestent dès la petite enfance mais son père brasseur n’est pas favorable à une éventuelle carrière musicale de son fils parce qu’il envisage d’en faire son successeur. Ce ne sont que l’obstination de Bedřich et ses premiers succès musicaux qui font finalement accepter au père la vocation artistique du fils.
La première femme de Bedřich Smetana s’appelle Kateřina. Il l’épouse en 1849 et elle lui donnera quatre filles. Excellente pianiste, Kateřina a beaucoup de compréhension pour la musique de son mari qui connaît avec elle une période de véritable bonheur conjugal. Kateřina meurt de tuberculose à l’âge de 32 ans et le veuf qui n’est pas habitué à la solitude cherche à se remarier. Il épouse Barbora Ferdinandi, une jeune femme belle mais tout à fait différente de lui. Bientôt il s’avère que ce mariage a été une erreur. Après la naissance de sa deuxième fille, Barbora se détourne de son mari qui a 16 ans de plus qu’elle et les époux vivent désormais plus ou moins séparément.
Artisan de l’émancipation de la musique tchèque
Bedřich Smetana souffre beaucoup de la désagrégation de son foyer conjugal et investit toute son énergie sentimentale et émotionnelle dans sa musique. Patriote ardent, il cherche à donner à sa création un caractère typiquement tchèque mais aussi les qualités comparables à celles des œuvres de grands musiciens romantiques de son temps dont Liszt et Wagner. Pavel Kosatík souligne surtout cette deuxième aspiration du compositeur :
« Aujourd’hui, quand on dit que Smetana est le fondateur de la musique tchèque, c’est une caractéristique presque négative parce que nous cherchons plutôt une ouverture sur le monde. Nous n’avons plus besoin de démontrer l’existence du peuple tchèque, mais nous voulons savoir si nous sommes capables de nous confronter, de nous mesurer avec le monde. Il faut dire que Smetana n’est pas suffisamment propagé et que le public international ne connaît qu’une petite partie de son œuvre, notamment la Fiancée vendue. L’une des ambitions de mon livre est d’aider l’œuvre de Smetana à se répandre et à s’imposer dans le monde."
Une vie pleine de musique
Pianiste virtuose, Bedřich Smetana compose d’abord des œuvres pour piano, mais bientôt, il se découvre le talent pour la musique symphonique et l’art lyrique. Parmi les premiers connaisseurs qui savent apprécier son talent, il y a le compositeur et virtuose Ferenc Liszt, grande figure de la musique romantique. L’amitié qui se noue entre les deux musiciens sera longue et fructueuse. Influencé par Ferenc Liszt, Bedřich Smetana se lance dans la composition de poèmes symphoniques qui lui permettront de faire resplendir toutes les richesses de son imagination musicale. Parallèlement, il développe aussi ses dons pour la musique vocale et compose Les Brandebourgeois en Bohême. C’est le premier de la série des huit opéras que Smetana achèvera au cours de sa vie et qui lui apporteront la réputation du meilleur compositeur lyrique tchèque de son temps. Pavel Kosatík insiste sur les valeurs universelles de la musique de Bedřich Smetana qui mérite, à son avis, une reconnaissance plus générale et une audience internationale :
« Actuellement nous apprenons que les œuvres de Smetana figurent plus souvent dans le répertoire des théâtres et des salles de concert dans le monde mais récemment encore on ne présentait souvent que l’opéra La Fiancée vendue, le poème symphonique Vltava tiré du cycle Ma patrie sous son titre allemand Moldau et le premier quatuor à cordes De ma vie. Ses autres compositions ne figurent qu’assez rarement au répertoire des théâtres et des salles de concert à l’étranger. Et c’est ce que je regrette. »
À l’écoute de sa musique intérieure
Les dernières années de la vie de Bedřich Smetana sont assombries par la surdité. Il perd progressivement l’ouïe pour sombrer finalement dans la surdité totale. C’est la perte du sens qui est évidemment le plus important pour un musicien. Mais, comme jadis Beethoven, le compositeur arrive à se ressaisir et à surmonter ce terrible coup du sort. C’est dans cette dernière étape de sa vie qu’il compose malgré sa surdité entre autres trois opéras et le célèbre cycle de six poèmes symphoniques Ma patrie. Il n’entendra jamais cette musique qui est née uniquement dans son imagination.
Un génie face à la postérité
Bedřich Smetana meurt en 1884 à l’âge de soixante ans laissant à la postérité une œuvre qui compte quelque 150 compositions symphoniques, lyriques, vocales et de chambre. Dans sa patrie tchèque, la popularité de sa musique augmentera encore après sa disparition. La connaissance de son œuvre est limitée d’abord par les frontières de son pays, mais avec le temps ses compositions s’imposent de plus en plus sur le plan international. Tout récemment nous avons été témoins d’un important regain d’intérêt pour le cycle Ma patrie qui figure désormais dans le répertoire de quelques-uns des meilleurs orchestres du monde. Pavel Kosatík déplore cependant qu’il reste encore un certain nombre de compositions de Bedřich Smetana qui sont moins connues et moins populaires et qui méritent pourtant une plus grande attention du public :
« J’aimerais savoir si quelqu’un arrivera à ressusciter par exemple les œuvres chorales de Smetana qui sont magnifiques. Il en a créé un nombre considérable sous l’influence du maître de chœur Pavel Křížkovský. On y sent presque la joie avec laquelle Smetana composait ces chœurs. Aujourd’hui, malheureusement, le chant choral est beaucoup moins populaire qu’au temps de Smetana. Et je souhaiterais aussi beaucoup qu’on joue davantage non seulement dans le monde mais aussi en Tchéquie ses compositions pour piano parce que ces pièces ne sont pas assez connues. Je ne veux pas faire figure d’un fanatique de Smetana mais je suis profondément convaincu que cette musique n’a pas vieillie. »