Disparition du médiéviste František Šmahel, spécialiste de la réforme hussite et des Luxembourg
L’historien tchèque František Šmahel est décédé dimanche 5 janvier à l’âge de 90 ans. La communauté des médiévistes perd un de ses meilleurs spécialistes du mouvement et de la réforme hussites et de la dynastie des Luxembourg. Comme d’autres chercheurs, sa carrière d’historien a été largement marquée par les entraves posées par le régime communiste.
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Parmi les 1 216 articles, études et ouvrages que František Šmahel a publiés durant sa carrière, il est un livre qui a fait date et que nous aimerions retenir pour lui rendre hommage quelques jours après sa disparition : en 2006, il publie « Le voyage de Charles IV en France », magnifique ouvrage de près de 400 pages, qui retrace le dernier grand voyage diplomatique de l’empereur germanique et roi de Bohême qui a tant marqué l’histoire des pays tchèques. Réalisé au tournant de 1377-1378, ce déplacement officiel peu de temps avant la mort du souverain déjà malade est aussi un retour dans le pays qui l’a vu grandir, à la cour de celui qui fut son parrain, le roi de France.
Parmi les nombreuses choses passionnantes mises en avant par František Šmahel, on y découvre en détail l’organisation des festivités pour l’accueillir, les recettes des plats que Charles IV et sa suite ont mangés à Paris, ou encore de quelle manière les invités étaient hébergés. L’historien a pu suivre le voyage de Charles IV en France, presque pas à pas, grâce à de nouvelles découvertes qui étaient un peu le fruit du hasard, comme il nous l’avait confié à l’époque :
« Ce travail est dû, comme cela arrive parfois, à un concours de circonstances. Cela m’est arrivé à la Bibliothèque nationale britannique. Lors de l'étude de précieux manuscrits provenant de la collection royale française - les Grandes chroniques de France -, j'ai trouvé des enluminures sur le voyage de Charles IV. Je connaissais le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, mais soudain, j’ai découvert deux, trois variantes, plus courtes, mais d’autant plus remarquables. Aujourd'hui, on ne réalise certes pas des découvertes qui vont révolutionner le monde, mais il est toujours possible de trouver des détails qui complètent la mosaïque. Un exemple en est ce livre qui, à mes yeux, est important puisqu’il rend hommage à la France du XIVe siècle : les relations tchéco-françaises n’ont jamais été aussi étroites qu’au XIVe siècle, justement, et Charles IV a été un personnage incontournable de ce siècle. »
Avant de parvenir, au faîte de sa carrière de chercheur, à accomplir une telle somme (entre autres ouvrages de référence), František Šmahel aura dû avaler bien des couleuvres : en raison de ses origines sociales – une famille de commerçants – il est impossible pour le jeune homme d’étudier l’histoire. En tout cas pas immédiatement car les enfants de familles ouvrières ou paysannes sont privilégiées après le Coup de Prague de 1948.
Pour pouvoir étudier dans l’école qu’il souhaite, il doit d’abord s’engager comme ouvrier dans les mines pendant un an, et renoncer à tout avantage financier de ce travail. Il commence finalement à étudier l’histoire en 1954, non sans faire l’économie d’entraves récurrentes venant du régime communiste. Ses excellents résultats n’y changent rien : après avoir terminé ses études, le seul emploi qu’il trouve est au musée de Litvínov dont il devient le directeur.
L’historien devenu conducteur de tramway
Encore une fois, comme pour beaucoup de confrères et consœurs, et autres intellectuels entravés, la période de libéralisation des années 1960 représente un changement majeur mais de courte durée : quatre ans avant le Printemps de Prague, il rejoint l’Institut d’histoire de l’Académie des Sciences.
L’invasion soviétique d’août 1968 bouleverse à nouveau sa vie : l’universitaire devient conducteur de tramway à Prague en 1974, et il est alors connu de tous comme le chauffeur qui roule avec des livres savants et griffonne des choses sur des papiers au terminus de sa ligne.
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17 novembre 1989 : la révolution de Velours change à nouveau la donne et František Šmahel peut désormais se consacrer pleinement à sa discipline. Il dirigera bientôt l’Institut d’histoire, présidera également le conseil scientifique de l’Académie des Sciences et en 1998, il fonde le Centre d’études médiévales. Ce lieu de recherche conjoint entre l’Académie et l’Université Charles a vu passer de grands noms de l’histoire médiévale tchèque comme Martin Nejedlý, notamment, et dont la relève est aujourd’hui assurée par de jeunes chercheurs comme Pavel Soukup ou Václav Žůrek pour ne citer qu’eux.
En 2013, František Šmahel avait reçu le prix Česká hlava (Tête tchèque) qui récompense des scientifiques pour leurs travaux : preuve de son apport fondamental à la recherche en histoire, il était le premier représentant des sciences humaines à être distingué par cet équivalent tchèque du prix Nobel.