Non, la musique ancienne n’est pas soporifique

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La ville éternelle de Rome, « Roma aeterna », c’est le thème principal de cette quatorzième édition des Fêtes d’été de musique ancienne. L’événement musical qui s’étale sur trois semaines s’apprête à passer dans sa seconde moitié de programmation. Radio Prague s’est entretenu avec Monika Nováková, directrice générale du festival.

Les Fêtes d’été de musique ancienne se déroulent dans la capitale tchèque pour la quatorzième fois. Il s’agit d’une occasion remarquable pour découvrir des genres différents de la musique ancienne. Cette année ne fera pas exception avec une pléiade d’artistes de renommée internationale à l’affiche. Monika Nováková, la directrice générale du festival, note que les Fêtes de musique ancienne ne sont pas en manque de spectateurs, cependant, la tâche la plus importante reste de démontrer à ceux qui ne connaissent pas le genre que « la musique ancienne n’est pas soporifique ».

La pièce de l’ensemble Le Poème harmonique, que les auditeurs ont pu découvrir à l'instant, est illustrative du genre de la musique ancienne. D’ailleurs, ce terme ne désigne pas un style unique, mais plutôt une époque de création artistique de l’avant XVIIIe siècle. Le concept englobe non seulement la composition de cette musique, mais également son interprétation. Le fait que l’interprétation de certaines pièces ait été interrompue pour de nombreuses décennies voire même plusieurs siècles représente un défi pour des artistes contemporains qui doivent trouver leur propre façon de la chanter et de la jouer. Monika Nováková remarque que cet aspect créatif rend la musique ancienne attractive au public tchèque. D’ailleurs, elle connaît bien son public :

Château de Trója,  photo: Jiřina Černíková / Letní slavnosti staré hudby
« Les Tchèques sont un public cultivé. Il y a quelques années, nous avons fait une recherche dans le cadre des Fêtes de musique ancienne, auprès de nos spectateurs pour voir justement qui vient aux Fêtes de la musique ancienne. Souvent les gens viennent pour plusieurs concerts, deux ou même trois, dans les trois semaines du festival. Nos spectateurs reviennent également l’année suivante. Ce qui est un bon signe pour nous. Concernant la composition du public, il y a évidemment une partie du public plus âgée, très expérimentée, mais des spectateurs jeunes viennent également parce que ce type de musique est vivant avec beaucoup de marge de manœuvre pour des artistes. Tout n’est pas écrit dans les partitions et ils peuvent ainsi improviser. »

La première édition des Fêtes de musique ancienne a vu le jour en l’an 2000. Son organisateur, l’ensemble Collegium Marianum, fondé en 1997, se consacre à l’interprétation de la musique ancienne des XVIIe et XVIIIe siècles. Le festival s’inscrit dans la vocation de cet ensemble de faire connaître au public centre-européen ce style musical dans toute sa diversité. Monika Nováková revient sur l’histoire de cet événement :

Collegium Marianum,  photo: Petra Hajská / Letní slavnosti staré hudby
« Le festival est organisé depuis l’an 2000 par l’ensemble culturel Collegium Marianum, qui est en quelque sorte un projet de famille des Semerád. Le dramaturge artistique des Fêtes d’été est le flûtiste Jana Semerádová qui s’engage également en tant que directrice artistique de Collegium Marianum. A l’origine, le festival était assez limité. Il a été organisé comme un complément de l’évènement la Gloire de la Tchéquie baroque préparé par la mairie de Prague. Ensuite, le festival est devenu un lieu de rencontres des artistes internationaux et depuis cinq ans il prend la forme actuelle qui s’étale donc sur trois semaines avec environ 2300 visiteurs l’année passée. »

L’édition 2013 évoque la ville éternelle de Rome. Tous les concerts sont en rapport avec ce thème, soit dans le choix des pièces, soit en rendant hommage aux compositeurs basés à Rome. Les Fêtes de musique ancienne excellent par une élaboration réfléchie de la ligne dramaturgique. Monika Nováková :

Photo: Petra Hajská / Letní slavnosti staré hudby
« Chaque édition doit avoir une ligne dramaturgique qui lie l’ensemble du festival, une sorte de fil rouge. Cette année nous avons choisi le thème de Roma aeterna, la ville éternelle de Rome. Ainsi, tous nos concerts ont un rapport à Rome. Ce choix se justifie également par le fait que nous nous rappelons cette année de l’anniversaire de la mort de deux compositeurs romains de l’époque de la Renaissance et du Baroque. Il s’agit d’Arcangelo Corelli (1713) et Antonio Zacara (1413). La deuxième raison pour laquelle l’édition 2013 du festival s’intéresse à Rome est tout simplement le fait que Rome était un centre non seulement religieux mais également culturel de l’époque. Des nombreuses influences partaient de Rome en direction de l’Europe. C’était à Rome qu’ont été créés et établis différents styles musicaux, comme le concerto grosso ou l'oratorio. »

Un oratorio, c’est donc un genre de la musique ancienne qui est à la fois lyrique et dramatique. Il a été inventé par l’ordre religieux italien des Oratoriens au XVIIe siècle, il n’est donc pas surprenant que la majorité des pièces puisent ses thèmes dans la vie religieuse. La création de l'oratorio correspond à une volonté de concurrencer l’opéra dans sa popularité auprès du public tout en abordant des sujets spirituels. L’extrait que nous venons d’écouter a été interprété par l’ensemble allemand Cantus Cölln qui a également ouvert le festival cette année. Pour Monika Nováková il s’agissait d’un joyau musical :

Cantus Cölln,  photo: Wolf Nolting / Letní slavnosti staré hudby
« Cantus Cölln se trouve au sommet de son genre musical. Il s’agit d’un fin morceau non seulement pour les connaisseurs mais également pour le grand public. Ils sont venus à Prague grâce à l’invitation de Jana Semerádová qui participe en tant qu’artiste à des concerts partout en Europe. Elle a entendu Cantus Cölln et a beaucoup aimé ce qu’ils font. »

Au cours du concert de l’ensemble Cantus Cölln, le public a interrompu par ses applaudissements une des pièces avant la fin. Une situation qui n’est pas exceptionnelle puisqu’il s’agissait précisément d’un oratorio. Il se trouve que la longueur d’une vingtaine de minutes et le fait que les mêmes chanteurs peuvent représenter plusieurs rôles ont pu contribuer à ce moment d’incertitude pour le public. Monika Nováková nuance :

« Le premier concert a pu avoir un côté un peu plus compliqué pour le public. Effectivement, il s’agissait d’oratorios qui peuvent durer une vingtaine de minutes. Ainsi le public risque un peu de se perdre. Mais cela n’est pas rare. Le public étranger se perd également, et en République tchèque cela n’arrive pas plus souvent qu’ailleurs. Cependant, nous avons essayé de faciliter l’orientation des spectateurs dans le concert en mettant l’accent sur l’élaboration d’un programme assez détaillé. En le suivant, ils devraient reconnaître le début et la fin. »

Château de Prague,  photo: Ivan Malý / Letní slavnosti staré hudby
Les Fêtes d’été de musique ancienne se tiennent dans des locaux soigneusement sélectionnés, parmi eux, le Château de Prague et le monastère de Břevnov, ce dernier n’étant pas régulièrement ouvert aux concerts. Monika Nováková explique le choix des salles :

« Les locaux que nous choisissons pour nos concerts sont à chaque fois adaptés au style de la musique qui y est interprétée, c’est-à-dire que la musique de la Renaissance sera jouée dans un lieu construit et décoré dans ce style, des compositions baroques seront placées dans des locaux baroques. Prague est évidemment un lieu idéal pour cela. Ensuite, nous prenons également en considération l’acoustique des lieux puisque nous avons déjà de l’expérience avec des concerts des années passées. L’objectif est d’associer la pièce à un lieu qui intensifie l’expérience de cette musique, ainsi elle est jouée dans les espaces pour lesquels elle a été écrite. »

Claire Lefilliâtre,  photo: Letní slavnosti staré hudby
Dans la semaine du 29 juillet, le festival passe à sa deuxième moitié. Quatre concerts seront encore joués. Vous pouvez trouver tous les informations sur le site du festival www.letnislavnosti.cz/en mais rappelons le dernier concert qui clôturera le festival le mardi 6 août. Dans la salle espagnole au Château de Prague, deux ensembles, Collegium marianum et Arte dei Suonatori, accompagneront la sopraniste française, Claire Lefilliâtre. Elle est connue du public surtout pour son engagement dans le groupe Le Poème harmonique duquel provenait également le premier extrait. Ce concert a pour titre « le Festin romain, le concert grandiose dans le palais du cardinal » afin de commémorer l’activité culturelle de ces dignitaires religieux qui faisaient partie des mécènes les plus signifiants de l’époque. La dernière pièce est également celle du Poème harmonique : il s’agit d’ « A la fin cette bergère ».