« Nous manquons de mots pour parler de l’Europe »

Foto: Archiv des Regierungsamtes der Tschechischen Republik

Nous manquons du langage approprié pour parler de l’intégration européenne. C’est le point d’accord entre Vladimír Špidla, chef du gouvernement social-démocrate entre 2002 et 2004 et Commissaire européen à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Egalité des chances pendant six ans jusqu’en 2010, et Petr Pithart, sénateur chrétien-démocrate, longtemps président et vice-président de la Chambre haute du Parlement. Les deux hommes ont participé au débat organisé par la Bibliothèque Václav Havel et l’hebdomadaire Respekt, ce lundi, dix ans après l’adhésion de la République tchèque à l’UE.

Photo: Site Officiel du Gouvernement
« Je me rappelle avoir célébré l’adhésion tchèque à l’UE dans les rues. Dans le quartier pragois de Smíchov, les gens se rassemblaient, il y avait de la musique, et des discours, les sentiments positifs de loin prévalaient. »

Tels sont les souvenirs personnels de Petr Pithart du mois de mai 2004. Dix ans plus tard, invité à débattre du bilan de cette adhésion aux côtés de Vladimír Špidla, il fait surtout le constat d’un déclin du soutien des Tchèques au projet européen. Vladimír Špidla voit dans le langage utilisé pour parler de l’Europe une des causes de ce déclin :

« Naturellement, l’Union européenne est compliquée et il est vrai que notre approche au niveau de la terminologie et de la compréhension est tout à fait traditionnelle alors que l’Europe, c’est une innovation extrême. »

Et cette innovation, nous avons donc plus de mal à la cerner. Selon Špidla, pour parler de l’intégration européenne, nous utilisons d’une terminologie issue du XIXe siècle et des termes comme « gouvernement » ou « parlement » dans le contexte communautaire n’ont pas la même signification qu’au niveau national. Petr Pithart se joint à cet argument de la difficulté sémantique :

Petr Pithart,  photo: CTK
« Le langage que nous utilisons pour parler de l’Europe nous trahit car il se réfère à des termes en apparence connus mais qui ne sont pas contextualités. Or, dans le cadre de l’Union, le parlement ne recouvre pas la même réalité que dans un Etat. Les gens imaginent une arène de combat entre l’opposition et la majorité gouvernementale. Mais le Parlement européen ne correspond pas à cette image. Et ces mêmes gens se sentent trompés quand vous leur parlez de l’UE en utilisant ces termes. »

Selon Vladimír Špidla, les artisans de la construction européenne étaient néanmoins conscients de ce problème et voulaient éviter certaines confusions :

« C’est la raison pour laquelle la Commission européenne prend justement ce nom de « commission », parce que, en principe, on voulait éviter tout parallèle avec un gouvernement traditionnel. »

Cela n’a peut-être pas très bien marché, car le Traité établissant une Constitution pour l'Europe faisait beaucoup allusion au terme de Constitution pris dans son sens traditionnel, celui de texte fondamental d’un Etat, or l’Union européenne n’est pas un Etat… Malgré sa complexité, Petr Pithart appelle à ne pas renoncer à expliquer le fonctionnement de l’UE :

Vladimír Špidla,  photo: CTK
« Sinon, c’est comme si nous regardions le public de haut en lui disant : « c’est trop compliqué, de toute façon vous ne le comprendriez pas ». Mais après il ne faut pas s’étonner du manque d’intérêt et de confiance que les gens manifestent au moment des élections européennes. Il faut toujours insister sur le fait que l’Union européenne ne correspond pas à leurs repères dans des institutions nationales mais que c’est un projet qui n’a pas de prédécesseur et qui sera peut-être sans successeur. »

Les difficultés sémantiques ne font donc qu’amorcer la complexité réelle de la construction européenne. Mais au-delà de la nécessité d’informer davantage les Européens, l’ancien Commissaire européen appelle également à un changement de discours au niveau des politiciens et des médias. Selon lui, la politique européenne n’est pas une composante de la politique étrangère mais de la politique intérieure. Špidla résume : Bruxelles ne nous impose rien, Bruxelles c’est nous.

Pour faire face au manque de confiance des citoyens tchèques et européens, d’après Petr Pithart, l’Union devrait revenir sur ses origines et rappeler que c’est un projet de paix, né sur les ruines de l’Europe suite aux deux guerres mondiales. L’année 2014 est à ce propos une bonne occasion :

« Toute l’année, nous allons évoquer le centenaire du début de la Première Guerre mondiale et c’est un fil narratif que devrait saisir l’Europe. Car cette guerre a montré l’échec total des Etats-nations. Les souvenirs de cette guerre, qui seront omniprésents dans les médias, représentent une opportunité pour que le plus grand nombre prenne conscience de la raison d’être de l’Union européenne. »