Odeon, une maison d’édition qui renaît toujours de ses cendres

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La maison d’édition Odeon figure sur la scène littéraire tchèque depuis très longtemps et malgré les métamorphoses qu’elle a subies, elle a été et est toujours considérée comme une garantie de la bonne littérature. L’histoire de la maison Odeon commence dans les années 1920. Le mot Odéon est donné, en ce temps-là, à la librairie Fromek qui devait devenir, entre 1923 et 1940, une célèbre maison d’édition de l’avant-garde tchèque.

L’appellation Odeon resurgira en 1966 pour remplacer le titre trop long et rébarbatif de la «Maison d’édition d’Etat des belles lettres et des arts». Et c’est la grande période de cet établissement qui entrera dans l’histoire culturelle du pays parce qu’il devient peu à peu une véritable fenêtre sur le monde. Grâce à toute une série d’excellents traducteurs et à une stratégie astucieuse Odeon réussit à offrir au lecteur tchèque les œuvres des meilleurs auteurs étrangers.

La renommé d’Odeon ne se ternira pas même pendant la triste période de la «normalisation» après l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. Malgré la censure, malgré les tendances de plonger tout le pays dans un profond isolement et de le séparer du monde culturel par le rideau de fer, l’équipe de rédacteurs et de traducteurs réussit à sauver la qualité de la production d’Odeon. Une large part de cette production est réservée à la littérature française. La rédactrice Dagmar Steinova ayant travaillé d’abord dans la Maison d’édition des belles lettres et des arts et puis à Odéon évoque cette période dans ses Mémoires :

« Nous avons cherché à illustrer d’abord l’avènement de la littérature moderne à partir du XIXe siècle et avons publié Baudelaire, Rimbaud… Plus tard nous nous sommes lancés dans l’édition du Nouveau roman. Quand il s’agissait d’un auteur problématique sur le plan politique, nous le transmettions à Světová literatura (Revue de la littérature mondiale) qui était moins surveillée par la censure. Ainsi ont pu paraître par exemple «Défénestrations surréalistes », les écrits du marquis de Sade etc. Je traduisais Sartre et le marquis de Sade mais aussi par exemple Roger Vailland. Bien que l’héroïne du premier roman de Vailland paru chez Odeon ait été une militante syndicaliste, il ne s’agissait pas de réalisme socialiste. Elle avait un enfant illégitime et un amant, ce qui était impensable dans la littérature tchécoslovaque à l’époque, sans parler de la littérature soviétique. Et c’était la raison principale pour laquelle nous avons décidé de publier ce roman.»


La chute du communisme et la privatisation du marché du livre ne profite pas à la maison Odeon qui disparaît en 1992. La première tentative pour la ressusciter est faite en 1996, mais c’est un échec. Un an plus tard on récidive et cette fois-ci Odeon renaît vraiment de ses cendres mais change encore deux fois de propriétaires. Finalement, en 2000, la maison est rachetée par la société Bertelsmann AG et elle se met à chercher de nouveau sa place sur le marché du livre tchèque. D’après son rédacteur en chef actuel Jindřich Juzl, elle le fait en toute modestie :

« Depuis l’an 2000 Odeon fait partie de la société Euromedia. Et il y une tendance à renouer avec la gloire passée dans des conditions plus modestes. Notre maison publie quelque vingt cinq livres par an et il s’agit notamment d’ouvrages en prose traduits mais on y trouve aussi des auteurs tchèques. Il s’agit avant tout des livres considérés comme la bonne littérature - ouvrages de fiction, auteurs de qualité, noms connus. C’est moi qui propose les œuvres à publier, je décide dans une certaine mesure des ouvrages qui vont finalement paraître mais, évidemment, il y a beaucoup de personnes qui me recommandent et lisent des livres pour moi, des journalistes, des traducteurs … »

Jindřich Jůzl
Il ne faut pas oublier que les conditions dans lesquelles Odeon travaille aujourd’hui ne ressemblent pas à celles des années de sa gloire. Sous le communisme sa production se heurtait à la censure, aujourd’hui elle se heurte à la concurrence de nombreuses maisons d’édition ayant envahi le marché du livre tchèque.

« Notre production est divisée en cinq séries. C’est dans la série ‘Bibliothèque mondiale’ que nous avons publié le plus grand nombre de titres, je pense qu’ils sont en ce moment 65. Quand à la série des Prix Nobel, elle compte en ce moment 12 volumes. Il s’agit des livres des auteurs qui sont lauréats de cette plus haute décoration. Mais je ne pense pas que le fait de recevoir le prix Nobel représente quelque chose de très importants pour les lecteurs tchèques. Cela ne fait pas augmenter le nombre d’exemplaires vendus, qui varie seulement de 200 à 300. »


La maison Odeon publie systématiquement les traductions tchèques des oeuvres du romancier colombien Gabriel García Márquez. On pourrait dire même que Márquez est la spécialité de la maison :

«Cela a duré plusieurs années avant que nous recevions les droits d’auteur pour les oeuvres de cet écrivain. C’était extrêmement compliqué. Marquez est probablement l’auteur le plus cher que nous ayons. Néanmoins, il se vend toujours très bien qu’il s’agisse des premières éditions ou des rééditions. C’est le cas aussi de la première édition du «Rapport sur un enlèvement» ou de ses «Mémoires» dont on a vendu 20 000 exemplaires.»

Parmi les autres séries il y a celle intitulée «Bibliothèque des classiques» où figurent les grands auteurs qui ont résisté à l’épreuve du temps, dont par exemple les grandes figures du XXe siècle, Pasternak, Faulkner, Fitzgerald, London mais aussi les auteurs encore plus anciens comme Dostoïevski, Dumas etc.

Un petit regret à la fin. La littérature française contemporaine est assez peu représentée dans la production de cette maison. En feuilletant son catalogue sur Internet je n’ai trouvé que deux ouvrages français : «Une vie française» de Jean-Paul Dubois et «La possibilité d’une île» de Michel Houellebecq. En cela Odeon n’est pas encore à la hauteur de sa renommé et de ses traditions.