Olivier Cotte : « Il y a une culture commune entre l’animation tchèque et française »

Photo: www.gobelins.fr

Dans le cadre de la 10e édition du festival du film d’animation Anifest était organisé un forum franco-tchèque dont le but est de rapprocher et d’échanger sur deux grandes traditions de l’animation. Parmi les invités, Olivier Cotte, historien de l’animation et professeur à l’Ecole des Gobelins à Paris qu’il nous présente :

Olivier Cotte
« L’école des Gobelins est la toute première école d’animation à avoir été ouverte en France dans les années 1970. C’est donc la plus ancienne et c’est une école qui a la particularité d’être portée sur l’animation elle-même, l’animation de personnages. Ce n’est pas une école d’expression artistique, on n’est pas là pour réaliser des films en solo, pour s’exprimer comme on le fait par exemple avec la peinture ou les arts plastiques traditionnels. On fait des films mais dans le cadre de travaux de groupes. Ces films peuvent être projetés notamment pendant les séances de projection de films en compétition au festival d’Annecy. Ce sont des films de commande. En troisième année, il y a la réalisation, toujours collective, d’un film de fin d’études. »

C’est une école spécifique également parce que vous travaillez à la manière ancienne. Certes vous utilisez le numérique, mais c’est plutôt dans une deuxième phase…

« La première année notamment, les étudiants touchent un peu au numérique. Mais le gros du travail est réalisé en animation traditionnelle sur papier. Je précise qu’on ne fait pas d’animation en volume aux Gobelins, tout simplement parce qu’on ne peut pas tout faire ! Si on veut vraiment bien enseigner et que les étudiants apprennent bien, il vaut mieux être spécialisé. On est donc sur l’animation en 2D, ce qui signifie aussi qu’il faut bien savoir dessiner pour rentrer à l’école. »

Cela veut dire qu’un étudiant arrive en général aux Gobelins après avoir fait déjà une école ?

Photo: www.gobelins.fr
« Très souvent. Ils font une remise à niveau. Après le baccalauréat, la plupart d’entre eux suivent des cours dans d’autres écoles, de manière à pouvoir être reçus aux Gobelins parce que le concours est assez sévère. Il y a entre 500 et 700 candidats pour 25 élus. Après par contre, pour revenir aux techniques, en deuxième année, on va beaucoup plus vers le numérique. »

Quand un étudiant sort des Gobelins, quelles portes s’ouvrent à lui ?

« Généralement, un étudiant qui sort des Gobelins trouve assez facilement un travail en tant qu’animateur parce que c’est une école spécialisée dans l’animation de personnages, quelle que soit la technique… Insuffler une vie à un personnage est totalement indépendant de la technique utilisée. Cet apprentissage qu’ils ont eu, ils peuvent le mettre en service quelle que soit le type de production. On ne forme pas spécifiquement de réalisateurs mais un étudiant peut sortir de l’école et se dire qu’il va être story-boarder. Quelques uns changent totalement d’orientation et se retrouvent à faire de la BD, de l’illustration, sachant que les Gobelins auront amené la capacité à mettre en image des idées et des personnages de manière graphique et avec une certaine puissance dramatique. »

Vous êtes historien de l’animation. Vous pouvez donc comparer les différents styles, les différentes écoles nationales. Vous connaissez évidemment l’animation tchèque. Pourriez-vous la qualifier et la comparer avec la tradition française ?

'Brave soldat Chveïk'
« Je trouve qu’il y a plutôt pas mal de points communs entre l’animation tchèque et française. Il y a une culture commune. On pourrait dire d’ailleurs un peu la même chose de la France et de la Pologne. Il y a quelque chose d’assez commun entre les deux. Par contre il y a quand même des spécificités. L’animation tchèque est très portée sur le volume et les marionnettes parce que la marionnette est un art vraiment typiquement tchèque. Il y a eu des écrivains qui ont vraiment des pièces pour la marionnette. Il y a des théâtres pour cela, ce qui n’existe pas vraiment en France. Du coup l’animation s’est aussi portée sur la marionnette. Là-dessus, la France est un peu en retard. Depuis une quinzaine d’années on fait beaucoup plus de films en volume, c’est un phénomène général dans le monde entier. Mais c’est nouveau pour le monde occidental alors qu’ici c’est une tradition. Par contre en termes d’univers et de scénario, on peut trouver beaucoup de points communs. Le surréalisme est né à Paris et il y a un surréalisme tchèque très important. »

Et qui est toujours vivant aujourd’hui…

« Oui, avec des réalisateurs qui commencent certes à avoir un certain âge comme Jan Švankmajer. Mais il y en a d’autres, il y a une relève. Il y a une identité européenne commune aux deux pays. Il y a une façon de voir une certaine absurdité de l’existence. Ce n’est pas pour rien qu’en France, un certain nombre d’artistes ont été accueillis comme Ionesco et qui est l’inventeur du théâtre de l’absurde. Cette mise en scène de l’absurdité de l’existence on la retrouve aussi dans la culture tchèque. »

Et puis sept producteurs français de court-métrages et de films d’animation ont été invités à Teplice pour échanger avec leurs homologues d’Europe centrale ainsi qu’avec des auteurs. Ils nous en disent plus sur le sujet.



RD : « Je suis Ron Dyens, j’ai créé Sacrebleu Production en 1999. Depuis on a produit une petite cinquantaine de court-métrages présentés dans plus de 900 festivals. On fait environ 50% d’animation, 50% de prise de vue réelle et de documentaires. Et on est en train de passer doucement aux long-métrages. »

CP : « Je suis Christian Pfohl, je suis le fondateur, avec un groupe d’amis de la société Lardux Films, qui existe depuis 20 ans. On est connus pour faire tout sauf de la fiction, avec une grande passion pour l’animation. »

Vous êtes invités dans le cadre du festival Anifest. Quel est votre rôle ici ?

CP : « Le Visegrad Exchange Forum est une session de ‘pitch’ de projets. C’est une formule qui existe depuis une dizaine d’années dans les festivals internationaux et qui revient en amont des films pour aider à monter des projets. Ils ont eu l’excellente idée à Anifest de tenter le coup ici. ‘Pitcher’ un projet, c’est le présenter, apprendre les défauts et qualités de son projet, mais immédiatement trouver en face de soi des acheteurs de télé, des producteurs, des financiers. La difficulté pour monter un film, c’est que tu dois voir des gens mais tu ne les as jamais sous la main. Tu dois te démener pour les voir, notamment en France où le moindre sous-fifre d’une sous-chaîne est un premier ministre, injoignable, qui ne rappelle jamais… Arriver à rencontrer ces gens est très compliqué. Le rôle des festivals est formidable, ils te les mettent devant toi. Et le rôle des télés et des producteurs est d’être attentif et de choisir ce qui nous plaît dans un panel de projets. »

Cela veut dire que les projets présentés ici peuvent espérer des débouchés à l’avenir, une coproduction par exemple ?

Ron Dyens
RD : « Pourquoi pas ? Tout est possible. Un projet dépend de beaucoup de facteurs : de la personnalité de l’auteur, de la qualité du producteur, du style graphique, du désir de travail, de l’originalité, de la présentation etc. C’est une alchimie. Ce qui est intéressant dans ces travaux artistiques, c’est qu’on est souvent surpris par ce qu’on peut voir, entendre… »

Vous avez également visité à Prague des studios. Quelles sont vos impressions sur ces rencontres ?

CP: « On voit bien que la République tchèque a une longue histoire de l’animation, une spécialité dans la marionnette. C’est quelque chose que nous, de loin, on pouvait critiquer parce que c’est un peu ancien comme style. Mais on sent aussi une volonté de le renouveler. La stop-motion et la marionnette avaient perdu leur attrait jusqu’à ce que certains prouvent – comme Tim Burton – que c’était un genre très aimé du public. On est donc dans une phase ascendante. Et le secteur de l’animation tchèque devrait déboucher sur quelque chose qui a un très fort potentiel. Mais il faut se débarrasser d’un certain style de narration, de conte traditionnel, qui a eu ses lettres de noblesse mais ne fonctionne plus aujourd’hui. On a rencontré de grands professionnels et de vrais talents qui veulent faire évoluer tout ça. »