Olivier Jacquot sur le CEFRES : "une phase de transition délicate mais qu'il faut faire"

Il y a quelques mois de cela, un certain nombre de chercheurs tchèques faisaient part de leurs inquiétudes quant au financement du Centre de recherche français de Prague (CEFRES), un élément essentiel selon eux de la collaboration scientifique franco-tchèque, comme le rappelait sur ces ondes le sociologue Jan Keller. Olivier Jacquot est directeur de l’Institut français de Prague (IFP). Il occupe également le poste de conseiller de coopération et d'action culturelle, et c’est à ce titre qu’il a accepté de répondre aux questions de Radio Prague à propos de l’avenir et du financement du CEFRES.

Olivier Jacquot,  photo: CT
Au mois de juillet, des chercheurs ont adressé une lettre ouverte au ministère des Affaires étrangères et à l’ambassade de France pour protester contre la baisse des fonds alloués au CEFRES s’inquiétant de l’avenir de la coopération franco-tchèque en matière de recherche scientifique. Que leur avez-vous répondu ?

« D’abord, on les remercie pour l’intérêt qu’ils portent au CEFRES. C’est essentiel, car le CEFRES, c’est vingt ans de recherche en sciences sociales, non seulement sur la Tchécoslovaquie puis sur la République tchèque, mais sur l’ensemble de l’Europe médiane. C’est donc un héritage à faire fructifier, c’est le premier point. Deuxième point sur le budget, c’est d’une extrême simplicité. Je peux le démontrer extraordinairement facilement. Il n’y a pas eu de baisse de subventions pour le CEFRES. Le véritable problème est autre. Les deux tutelles du CEFRES, le ministère des Affaires étrangères, qui n’a pas de légitimité scientifique, et le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ont considéré trois choses. D’abord que la demande de recherche en sciences sociales était forte de la part des Tchèques vis-à-vis des Français, mais qu’elle avait considérablement changé. C’est-à-dire que, aujourd’hui, les thèmes sur lesquels travaillaient le CEFRES, je pense à la mémoire, à l’après-communisme ou au communisme, sont très intéressants, mais il y a une autre demande qui émane de la part des chercheurs tchèques. Ensuite, le CNRS, qui est en train de restructurer ses coopérations à travers le monde, a souhaité ne plus envoyer de chercheurs délégués au CEFRES pour plusieurs raisons légitimes parce qu’il les a choisies. Nous, aux affaires étrangères, on a souhaité réagir là-dessus et proposer une chose qui est extrêmement simple : intégrer le CEFRES, c’est-à-dire l’héritage des vingt années, mais aussi les recherches qui se font et se feront, dans un établissement tchèque. Vingt-deux ans après les changements possibles, huit ans après l’intégration européenne, l’idée, c’est de faire exactement ce qui s’est fait à Berlin avec le Centre Mark Bloch, c’est-à-dire l’intégration dans un établissement local. Au fond, l’idée, c’est de transformer le CEFRES en l’intégrant dans des équipes de recherche là où il y a une masse critique de chercheurs. Aujourd’hui, sans cette masse critique, il n’est pas possible de faire de la recherche. Or la masse critique de chercheurs aujourd’hui vient-elle de France ? La réponse est simple : la réponse est non. Donc, il faut chercher les chercheurs là où ils sont aujourd’hui, c’est-à-dire,soit à l’Académie des sciences, soit à l’Université Charles, soit à la VŠE (la Haute école d’économie), soit en province. Voilà l’idée : il y a un nouveau directeur (il s’agit de Philippe Rusin, qui est un économiste libéral, spécialiste de la Pologne et précédemment directeur du Centre de civilisation française dans ce pays), il y a une structure qui existe toujours, on va faire un choix avec la partie tchèque de l’intégration du CEFRES dans un établissement tchèque, pour qu’il soit à la fois en phase avec la demande des chercheurs tchèques et en même temps pour que les équipes de recherche puissent être réellement communes. »

Comment évaluez-vous la demande tchèque pour une nouvelle approche de la collaboration, puisque pour le moment la seule demande qui a pu être entendue est celle de ces chercheurs qui souhaiteraient plutôt privilégier une continuité de l’action du CEFRES ?

« A l’ambassade et au ministère, nous prenons cela comme une demande très positive de leur part et on veut les rassurer. Il n’est pas question qu’on abandonne ce qui s’est fait jusqu’à présent. Les études historiques, les recherches en histoire médiévale ou en histoire moderne vont continuer. Simplement, aujourd’hui, qui peut encadrer les recherches comme c’était le cas il y a cinq ou six ans ? Il n’y a plus de chercheurs français. On peut le regretter, mais c’est un fait. Si on continue ainsi, on sera dans une logique où le CEFRES va se dessécher parce qu’un centre où il n’y a plus, ou très peu, de chercheurs, est un centre qui est appelé à disparaître. Nous, on a voulu faire le contraire. Aujourd'hui, l'idée d'avoir un centre piloté par le ministère des Affaires étrangères est une idée dépassée. »

Depuis quelques années, le CEFRES s'inquiète de sa situation financière. On peut comprendre qu'il ne puisse pas accueillir de nouveaux chercheurs dans ce cas...

L'Institut français de Prague
« Non, parce que les chercheurs sont financés par le CNRS et pas par le CEFRES. C'est le CNRS qui décide pour les chercheurs en délégation. C'est lui la source de la légitimité scientifique. Le CEFRES, lui, peut aider quelques doctorants et il l'a fait par le passé. Je répondrai simplement deux choses. Il ne faut pas nier le fait que l'enveloppe globale des moyens mis à disposition par Paris a diminué de manière sensible, mais c'est beaucoup plus sensible sur l'Institut français de Prague (IFP) que sur le CEFRES. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs, il y a trois ans, pour éviter une inflation des dépenses, on l'a hébergé gratuitement ici à Štěpanská (ndrl : dans son rapport d’activité pour l’exercice 2011-2012, le CEFRES remarque que si des économies ont été réalisées suite à ce déménagement, « d’autres dépenses sont apparues ou ont augmenté » du fait de la mutualisation des dépenses avec le Service culturel de coopération et d’action culturel et l’IFP). Donc, on est dans une logique où le CEFRES est l'institution, la ligne budgétaire, qui a le moins souffert des baisses budgétaires. On ne peut pas nier le fait que les moyens mis à disposition par Paris sont en baisse. Donc, notre travail, c'est de s'adapter. On ne peut plus compter sur une seule subvention de fonctionnement. Le financement de la recherche en France comme en République tchèque, ce n'est pas d'attendre que la subvention arrive. C'est des projets européens, c'est des projets régionaux, parce que le CEFRES a une vocation régionale : Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque. Pour un certain nombre de chercheurs tchèques, le CEFRES a un immense avantage : c'est une structure française qui a des moyens. Et pour des chercheurs français, le CEFRES, c'est l'inverse. Il a des moyens, mais d'une certaine façon, c'est un « faux-nez de l'ambassade ». On est dans une période de transition sur la recherche, où le CNRS estime qu'il faut profondément modifier la structure pour être dans une logique où les chercheurs qui seront au CEFRES soient en phase, non pas avec une excroissance de la recherche française en République tchèque, mais avec une recherche d'Europe centrale qui travaille sur des problématiques qui, à tort ou à raison, – je ne suis pas chercheur – sont tout aussi importantes. »

Comment cette intégration va-t-elle se passer ? N'y a-t-il pas un risque de « désintégration » dans la recherche locale ?

« Pour l'instant, le nouveau directeur du CEFRES, qui vient d'arriver il y a quelques semaines, doit proposer, en lien avec les Tchèques, une évolution. Vers quel établissement tchèque allons-nous nous tourner ? C'est d'abord à la partie tchèque de répondre. On va leur faire des propositions qu'ils vont accepter ou non. »

Qui sont les représentants de la partie tchèque ?

« Il s'agit du président de l'Académie des sciences, l'Université Charles, la VSE, l'Université Masaryk de Brno. Aujourd'hui, nous sommes dans une logique de partenariat. Ensuite, on ne peut pas dire que le CEFRES est le seul vecteur. Il y en a beaucoup d'autres. Au delà du CEFRES, le service culturel de l’ambassade, cette année en 2012, a distribué 118 bourses, tous domaines confondus, de la mécanique des fluides à l'histoire médiévale, de durées différentes, de deux mois pour un stage d'archives ou une thèse en cotutelle en trois ans. Donc, il y a toute une série de moyens pour accéder à la recherche scientifique française. Le malentendu est là et notre rôle est de le dissiper. Le CEFRES, on veut le préserver mais à la condition qu'il ne referme pas comme une gangue franco-française. La phase de transition est toujours une phase délicate, mais il faut la faire. »

La recherche scientifique tchèque connaît également des changements. Depuis l'année dernière, les financements privés sont plus importants en volume que les financements publics. Or, le financement privé ne va pas forcément s'intéresser aux sciences sociales, où on va estimer qu'il va y avoir moins de retombées économiques. Donc, c'est plutôt une situation d'instabilité financière pour certains acteurs de la recherche scientifique tchèque.

« Il ne s'agit pas de favoriser l'instabilité financière. Encore une fois, nous sommes là pour veiller à ce que les sciences sociales françaises puissent rayonner dans le pays et plus généralement dans la zone. Les évolutions qui se font jour ici en République tchèque, on peut être d'accord ou pas d'accord, il se trouve qu'elles existent. Et si on nie ces évolutions, si on se retranche derrière un faux paravent, la situation sera encore plus difficile dans quelques années. Concrètement, cela signifie que les doctorants en histoire médiévale qui sont à l'Université Charles, à Brno ou ailleurs, vont continuer à travailler avec le CEFRES. Et on les soutiendra. Aujourd'hui, il y a de nombreuses thèses en cotutelle. Il ne s'agit donc pas pour nous d'un désengagement. Ni de porter un jugement en disant « ce qui se fait en République tchèque, c'est mal. » Ce n'est pas notre rôle et c'est faire jouer au CEFRES un rôle qu'il n'a pas a joué. Nous veillerons à satisfaire la demande des chercheurs tchèques dans la limite de nos moyens. Mais aujourd'hui, huit ans après l'entrée dans l'Union européenne, dire qu'on peut nous les Français, un travail, seuls sans être en prise réelle avec le monde tchèque, c'est quand même très compliqué. »