« L’objectif est de s’approprier les libertés académiques comme n’importe quelle autre liberté »
Le Centre français de recherche en sciences sociales (CEFRES), installé à Prague, fête en 2021 ses trente ans, l’occasion pour le Centre d’organiser un colloque anniversaire. Le second volet de ce dernier, ayant pour thème « Les libertés académiques sont-elles l’affaire de tous ? », se tient ce jeudi 25 et vendredi 26 novembre. Interrogé par Radio Prague International, le directeur du CEFRES, Jérôme Heurtaux, donne un avant-goût des discussions qui animeront ce colloque en format hybride, intégralement retransmis sur Zoom et sur Facebook.
« Le second volet de ce colloque était en fait prévu lors du premier colloque, si ce dernier avait pu se tenir en présentiel, ce qui n’a été que partiellement le cas. Nous avons donc choisi de le dissocier et d’organiser deux événements. Ce deuxième événement a sa propre autonomie puisqu’il vise à répondre à une question qui, à mon avis, est essentielle s’agissant des libertés académiques : ‘Les libertés académiques sont-elles l’affaire de tous ?’ L’enjeu des libertés académiques est un enjeu de plus en plus important en Europe centrale et au-delà. Il questionne les limites, les contraintes et les obstacles liés à l’activité des chercheurs, notamment en sciences sociales et humaines, dans un grand nombre de pays. Ces libertés académiques sont néanmoins méconnues ou mal connues par la population et par les sociétés dans lesquelles elles sont mises en question, alors même que les personnes ordinaires savent très bien ce qu’est, par exemple, la liberté de la presse et comprennent que la liberté de création artistique est une valeur importante. La liberté académique, en revanche, est assez peu connue. »
« Ainsi, l’idée qui est sous-jacente à ce colloque est de convaincre un public aussi large que possible de la nécessité qu’ils prennent à leur compte les libertés académiques comme n’importe quelle autre liberté et même si eux-mêmes n'en bénéficient pas. Les libertés académiques ce sont des droits un peu de privilégiés dont bénéficient les chercheurs qui se voient reconnaître des compétences à travers des diplômes. Bien sûr que c’est une liberté qui profite à un petit nombre, mais il est absolument nécessaire que le plus grand nombre comprenne que leur propre liberté dépend aussi du respect de celle-ci. C’est l’objectif de ce colloque qui aura lieu à Prague dans quelques jours et qui verra un grand nombre d’invités qui parleront de situations et de remises en question des libertés académiques dans de nombreux pays. »
Pourquoi avoir choisi le thème des libertés académiques pour célébrer le 30e anniversaire du CEFRES ?
« Le CEFRES, créé en 1991 et présent à Prague au cœur de l’Europe centrale depuis l’effondrement du communisme, a été à la fois un témoin et un acteur des transformations considérables du champ de la recherche. Il a donc pu observer la manière dont ont évolué les routines, les manières de faire, le contenu des objets de recherche, le découpage des disciplines, l’évolution des perspectives de recherche au cours de ces trente dernières années et aussi les conditions de travail et de financement de la recherche. Or qu’observons-nous depuis trente ans ? Des transformations considérables dans la manière de travailler avec l’européanisation, le développement tous azimuts du nouveau management public, l’exigence de rentabilité, ou du moins de compétitivité et l’évaluation qui devient l’alpha et l’oméga de la carrière d’un chercheur. Tout cela a conduit les chercheurs, notamment en sciences sociales et humaines, à modifier leur rapport à leur discipline. Il faut ajouter à cela, les crispations politiques et l’effet du politique sur la science lorsqu’un pouvoir prend une tournure autoritaire, comme en Hongrie, en Pologne ou même en Slovaquie au cours des trente dernières années. Il est donc absolument nécessaire de regarder ces choses-là en face : il y a, à la fois, une remise en question par des pouvoirs politiques, mais aussi une transformation, disons lente, parce qu’invisible de l’extérieur, du fonctionnement de la recherche et de son financement qui a également des effets sur l’autonomie des chercheurs. »
Comme vous venez de le préciser, lorsqu’on évoque le thème des libertés académiques, on pense forcément au cas de la Hongrie, au regard de l’actualité récente. Le colloque ne se limitera cependant pas qu’à cet exemple. Quels pays seront au cœur des discussions ?
« Vous faites bien de parler de la Hongrie, nous allons recevoir Gábor Egry de l’Académie hongroise des sciences. Lors du premier colloque du CEFRES en mai, nous avions déjà eu l’honneur de recevoir Michael Ignatieff qui était le recteur de la CEU, la Central European University, maintenant à Vienne, puisqu’ils ont été en quelque sorte virés de Hongrie par le Premier ministre, Viktor Orbán. La Hongrie est évidemment un sujet de préoccupations majeur en Europe centrale. J’ajouterais aussi la Pologne. Un collègue de Poznań, Piotr Forecki, nous montrera comment les spécialistes de l’Holocauste en Pologne, se retrouvent au tribunal dans le contexte d’un raidissement à la fois politique et judiciaire dans ce pays quant à l’autonomie des historiens. Ce sont donc deux pays qui connaissent aujourd’hui des bouleversements. Il est important pour nous au CEFRES à Prague d’accompagner nos collègues et d’être solidaires avec eux. La Hongrie est un exemple parfait puisque la CEU, cette université américaine à Budapest, a dû quitter le territoire, et l’Académie hongroise des sciences et les universités ont été soit démantelées soit mises sous la coupe du pouvoir au nom de la rationalisation de la recherche hongroise.
D’autres pays seront couverts. Je pense bien évidemment à la Biélorussie. Nous allons recevoir lors de la séance inaugurale Olga Golubko qui est cheffe de programme au Bureau de l’éducation du nouveau Belarus et qui travaille depuis l’extérieur des frontières biélorusses à la résolution des problèmes de ce pays. Elle est chargée de superviser et de suivre la question de l’éducation, de l’enseignement supérieur, des chercheurs et des étudiants qui soit sont en prison, soit ont dû quitter le pays. Nous allons aussi évoquer la Chine, le continent africain, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Et nous parlerons aussi de la France. L’année dernière a, en effet, été marquée par des crispations qui ont pris le nom d’atteinte aux libertés académiques.
Donc comme vous le voyez, nous ne nous concentrerons pas seulement sur l’Europe centrale, même si c’est au cœur de nos réflexions, parce qu’il me semble qu’il y a là, quand même, il faut le reconnaître, des traits communs à des évolutions qui se passent dans un grand nombre de pays, quelle que soit la région du monde. L’objectif de ce colloque n’est pas seulement de promouvoir ou de défendre, mais aussi de comprendre et de réfléchir à l’hétérogénéité et à l’historicité des cas. Le colloque se terminera par une discussion collective avec un titre sibyllin : ‘Que faire ? Comment faire ?’ »
Le colloque devrait se tenir de façon hybride. Nos auditeurs peuvent-ils assister en personne et en ligne au colloque ?
« A l’heure actuelle, nous savons que nous pouvons participer à un événement public dès lors que nous sommes en possession d’un passe sanitaire. Dans tous les cas, il faut s’inscrire. Nous voulons savoir combien de personnes viennent, puisque nous sommes tenus par une jauge limite. Il suffit de regarder la page Facebook du CEFRES, sa page Instagram, son site cefres.cz ou bien nous écrire un mail à [email protected] pour assister en personne. Pour suivre le colloque en direct, puisqu’il sera intégralement retransmis sur Zoom et sur notre page Facebook, il suffit de se rendre sur notre page Facebook ou sur notre site internet où les liens vers Zoom sont indiqués. Le colloque commence le jeudi 25 à 16h30. Tous les auditeurs et auditrices de Radio Prague International sont évidemment les bienvenus à ce colloque. »
Pour conclure, quels autres événements, qui pourraient intéresser nos auditeurs et lecteurs, prévoit d’organiser le CEFRES d’ici la fin de l’année ?
« Nous avons repris cette année un séminaire que nous appelons le séminaire du CEFRES qui a lieu toutes les trois semaines à peu près. La prochaine séance du séminaire sera consacrée aux ‘sources visuelles dans l’atelier de l’historienne’. Nous recevrons en ligne Ania Szczepanska qui est l’auteure d’un livre magnifique sur l’histoire de Solidarność à travers des documents, des archives visuelles et audiovisuelles, des photographies et des films réalisés dans les années 1980. Elle redécouvre ce syndicat polonais aux dimensions nationales, qui a beaucoup joué dans l’effondrement du communisme dans ce pays à travers des sources originales. Ce séminaire qui a lieu le 1er décembre aura pour objectif de réfléchir à comment l’historien ou l’historienne peut se saisir de ce type de sources pour écrire le passé et l’histoire. C’est un séminaire auquel tous les auditeurs sont également conviés. »
Retrouvez toute l’actualité du CEFRES et de plus amples informations sur le second volet du colloque anniversaire de cette semaine sur le site du Centre : cefres.cz.