Olivier Py: "Ceux qui ont encore de l'énergie spirituelle, savent où trouver des compagnons pour continuer à vivre."

Olivier Py

"Je suis un des rares créateurs non désespérés. C'est rare en Europe", dit l'homme de théâtre français Olivier Py qui a assisté, ce mercredi, au Théâtre Ponec à Prague à une lecture de sa pièce intitulée "Faust nocturne". Dire qu'Olivier Py est un homme de théâtre serait réduire considérablement l'étendue de ses activités. Ce comédien et metteur en scène est aussi auteur de nombreuses pièces dont certaines choquent par leur originalité et leur démesure. Il a mis également en scène plusieurs opéras et réalisé des films pour Arte. Le théâtre basé sur la poésie reste cependant le noyau de ses activités et de ses ambitions. Il s'en est confié à Radio Prague à l'issue de la lecture de sa pièce et d'un débat avec le public au Théâtre Ponec.

Quel est le rôle que le théâtre joue dans votre vie?

"Eh bien, c'est ma vie. Je n'ai pas d'autre vie que le théâtre même si je fais des choses différentes pas seulement du théâtre, mais aussi de l'opéra ou du music-hall. Pourtant le centre de ma vie c'est le théâtre, le centre de mon écriture c'est l'écriture théâtrale. Il a été pour moi l'équivalent d'une religion. Quand j'étais adolescent j'avais deux rêves. C'était une vie consacrée entièrement à la prière et l'autre possibilité, c'était le théâtre. Comme je n'avais pas la patience d'un grand mystique... je ne sais pas, les choses ce sont décidées pour moi. J'ai trouvé au théâtre la possibilité de continuer ma méditation, mon expérience intérieure, mon aventure spirituelle, et de ne pas le faire seul, de le faire avec des camarades. Donc c'est pour moi le lieu d'une aventure spirituelle que je n'ai pas pu vivre dans la vie religieuse."

On vient d'entendre votre pièce "Faust nocturne". Faust, un personnage mythique, a inspiré Goethe, Marlow et d'autres auteurs. Qu'est qu'il reste à dire de Faust? Pourquoi avez vous choisi ce personnage?

"Faust est un personnage, ce n'est pas un sujet. Je l'ai choisi parce que c'est une métaphore de l'homme, qui cherche, de l'homme qui pose des questions, et puis du poète. J'ai resserré la pièce à trois personnages. Marguerite est un jeune homme, et Mephisto est un autre amant de ce vieux poète qu'est Faust. Je me suis aussi projeté à travers ces trois âges dans ces personnages. On gagne toujours du temps vis-à-vis du public quand on prend des personnages qui ont déjà un héritage littéraire. Je crois que le personnage de Faust est par dessus tout l'homme qui cherche, c'est l'homme qui pose des questions pas seulement d'ordre théorique, mais qui cherche dans sa vie, dans sa vie elle-même dont la douleur, dont le désir est une question. Donc ça peut être un vrai personnage de théâtre, ça peut encore être un personnage de théâtre."

Cette pièce n'a pas encore été mise en scène. Peut-on parler d'une première à propos de la lecture d'aujourd'hui ?

"Non pas vraiment parce qu'on n'a pas lu la totalité du texte, on n'a lu que de très larges extraits, on en a lu les quatre cinquièmes. Et puis je crois qu'une lecture n'est pas une représentation, on ne peut pas dire ça. D'abord, c'était des lectures avec une seule voix et je crois que c'est important de l'entendre redistribué entre les trois personnages qui sont trois âges différents. Non, on ne peux pas dire ça, la première aura lieu dans un an, pratiquement."

Est-ce que cette lecture vous a donné quand même des idées pour la mise en scène ?

"Ah, oui, énormément. Par contre c'est pratiquement la première fois que j'entends Philippe Girard lire le rôle qu'il jouera. Donc oui, ça m'a fait rêvé d'autant plus que je l'entendais en tchèque. Je ne comprenais évidemment pas tout, je pouvais me repérer par moments, mais j'ai beaucoup aimé ça. De toutes les façons j'aime beaucoup entendre du théâtre dans des langues que je ne comprends pas. Je ne m'ennuie pas du tout, c'est très très propice à ma rêverie. Bien sûr ça m'a fait beaucoup réfléchir à ce que nous ferons dans un an."


J'ai lu une interview avec vous dans laquelle vous vous montrez très critique vis-à-vis de la civilisation actuelle, vis-à-vis du monde dans lequel nous vivons. Pourquoi êtes-vous aussi critique et aussi dur avec ce monde ?

"Parce qu'il est ennuyeux, c'est un monde terriblement ennuyeux, ce monde qui a remplacé la prière où la révolution par du shopping est un monde terriblement ennuyeux. Ce n'est pas que je l'exècre parce qu'il serait particulièrement violant, après tout pendant le XXe siècle on a sans doute vécu des temps plus violents encore. C'est simplement que les destins sont fermés, c'est un monde dans lequel les hommes pensent qu'ils ne peuvent pas agir, dans lequel ils pensent qu'ils ne sont pas libres, donc ils s'ennuient. Le monde marchand, le monde mondialisé, et surtout un monde où l'on s'ennuie. Et il faut qu'on s'ennuie pour faire du shopping. Donc ce shopping provoque de l'ennui, et cet ennui provoque du shopping. Et ça c'est l'opium des peuples aujourd'hui."

Comment réussissez-vous à vivre dans ce monde ?

"Moi, je fais du théâtre, je suis dans un lieu dont je ne dis pas qu'il résiste, mais qui simplement continue. Qui a un héritage culturel, qui pose encore des questions. C'est un monde qui jouit, c'est un monde qui pense. Au fond, ceux qui ont encore de l'énergie spirituelle, ils savent où trouver des compagnons pour continuer à vivre mais ils sont de moins en moins nombreux."

C'est donc le théâtre qui peut rendre notre monde plus vivant, plus vivable ?

"Je ne suis pas certain que le théâtre puisse faire grand chose pour le monde. Pour le monde il fait du théâtre, c'est bien suffisant, et il le fait forcément pour une minorité, pas pour la majorité, c'est ainsi, la majorité, elle est devant la télévision. Mais il le fait, bien sûr, c'est l'aventure du poème, tant que le théâtre reste une aventure. Parce qu'il y a aussi un théâtre qui n'est pas une aventure spirituelle. Tant que cette chose est là, il y a des hommes qui ne s'ennuient pas, qui ne sont pas sans douleur, mais qui ne sont pas sans joie aussi."

Aujourd'hui vous êtes à Prague, une ville en pleine transformation qui cherche à ressembler à des modèles occidentaux. Quelle est votre impression de Prague ?

"Je trouve Prague moins mondialisée que d'autres capitales européennes. Je m'attendais à pire, pour tout vous dire. Peut-être parce que je n'ai pas connu Prague il y a dix, quinze ans, ni vingt, ni trente, donc je ne vois pas la différence. Mais cette ville a une telle richesse culturelle, une telle force, ne serait-ce que par son architecture ... Cette ville n'a pas été détruite par la Seconde Guerre mondiale, n'a pas été détruite par le communisme qui a fait des ravages en terme d'urbanisme, alors je pense qu'elle va aussi résister au grand capital, à la mondialisation, à McDonald. Oui, j'ai confiance."