Ondřej Adámek : « J’aime entrer dans la musique des autres cultures pour y trouver l’énergie initiale » (II)
Suite et fin de notre rencontre avec Ondřej Adámek, compositeur tchèque, qui à 36 ans à peine est déjà un grand nom de la musique contemporaine à l’étranger. Son agenda de commandes et de projets pour les prochaines années est déjà bien rempli, et il dit souvent refuser des propositions pour mieux se concentrer sur son travail, à son rythme. Radio Prague lui a demandé à quoi ressemblait le quotidien d’un compositeur.
Un travail très monacal, donc…
« Je viens de terminer un instrument appelé Airmachine, donc j’ai passé une semaine dans un studio à Lyon. Donc je n’ai pas composé pendant une semaine, même si j’ai travaillé… Je dirige aussi, donc il y a des périodes où pendant un mois, je prépare les partitions, puis je travaille avec les musiciens. Donc ça dépend. C’est un grand bonheur de travailler avec les musiciens mais c’est aussi très beau de se plonger dans une très profonde concentration de composition. De s’isoler. »
Un juste milieu entre le contact avec l’extérieur et une plongée en soi…Vous parliez d’Airmachine, c’était une de mes questions. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet instrument que vous avez créé de toute pièce ?
« J’ai commencé il y a quatre ans à Berlin. C’était un projet sans aucune ambition, aucun but, ce n’était pas une commande. J’ai commencé à brancher des aspirateurs avec des flûtes et j’ai trouvé ça intéressant. Puis, c’est devenu de plus en plus grand. Aujourd’hui, il y a deux instruments qui sont assez grands. Ce sont des sorties d’air sur lesquels on branche des objets gonflables ou des flûtes. Le résultat visuel, c’est un théâtre d’objets qui bougent, qui se gonflent et se dégonflent en rythme. Le résultat sonore, c’est un instrument qui peut être proche d’un ensemble à cuivres, ou d’un orgue qu’on utiliserait un peu différemment. On ne travaille qu’avec les bruits du souffle. Nous avons des centaines d’objets que nous branchons sur cet instrument. Ce qui m’intéressait, c’était la quantité et le mélange. Par exemple, j’imite les flûtes slovaques ‘fujara’ des bergers slovaques. Chaque flûte est accordée différemment et toutes ces harmonies en micro-intervalles se mélangent. Voilà un registre. Un autre registre, c’est des cuivres qui peuvent faire des glissandi. C’est difficile à décrire, mais on peut le voir sur internet ou sur mon site web. »C’est vous qui êtes aux manettes ?
« Maintenant, c’est un percussionniste qui apprend à le contrôler. Pour l’instant je suis le seul interprète. L’idée, c’est que je ne le sois pas dans le futur. Par contre, il y a des gens qui travaillent avec moi : ma femme, Carol, qui fabrique les instruments, c’est Christophe Lebreton, du Grame à Lyon, qui a fabriqué le deuxième pupitre Airmachine 2 donc 14 valves électromagnétiques. C’est donc une collaboration. »De vos voyages, des pays où vous avez vécu, vous aller puiser une partie de la matière « ethnique » que vous intégrez à vos compositions. Comment trouver le juste équilibre afin que ces influences « ethniques » soient un apport enrichissant sans sombrer dans un côté trop « exotique » ?
« J’aime bien entrer assez profondément dans la matière des autres cultures et y trouver l’énergie initiale. En fait, le problème, quand on fait des mélanges, c’est que ça donner quelque chose de simplement ornemental. Et cette énergie qui est corporelle et physique, l’énergie de la terre, souvent disparaît. Moi, j’aime entrer tellement profondément dans la matière pour y chercher l’essentiel que je crois que cette énergie peut rester. En plus, j’aime la mettre en contraste avec quelque chose de complètement opposé. Dans ma dernière pièce, Körper und Seele, une pièce pour chœur, orchestre et Airmachine de 35 minutes, la pièce la plus vaste que j’ai faite, on a par exemple une grande fanfare morave qui est tellement exagérée que ça sonne comme populaire.
On a une coupure brutale avec un mantra indien, que je n’ai pas cherché sur une cassette ou une bibliothèque, mais que j’ai découvert en Inde pendant mon séjour d’un mois dans un ashram. Nous le chantions tous les matins. J’ai même réussi à bien apprendre au chœur à chanter en sanskrit. Le sanskrit est la langue qui, phonétiquement, se rapproche le plus du tchèque ! Plus même que le slovaque, le polonais ou l’italien. Donc tout cela, ce sont des choses que je connais bien, ce n’est pas quelque chose que je colle dessus, ce n’est pas un jam avec un musicien qui vient jouer son truc et moi le mien. »Quand on parle d’influences, impossible de ne pas vous demander quelles sont vos influences musicales, dans quels compositeurs passés – ou présents – vous vous inscrivez ?
« Il y en a beaucoup. Et ce ne sont pas seulement les compositeurs. J’aime beaucoup Stravinsky, Mozart et Bach. J’aime aussi beaucoup Heiner Goebbels et des pièces par-ci, par-là. J’aime beaucoup la musique des autres cultures, c’est celle que j’écoute le plus. Mais il faut dire que n’écoute pas beaucoup de musique, car nous, les compositeurs, recherchons plutôt le silence. »
Les cordonniers sont les plus mal chaussés…
« C’est cela. Sinon, j’aime beaucoup le jazz aussi, la musique latino-américaine, les techniques de percussions africaines, indiennes. Je le dis rarement à voix haute, mais je suis très reconnaissant que le monde de la musique contemporaine m’invite et réinvite, mais en même temps, je ne me sens pas faire partie de ce monde à 100%. Je me sens plus comme faisant partie du monde de la musique plus spontanée, que les gens font depuis leur enfance, et qui est une chose indissociable de la vie et de la mort. »
Vous êtes féru d’expérimentations diverses… Parmi vos créations, l’une m’a particulièrement frappée, elle s’appelle Le Dîner, et on peut d’ailleurs la trouver sur internet en vidéo. Dites-nous en plus…
« Pendant mon séjour à Madrid à la Casa Vélasquez, une résidence française de l’Académie, j’allais souvent voir dans son atelier Charlotte Guibé, une amie peintre. J’aimais énormément son travail et la voir en action. J’ai trouvé cette action très musicale… J’ai voulu combiner cela avec de la musique. On a commencé à développer le projet ensemble. C’est parti dans plusieurs sens. Comme elle faisait une série de tableaux autour du repas, nous avons décidé d’appeler ce projet Le Dîner et que les musiciens allaient être autour d’une table, sur laquelle elle allait peindre. Une toile de projection même taille a été installée derrière les musiciens et on y voit des choses qui ont été préenregistrées dans son atelier. Charlotte y lit aussi une recette pour bien faire une tempera et peint en même temps. Ce projet c’était avec l’ensemble 2e2m et le chef d’orchestre Pierre Roullier qui devait parfois diriger, parfois cuisiner en rythme, diriger les musiciens par une action de cuisine. Ça a été joué une seule fois à Paris, et ça va peut-être être recréé. »Quels sont projets à l’avenir ?
« Je viens de terminer Airmachine, l’instrument, avec une pièce solo. Je suis aussi censé écrire une pièce pour Airmachine et un ensemble, qui sera créée le 10 mars 2016 au Musée des Confluences de Lyon. Je dois terminer mon opéra qui sera joué début juillet 2016 à Aix-en-Provence, un opéra pour douze chanteurs choristes et quatre chanteurs solistes qui tous, aussi, jouent sur des instruments que nous inventons pour eux. C’est un opéra basé sur le livret de Sjòn, un écrivain islandais, avec la collaboration du chorégraphe et metteur en scène Eric Oberdorff. Ensuite il faut que j’écrive un concerto pour Isabelle Faust et la Bayerische Rundfunk qui sera joué en 2017. Il y a aussi plusieurs projets en question pour l’Ensemble intercontemporain et d’autres qui sont en train de se confirmer. J’avoue que je dois refuser des projets pour avoir suffisamment de temps. Je ne me presse pas, j’aime bien avoir neuf mois pour chaque pièce… »Comme un enfant…
« Oui. C’est neuf mois de grossesse. »