Opéra « oublié » de Dvořák, Le Roi et le Charbonnier a été ressorti des tiroirs
C’est un opéra moins connu – pour ne pas dire quasi inconnu - d’un des plus grands compositeurs tchèque de l’histoire que nous vous invitons à découvrir cette semaine. Avec une première version écrite en 1871, Le Roi et le Charbonnier (Král a uhlíř, en tchèque), opéra-comique en trois actes, est un des tout premiers opéras signés Antonín Dvořák. Il a été récemment présenté au public pragois dans le cadre d’une grande première.
Le Roi et le Charbonnier est basé sur la vieille légende d'un prince royal perdu dans la forêt de Křivoklát, qui rencontre une jeune fille amoureuse d'un autre, qui se voit fiancer par des parents trop empressés à la belle en question avant de lui reconnaître le droit à vivre librement l'amour de son choix. Du classique en somme…
Bien que les musicologues et autres amateurs de l’œuvre de l’auteur resté célèbre davantage pour sa Symphonie du Nouveau monde, ses Danses slaves ou encore Rusalka, s’accordent pour admettre que Le Roi et le Charbonnier ne constitue pas le travail le plus abouti de Dvořák, l’opéra a néanmoins été interprété, dans une version concert, soit donc sans mise en scène, le 19 septembre dernier dans la prestigieuse salle du Rudolfinum à Prague, et ce dans le cadre du festival Dvořákova Praha.
Animateur du site Musica Bohemica consacré à la musique tchèque et grand amateur de Dvořák, Alain Chotil-Fani a assisté à ce concert exceptionnel. Le lendemain, il est passé dans les studios de Radio Prague pour nous livrer ses impressions :« C’était étonnant. Je tenais à être présent, car c’est un opéra de Dvořák qui n’a été donné qu’une seule fois, longtemps après la mort du compositeur, et encore, dans une version expurgée. Ce concert était donc une grande première, car c’était la première fois que l’œuvre était proposée dans son intégralité, y compris avec son ouverture originale. Le passionné de Dvořák que je suis, ne pouvait pas envisager une seule seconde de ne pas assister à un tel événement, sinon je l’aurais regretté pour le reste de ma vie. »
Etonnant aussi est le fait que le compositeur lui-même n’a jamais entendu la version originelle de son opéra ! Entre autres raisons parce que celle-ci lui a été renvoyée par Bedřich Smetana. Alors que celui-ci avait envisagé dans un premier temps de monter l’opéra au théâtre Prozatimní divadlo, il s’était finalement rétracté, considérant que décidément, non, ce n’était pas possible et que c’était injouable. Alain Chotil-Fani reconnaît d’ailleurs qu’Antonín Dvořák a fait mieux – et même bien mieux – par la suite :
« Musicalement, c’est un opéra de jeunesse. C’était son deuxième, et ce n’est pas Rusalka par exemple, on ne va pas se mentir. C’est une partition par moments très attachante, mais par moments aussi un peu longue, où on reconnaît l’ombre de Wagner. Il y a aussi des choses très surprenantes, des thèmes qui apparaissent avec des musiques assez classiques, pas très surprenantes, et puis une rupture qui amène quelque chose de tout à fait nouveau. Cela est sans doute lié à l’intrigue et au livret du Roi et du Charbonnier. J’ai été surpris en plusieurs occasions par ces ruptures de style qui, selon moi, portent la marque de Dvořák. »Toutefois, toujours selon Alain Chotil-Fani, il convient de rester prudent sur ce dernier point :
« Dvořák a beaucoup de styles différents. Il a à la fois un style tchèque et un style américain, et encore un autre qui n’est ni tchèque, ni américain, comme cela était le cas pour Le Roi et le Charbonnier. Là, on parlera peut-être plutôt de style européen qui peut surprendre ceux qui apprécient par exemple le Dvořák de la Symphonie n° 8, où on peut lier son art à tout un monde sociétal. Mais avec Le Roi et le Charbonnier, ce n’est pas le cas. Disons qu’il a fait d’autres chefs-d’œuvre par la suite... »
Pas vexé pour deux sous, Antonín Dvořák, qui n’en était alors qu’à ses débuts, a alors repris sa partition sous le bras pour, toujours sur le même texte, recomposer une nouvelle musique. Trois mois à peine plus tard, cette deuxième version était achevée. Elle a ensuite été interprétée pour la première fois en 1874 avec, cette fois, un grand succès. L’œuvre est d’ailleurs depuis considérée comme un tournant créatif dans la carrière du compositeur.
C’est bien néanmoins la première version de l’opéra qui a été présentée à Prague en septembre dernier. Car si on a longtemps pensé qu’elle avait été détruite ou s’était perdue, elle a finalement été retrouvée en 1929 dans les archives du Théâtre national. Voici donc un extrait de son interprétation par l’Orchestre symphonique de la Radio tchèque…