Opération Antropoid
En juin 1942, Reinhard Heydrich, "Protecteur" de Bohême-Moravie, est assassiné par un commando tchèque. On connaît bien le récit de l'Opération Antropoid. Nous n'en retracerons donc pas le déroulement mais nous nous intéresserons aujourd'hui à la personnalité de Heydrich avec une question paradoxale : l'attentat fut-il vraiment utile ?
En 1931, trois ans avant qu'Hitler soit au pouvoir, le voilà chef du SD, le service de Sécurité de la SS, chargé de lutter contre les adversaires du parti nazi. Après la fusion de la Gestapo et de la SD en un Office central de sécurité du Reich, le RSHA, Heydrich est à la tête des services de police du Reich, avec 3 400 agents sous ses ordres en 1942.
Le second de la SS sera l'un des dignitaires les plus impliqués dans la Solution Finale de la Question Juive, soit l'extermination de tous les Juifs d'Europe. A partir de janvier 1939, Heydrich est chargé des initiatives en matière de politique antisémite. Dès juin, il installe dans le Protectorat de Bohême-Moravie l'Office central, afin d'y faire appliquer les lois antisémites de Nuremberg. La situation des Juifs en Europe centrale est entièrement sous la coupe des nazis. Et pour que la situation soit aussi claire à l'ouest, il obtient du Haut-Commandement de l'Armée allemande que ses services aient compétence prioritaire pour l'action antijuive en France.
On ne peut s'empêcher d'être troublé par l'image de Heydrich, père de famille, violoniste confirmé et assassin, peut-être l'un des plus grands de l'Histoire dans la vie publique. Une anecdote, aussi anodine soit-elle, illustre pourtant son caractère impulsif. Un matin qu'il revient d'une nuit arrosée passée dans les bars de Berlin, Heydrich aperçoit son image dans un miroir chez lui : il titube. Brusquement, il sort un revolver et tire dans le miroir ...A la fin 1941, Reinhard Heydrich est nommé Protecteur de Bohême-Moravie à la place de Von Neurath, jugé trop faible. Son arrivée à Prague par la gare principale (Hlavni Nadrazi) est une véritable mise en scène milicienne. Tout le long du parcours, de la gare jusqu'au Château, siège du Protectorat, sont alignés dans la rue SS, policiers et soldats en armes. Après l'apparat, une politique de répression se met immédiatement en place.
Quelques jours après son investiture, Heydrich convoque dans son bureau Emil Hacha, président fantoche, et Alois Elias, 1er ministre et Résistant officieux. Heydrich se tourne vers Elias : Monsieur, je suis parfaitement renseigné, je sais que vous avez des relations clandestines avec le soi disant gouvernement en exil à Londres. Vous êtes un traître et on ne trahit pas impunément le Reich. Il est jugé et fusillé quelques heures après. Aussitôt, la loi martiale est proclamée dans tout le pays et Prague est placée sous la terreur.
Devant le danger représenté par le nouveau Protecteur de Bohême-Moravie, le gouvernement tchécoslovaque de Londres précède de plusieurs mois la demande de la Résistance intérieure tchèque d'agir contre Heydrich. Le War Office de Londres met en place un noyau de soldats tchèques afin d'organiser un entraînement de parachutistes en Haute-Ecosse. Les exercices sont particulièrement exigeants. Les futurs commandos sont également entraînés en Angleterre, dans une rue imitée de celle où doit avoir lieu l'opération dite Antropoid, dans le quartier de Liben, à Prague.Il faut souligner la prouesse que représente un parachutage de commandos en Bohême. Le pays est sous surveillance constante des Allemands. Il faudra d'ailleurs attendre la fin de la guerre avant de voir des parachutages d'armes.
Le 4 juin 1942, Jan Kubis et Josef Gabcik remplissent leur mission. Reinhard Heydrich est assassiné. Et pourtant, outre le courage et le patriotisme indéniables du commando, de nombreux historiens ont émis un doute quant à l'efficacité réelle de l'attentat.
Bien sûr, il met fin au règne d'un des dirigeants les plus redoutables du IIIe Reich. Rappelons que c'est Heydrich qui mettra en place la machinerie administrative atroce qui fichera puis rassemblera les Juifs d'Europe afin de les exterminer. Heydrich était d'ailleurs craint par le chef des SS Himmler en personne. Ne chuchotait-on pas qu'il était destiné un jour à prendre la succession de Hitler ?
La cible n'est donc pas anodine mais les conséquences à court terme sont désastreuses pour la Tchécoslovaquie : 1 300 résistants seront fusillés et l'on connaît le destin tristement célèbre des villages martyrs de Lidice et de Lezaky. La liste des exécutés est publiée dans la presse. Le but est clairement de décourager toute velléité de résistance. De même, l'attentat semble avoir plus accéléré le processus de la Shoah, que ralenti. Lors des funérailles de Heydrich, Himmler déclare qu'il faut mener à terme la Solution finale d'ici la fin 1943. En tout état de cause, les déportations sont de plus en plus importantes.L'opération Antropoid aura aussi des conséquences inattendues sur l'après-guerre en Tchécoslovaquie. Après les répressions, la Résistance intérieure est durement touchée. Face à la prépondérance de la Résistance communiste, Edvard Benes promet, lors d'un voyage à Moscou en décembre 1943, une participation des communistes au gouvernement une fois la guerre finie.
Le successeur d'Heydrich, Kurt Daluege n'est qu'un pion brutal dans la politique nazie. La fonction de Reichprotektor cesse d'ailleurs de jouer un rôle important à partir de 1942 et le pouvoir réel passe aux Allemands de Bohême.