Ostrov nad Ohří, une ville communiste à l’architecture américaine

Photo: Rafael Brix, Creative Commons 3.0 Unported

Dans le magazine touristique aujourd’hui, nous allons nous rendre dans l’ouest de la Bohême, plus précisément dans la région de Karlovy Vary. Nous allons visiter Ostrov nad Ohří, une ancienne ville royale située sur la rivière Ohře, dans la région du piémont des Monts métallifères (Krušné hory). La petite ville de 17 000 habitants est divisée en deux avec une partie historique et une autre « moderne », datant des années 1950. C’est dans les quartiers construits dans le style du « socialisme réel » que nous allons nous balader. En découvrant, entre autres, que ce style architectural n’est pas originaire de l’ex-URSS, mais des Etats-Unis : il a inspiré, par exemple, les architectes de la Maison Blanche ou du quartier de Manhattan.

Ostrov nad Ohří,  photo: Rafael Brix,  Creative Commons 3.0 Unported
Ostrov nad Ohří est située à une centaine de kilomètres à l’ouest de Prague, entre deux villes d’eaux plus connues : Karlovy Vary et Jáchymov. L’histoire de la commune remonte au XIIIe siècle. Vous y trouverez de nombreux monuments historiques, construits dans les styles roman, gothique, Renaissance et baroque. La partie la plus précieuse, dévastée sous le régime communiste et reconstruite durant ces vingt dernières années, s’appelle « Posvátný okrsek » (le territoire sacré) et il s’agit du complexe de l’ancien couvent des Piaristes.

Non loin de ce quartier historique a été bâtie, dès 1947, une nouvelle ville, destinée à l’origine aux mineurs de Jáchymov, cette station thermale avec eau radioactive, tristement connue pour ses mines d’uranium : c’est ici, à Jáchymov, qu’a été lancée la première exploitation systématique de ce minerai, exploitation qui est devenue massive après la Seconde Guerre mondiale, avec des exportations importantes de l’uranium dans l’Union soviétique. Et c’est dans les mines d’uranium de Jáchymov qu’ont été contraints de travailler, entre 1949 et 1962, plus de 70 000 prisonniers, dont 42 000 condamnés dans des procès politiques. Plus de 200 personnes sont mortes dans les camps de travaux forcés de Jáchymov…

Pourquoi la cité ouvrière a-t-elle été construite à Ostrov, à une dizaine de kilomètres de Jáchymov ? L’historien Lubomír Zeman explique :

Jáchymov,  photo: Miloš Hlávka,  Creative Commons 3.0
« L’extraction de l’uranium nécessitait un grand nombre de mineurs que l’on a fait venir dans la région. Mais à Jáchymov, il n’y avait pas de place pour les héberger. Au début, on avait pensé détruire la vieille ville et construire la nouvelle citée à l’emplacement de celle-ci. Mais le problème, c’est qu’à Jáchymov, le terrain est accidenté, tandis qu’à Ostrov, le paysage est plat. En plus, il y avait à proximité d’Ostrov un aéroport assez fréquenté dans les années 1950. Bref, Ostrov s’est avéré être un lieu idéal pour l’édification de la cité. »

Le restaurant 'Družba',  photo: Google Maps
La cité ouvrière d’Ostrov a été construite dans le style que l’on a coutume d’appeler par l’abréviation « sorela », contraction de l’expression « socialisme réel ». Il s’agit d’immeubles pas très hauts, d’environ quatre étages, de couleurs ocre, rouge et blanche et décorés de sgraffites. Des maisons avec des cours spacieuses, baignées de verdure qui font d’Ostrov, comme l’affirme Lubomír Zeman qui y habite, une de ces villes où il fait bon vivre. Ce sont des quartiers au plan régulier, avec des rues droites et orthogonales, typiques pour les villes antiques et Renaissance. Les bâtiments publics, tels que la Maison de la culture, le centre commercial « Brigádník », les écoles, la poste ou le restaurant « Družba » sont, évidemment, plus monumentaux, avec leurs colonnes et leurs façades décorées de stucs. Même si ce style, inspiré du classicisme, s’appelle, en Europe centrale et orientale, le socialisme réel, il est né aux Etats-Unis, comme nous le raconte Lubomír Zeman :

Lubomír Zeman,  photo: Kateřina Fexová
« A la fin du XIXe siècle, l’Amérique a été emballée par ce style historisant. Il y est devenu très à la mode et sa popularité perdure encore aujourd’hui. Staline qui cherchait un style susceptible d’exprimer son pouvoir a été attiré justement par cette architecture-là, celle des premiers gratte-ciels américains. On trouve, à Moscou, des exemples typiques de cette architecture stalinienne : les sept gratte-ciels, appelés les ‘sept-sœurs’. Evidemment, ce style monumental a été adopté par la Tchécoslovaquie de l’époque, même s’il n’était pas forcément du goût des architectes tchèques. »

« De ce point de vue, la ville d’Ostrov a eu de la chance, car c’est un très bon architecte, Jaroslav Kraus, qui a été appelé à concevoir la nouvelle cité ouvrière. Jeune, il avait participé, aux côtés de la famille Baťa, à la construction de la ville de Zlín. Finalement, cette expérience a servi de prétexte aux autorités communistes pour le licencier, à la fin des années 1950, lorsque la construction de la cité d’Ostrov a été achevée. Mais cette influence par l’architecture de la Première république tchécoslovaque, c’est justement ce qu’il y a de plus précieux chez Jaroslav Kraus. Son architecture est sobre, on n’y trouve pas de symboles communistes, pas d’étoiles, de faucilles et de marteaux comme on les voit sur les façades de certains immeubles de Plzeň, d’Ostrava-Poruba ou de Havířov. »

La Maison de la culture,  photo: Ondřej Koníček,  Creative Commons 3.0
Avec Lubomír Zeman, nous nous trouvons sur la place principale de la nouvelle ville d’Ostrov, une place dominée par la Maison de la culture, un palais divisé en trois parties et orné d’un grand balcon central. A l’intérieur se trouvent plusieurs salles, une scène de théâtre, une salle de cinéma, un café, un centre d’information touristique.

La Maison de la culture,  photo: Kateřina Fexová
« La place est rectangulaire. De l’autre côté, en face de la Maison de la culture, devait se trouver un bâtiment similaire, celui du siège du Parti communiste. Finalement, il n’a pas été construit : avant que le projet ne soit terminé, le climat politique a changé et cette architecture est devenue la cible des critiques. Il n’empêche que la place est ainsi restée inachevée. Sur le toit de la Maison de la culture se trouve un groupe de sculptures créé par le plasticien Jaroslav Šlezinger : un mineur, une moissonneuse et un étudiant. On a toujours rigolé parce que les trois personnages regardent vers l’Ouest. En effet, elles regardent vers l’Ouest, mais à l’origine, elles étaient censées regarder le siège du Parti communiste. »

Jaroslav Šlezinger,  photo: ČT
Une anecdote, mais qui a toutefois un fond tragique. Ce sculpteur, Jaroslav Šlezinger, faisait partie des prisonniers politiques forcés de travailler dans les mines d’uranium de Jáchymov. Il a créé les sculptures en question quelques mois avant de décéder, en août 1955, de la leucémie, espérant retrouver sa femme et son jeune fils s’il acceptait la commande. Il a accepté sans pourtant jamais revoir ses proches. Dans une des chapelles de l’ancien couvent d’Ostrov nad Ohří, consacrée à toutes les victimes de violence dans la région, on expose le chemin de croix que Jaroslav Šlezinger a également créé durant son emprisonnement. Ce sera la destination d’une de nos prochaines rubriques…

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