Pascal Rabaté : « Aux Beaux Arts, on m’a demandé d’oublier la BD, ce médium pour attardés »
Aujourd’hui, dans Culture sans frontières, il sera question de bande dessinée. La 6e édition du festival Komiksfest s’est terminée le 5 novembre dernier à Prague. En République tchèque, ce support est de plus en plus prisé, même si nous sommes encore très loin des 4 000 titres publiés annuellement en France : ici, les maisons d’édition publient environ 150 albums par an, dont une quinzaine de BD d’auteurs tchèques. L’auteur, dessinateur et cinéaste français Pascal Rabaté est venu au festival Komiksfest à l’occasion de la parution, en tchèque, de l’intégrale de son œuvre majeure, la BD « Ibicus » en tchèque aux éditions MOT. Pour « Ibicus », dont nous avons déjà parlé à l’antenne, Pascal Rabaté s’est inspiré du roman éponyme d’Alexis Tolstoï sur les déboires d’un personnage médiocre, d’un escroc, pendant la Révolution russe. Au micro de Radio Prague, Pascal Rabaté a expliqué comment il créait ses histoires, si le dessin lui venait en premier…
Vous êtes venu à la bande dessinée par la gravure, vous étiez depuis toujours fasciné uniquement par le dessin ? Depuis votre enfance ?
« Je n’y suis pas forcément venu par la gravure. On peut dire que la gravure a compensé le fait que je ne pouvais pas faire de bande dessinée dans les institutions à l’époque. La bande dessinée n’était pas déconsidérée, elle n’était juste pas considérée du tout dans les établissements artistiques. Du coup quand je suis entré aux Beaux Arts en espérant m’initier au support, on m’a dit que si je voulais rester dans les murs il fallait que j’abandonne ce médium ‘pour attardés’ et que je m’intéresse à autre chose. Ça a été une très bonne chose, j’ai découvert la vidéo, le cinéma, la gravure, mais j’ai dessiné avant d’écrire, c’était mon moyen d’expression, c’était le seul moyen de canaliser une ‘énergie débordante’, dixit mes parents. Donc j’ai dessiné, j’ai pris du plaisir à la lecture avec des bandes dessinées telles que ‘Les Pieds nickelés’ en France, des revues comme Pif, Mickey, ou encore Tintin. C’est vrai qu’à partir de douze ou treize ans le fait de raconter des histoires en dessins commençait beaucoup à me travailler. Après, une fois sorti de l’école des Beaux Arts où je me suis ouvert à d’autres supports, à d’autres manières de m’exprimer, à des courants artistiques, à des manières d’appréhender le dessin autrement qu’avec des gros nez, je suis revenu naturellement à ce support. »En République tchèque, on commence toujours à découvrir la bande dessinée par rapport à la France, il y a encore du chemin à parcourir, mais ces dix dernières années, la situation s’est quand même beaucoup améliorée. Pensez-vous qu’il y a des pays où la bande dessinée n’est pas tellement ancrée dans la culture nationale pour des raisons variées ?« J’ai voyagé un peu de par le monde et j’ai regardé un peu ce qu’il se passait et c’est très étonnant. En Angleterre, par exemple, le support est pratiquement inexistant. Par contre, il y a une tradition d’illustrateurs qui est assez phénoménale, ils ont des Tony Ross, des Quentin Black, c’est merveilleux ce qu’ils font dans le domaine de l’illustration - mais de l’illustration pour enfants. En Afrique du Sud, c’est pareil, il y avait une bande dessinée qui existait mais complètement underground. Quant à la Russie, elle démarrait juste, je crois qu’ils en sont à leur cinquième ou sixième édition de festivals en Russie et il doit y avoir une ou deux maisons d’édition qui commencent à distribuer des livres. Il y a vraiment trois pôles : le pôle manga aux Japon, le pôle comics aux Etats-Unis, mais la bande dessinée européenne est essentiellement franco-belge. C’est vrai qu’un auteur comme Mattotti, considéré comme un auteur majeur en France, est Italien. Quand il a fait ‘Stigmates’ primé au festival d’Angoulême, le livre est d’abord paru en France puis les Italiens ont racheté les droits. Donc même dans les pays frontaliers, par exemple en Italie, la bande dessinée existe, mais est beaucoup moins représentée qu’en France. En France, c’est un vrai marché, que ce soit dans le domaine commercial, de la recherche ou de la BD d’auteur. On a des romans graphiques, des BD de trois cent, quatre cent pages, comme on a des albums de quarante-six pages comme cela ce faisait dans les années 1950. J’ai l’impression que ça s’exporte tout de même, le support existe mais c’est un épiphénomène, comme en Russie. Ici ça démarre, mais je pense que ça démarrera plus vite ici que par exemple en Russie car il y a déjà eu de la bande dessinée, même si elle est pour les enfants. Il faut une éducation au support, qu’il faut une génération pour qu’il y ait des gens qui commencent à s’interroger et à savoir lire un album. »Il faut savoir lire un album ?
« J’espère que les auteurs travaillent pour que ça puisse passer entre toutes les mains. Après, il y a une habitude de lecture qui fait que les gens vont être butés, vont penser que c’est difficile et il faut réussir à passer cette barrière. »