Paul Claudel: Les années de Prague
Dans la carrière du diplomate Paul Claudel, les dix-huit mois passés à Prague au poste de consul de France entre 1909 et 1911 ne sont qu'un épisode, une escale entre la Chine et l'Allemagne. Dans la vie du poète Claudel cette période sera cependant très inspirée et fertile. C'est cette période dans la vie du poète qui a été évoquée, lundi 24 avril 2006, dans le siège de l'Ambassade de France grâce à l'association Les Amis du Palais Buquoy. La lecture par l'acteur Philippe Girard des fragments de la correspondance de Paul Claudel, de ses rapports diplomatiques adressés à ses supérieurs et de ses vers inspirés par les saint patrons de Bohême, a fait resurgir du passé les années pragoises du diplomate et ont ajouté quelques touches au portrait du grand poète.
Le consul Claudel arrive en décembre 1909 et restera à Prague avec sa famille jusqu'à septembre 1911. Il s'installe avec ses proches dans un appartement sur le quai de la Vltava, appartement dans lequel naîtra sa fille Reine. Après quinze ans passés en Extrême-Orient le poète se retrouve en Europe, dans une ville où il n'est pas complètement inconnu. Il renoue tout de suite l'amitié qui le lie depuis quelque temps déjà avec le poète et essayiste tchèque Milos Marten, son admirateur, et y retrouve aussi la peintre Zdenka Braunerova, belle-soeur de son ami Elemir Bourges. Ces deux amis seront pour lui les liens avec le milieu tchèque et les sources d'information sur la Bohême, sa population et sa culture. Didier Montagné, directeur de l'Institut français de Prague, évoque les circonstances du séjour de Paul Claudel en Bohême et les activités littéraires du poète au cours de cette période.
« Ici, il arrive dans un pays froid, il le dit « le bivouac glacial de Prague ». Il n'a pas évalué tout ce que pouvait représenter cette ville-là qui était à cette époque assez petite. Diplomatiquement il dépendait de l'ambassadeur de Vienne. Je pense qu'on ne peut pas dire que pour Claudel il y ait une influence immédiate de Prague sur son travail. Il y en a une que je vois quand même, c'est qu'ici il a écrit deux oeuvres majeures, « L'Otage » et « L'Annonce faite à Marie » qu'il a complètement refaite. Il a trouvé aussi des rudiments des ébauches pour « Le Soulier de satin », il ne faut pas l'oublier, et même pour « La Cantate à trois voix ». En fait il a eu ici une sorte de pause et de maturation. »
A Prague, Claudel restait plutôt à l'écart de la vie publique. Il s'occupait beaucoup des questions économiques, industrielles et financières. Il a prononcé plusieurs conférences à l'Alliance française. Dans la première conférence de la série, il a développé par exemple le thème des superstitions chinoises. Il poursuivait inlassablement son travail littéraire sans négliger pour autant ses devoirs de consul.
« Il a accompli parfaitement son travail de diplomate. Il se disait : 'Je suis un bon fonctionnaire' » et il voulait l'être. Il avait conscience de ses devoirs de fonctionnaire et de sa tâche et il s'en est acquitté avec une très grande honnêteté et avec une très grande rigueur. Mais en même temps, cette rigueur, cette honnêteté, et cette grande conscience professionnelle lui permettaient de protéger et de nourrir son travail. Il y avait non pas deux vies de Claudel, il y avait l'une qui nourrissait l'autre. »
« Il était très intéressé par l'économie. Cela apparaît dans les rapports qu'il faisait. Il a toujours quelques bonnes préconisations pour placer un emprunt français, pour inciter les producteurs des bouchons des Landes à se positionner sur le marché des fermetures de bouteilles de bière. Il est donc toujours soucieux de cela. Sur la Bohême elle-même il dit assez peu de choses. Dans son journal il y a d'ailleurs deux notations qui ne sont pas toujours très gentilles. Quand même la Bohême pour lui, c'étaient les hussites et les nationalistes. Effectivement le modèle pour lui c'était l'Empire austro-hongrois comme mosaïque composée de peuples avec d'une part la religion catholique et d'autre part cette sorte d'organisation politique qui préservait des communautés. Mais je pense que derrière tout cela il y avait l'idée d'une Europe fondée sur la diversité et le souci de la diversité. Et il a exprimé cela très fort notamment au moment de l'accession de Hitler au pouvoir en disant : « La question de l'Europe c'est la question du respect de la diversité de ses peuples, pris dans une entité ». Et c'est une question toujours actuelle. »
Il allait donc de soi que Paul Claudel était assez réticent vis-à-vis des tentatives d'émancipation du peuple tchèque qui allaient aboutir, en 1918, à la chute des Habsbourg et la désagrégation de l'Autriche-Hongrie. En 1911 il ne pouvait pas encore savoir que la France allait jouer un rôle actif dans la création de l'Etat indépendant des Tchèques et des Slovaques.
« Il ne le voyait pas d'un très bon oeil. Comme il dit, les Tchèques s'excitent, ils veulent s'émanciper et en s'émancipant ils se perdent, ils s'éloignent du giron de la fois chrétienne et de l'amalgame de l'empire, qui pour lui était la chose la plus signifiante. Et puis je pense qu'au fond il reprochait aux Tchèques un peu les Hussites, forcément. »
(La prochaine fois, dans cette rubrique nous allons évoquer, avec le comédien Philippe Girard, des oeuvres de Paul Claudel liées avec son séjour à Prague.)