Pavel Fischer : « Václav Havel savait approcher des choses difficiles avec la force de sa plume et de son esprit. »
« J’ai particulièrement apprécié l’intérêt qu’avait Václav Havel pour les gens, un intérêt qui était authentique, on le sentait bien. Il était aussi bien préoccupé par le sort du dirigeant du Kosovo Ibrahim Rugova que par les prisonniers politiques emprisonnés quelque part en Azerbaïdjan. Son intérêt pour l’autrui n’était pas superficiel, mais était profondément humain. » Ces propos du directeur de l’ONG Člověk v tísni (L’homme en détresse), Šimon Pánek, figurent dans un de nombreux livres consacrés à Václav Havel et sortis ces derniers temps en République tchèque, pour commémorer le 80e anniversaire de la naissance du président dramaturge, en même temps que le cinquième anniversaire de sa disparition, survenue le 18 décembre 2011.
« Le Château a toujours été un centre de pouvoir important sur le plan spirituel comme aimait le rappeler Václav Havel lui-même. Cette présence du site des rois des pays de Bohême, mais aussi cette présence de la cathédrale, site du pouvoir spirituel, cela apportait au Château une certaine autorité. Václav Havel était un homme affable, plutôt discret et timide, mais dès qu’une question méritait de l’attention, dès qu’il fallait s’engager et dire un mot qui tranche, dès qu’il y avait un sujet qui dépassait l’ordinaire, il devenait intransigeant. C’était quelque chose de remarquable. Cet homme qui préférait souvent écouter que parler, lire et écrire plutôt que de se produire sur scène en tant qu’acteur, devenait, dans ces situations-là, une autorité certaine. C’était formidable de vivre cela de près. »
« Deuxième aspect que j’ai remarqué très tôt : l’ambiance autour de lui était très ouverte, un débat dans lequel il y avait relativement peu de tabous. Intellectuellement parlant, c’était un défi que de réussir à faire valoir certains points que, personnellement, on considérait importants. Enfin, Václav Havel lui-même ne stressait pas ses subordonnés. Peu avant une conférence, une visite ou un événement, ses collaborateurs (c’est ainsi qu’il aimait nous appeler) qui préparaient les dossiers étaient souvent invités à lui expliquer le sujet en trois minutes. Les gens étaient peut-être intimidés, mais pas stressés. Václav Havel aimait rencontrer la personne qui était derrière ces papiers-là. Il était intéressant pour moi de voir sa faculté à mettre en valeur les gens et leur savoir-faire. C’était une belle leçon : même si on est important, même si on a beaucoup d’occupations et très peu de temps, on peut manifester une disponibilité d’esprit et de pensée à l’égard des gens. Là-dessus, Václav Havel était un vrai champion. »Quels ont été les moments les plus forts que Pavel Fischer a vécus aux côtés Václav Havel ? On l’écoute :
« Je crois que l’un des événements très importants, c’était la disparition de son épouse Olga. Il y a un vrai avant et un vrai après. Si vous lisez ses écrits, la rupture n’est pas tellement évidente, en 1989, lorsqu’il est devenu le président de la République. Peut-être parce qu’il y avait peu de choses écrites à l’époque. La vraie rupture, le vrai changement, la vraie cassure sur le plan humain, c’est l’affaiblissement et la disparition d’Olga. C’était une femme terrienne, très concrète, très lucide. C’était pour lui un ancrage, et là il a perdu quelque chose d’important, non seulement pour l’homme du théâtre, l’homme de lettres, mais aussi pour l’homme public qu’il était à l’époque. C’est une épreuve que j’ai pu vivre, non loin de lui. Même si à l’époque, je n’étais pas très proche de Václav Havel, j’ai pu observer combien ça l’a inspiré et combien de forces il a dû déployer. C’est d’ailleurs le moment où il écrit un discours marquant. C’était une de ses particularités : il écrivait ses discours lui-même. A ce moment-là il est invité à Hiroshima, pour une conférence sur l’avenir de l’espérance. Il aborde quelque chose de spécial, ça m’a beaucoup frappé. Il parle de la mort, mais avec une lucidité et avec la langue, qui n’est pas la langue des prêtres, la langue de l’évêque pour lequel j’ai pu travailler. C’était la langue de tous les jours, d’un homme littéraire, et pourtant tellement précise, tellement concrète, que je me suis rendu compte que la capacité de Václav Havel de nommer un chat, un chat, de nommer l’espoir ou l’espérance par ses propres termes du quotidien, cette capacité était invraisemblable. J’ai compris qu’il avait un potentiel à nommer l’innommable, à approcher des choses difficiles avec la force de sa plume et de son esprit. »« D’ailleurs si vous lisez attentivement ses textes, vous observez avec stupéfaction que ce n’était pas l’homme Václav Havel uniquement. C’était aussi une réflexion de son action, peut-être même une réflexion avec un brin d’humour. Il agissait, il écrivait, mais toujours il se mettait en perspective de lui-même. C’était une personnalité au bout du compte très drôle, qui avait le sens de l’humour et qui aimait bien rire, et non seulement à propos des autres, mais aussi à son propre propos. »