Petr Pavel président : de la caserne au Château de Prague

Le militaire de carrière devient à 61 ans le quatrième président de la République tchèque.

Le 14 octobre 2019, la salle de conférence de l’Institut français de Prague affiche complet. Au programme : Bezpečná budoucnost (Un avenir sûr), une conférence animée par une journaliste avec deux intervenants, deux Petr - Petr Kolář, diplomate chevronné et ancien ambassadeur tchèque notamment à Washington et Moscou, et Petr Pavel, général en retraite, qui présidait encore un an auparavant le Comité militaire de l’OTAN.

Plutôt introverti et taiseux, Petr Pavel vient tout juste de commencer une tournée dans tout le pays qui va lui permettre de récolter plusieurs dizaines de milliers de signatures d’électeurs et de faire valider ainsi sa candidature à la présidence de la République.

Petr Pavel | Photo: Ministère de la Défense

La salle de l’IFP a été choisie pour sa taille et son emplacement au centre de la capitale ; la conférence se déroule uniquement en tchèque, sans traduction française.

Pourtant, Petr Pavel a appris le français au début de sa carrière, de manière intensive, dans le cadre de sa formation dans les services de renseignement militaire de la Tchécoslovaquie communiste, à partir de 1988.

« Le contenu de la première année était le français, que j'ai appris à l'Académie militaire de Brno, et je n’ai jamais travaillé en tant qu'officier du renseignement militaire dans le régime communiste », a indiqué Petr Pavel au cours du débat de l’entre-deux-tours sur la télévision publique.

Sauvetage de soldats français en ex-Yougoslavie

Le français, il aura l’occasion de le parler quatre ans plus tard, quand la guerre fait de nouveau rage en Europe et déchire l’ex-Yougoslavie.

Le mur de Berlin est déjà tombé, la révolution de Velours a suivi et la nouvelle République tchèque vient tout juste de naître quand, fin janvier 1993, Petr Pavel commande l’opération de sauvetage qui permet aux volontaires tchèques de sauver 53 de leurs frères d’armes français d’une unité de la Forpronu prise entre deux feux dans les combats entre Serbes et Croates.

« La détermination et la force de caractère dont vous avez fait preuve à cette occasion, en prenant notamment soin de rapatrier les corps de deux des soldats français décédés pendant l’offensive, vous ont valu en 1995 la Croix de la valeur militaire française avec étoile de bronze et l’éternelle reconnaissance de l’armée française », a déclaré l’ambassadeur de France en poste à Prague en 2012, au moment de remettre la Légion d’Honneur à Petr Pavel.

La base tchécoslovaque d'UNPROFOR en Yougoslavie,  1993 | Photo: Armée tchèque

Un documentaire a été diffusé cette semaine à l’occasion du trentième anniversaire de ce fait d’armes décrit comme héroïque.

Petr Pavel à l’OTAN | Photo: Armée tchèque

En trente ans, celui qui était major en 1993 a parcouru beaucoup de chemin. Monté en grade, il est le général qui prend en 2012 la tête de l’Etat-major tchèque avant de partir à Bruxelles en 2015 pour présider le Comité militaire de l’Alliance Nord-Atlantique.

Ces responsabilités ont nécessité des habilitations de sécurité officielles du plus haut niveau, ce que le candidat a mis en avant lors de la campagne pour faire la preuve que son passé dans l’élite militaire communiste appartenait réellement au passé.

Apparatchik

Car ce début de parcours d’apparatchik a bel et bien été le handicap le plus lourd pendant la campagne du général en retraite, qui s’est excusé à maintes reprises auprès de ceux qui avaient souffert des pratiques du régime dont il a fait partie.

Petr Pavel en 1983 | Photo repro: Vladimír Mertlík,  'V první linii'/Academia

Petr Pavel est né trois mois après la construction du mur de Berlin, le 1er novembre 1961, à une quinzaine kilomètres du rideau de fer qui séparait la Bavière de la Bohême où il a passé son enfance.

Encarté (comme ses deux parents) en 1985, le parachutiste Petr Pavel n’était pas seulement membre du Parti communiste tchécoslovaque KSČ mais aussi responsable du groupe dont il faisait partie et sa carrière dans l’armée dépendait évidemment de son degré d’implication – élevé, à en croire une de ses lettres de motivation datée de 1987.

Dans le camp occidental

Après 1989, changement de régime et changement d’alliés pour Prague - celui qui continue sa carrière militaire passe de la formation « à la soviétique » à celle prodiguée à Washington par la Defense Intelligence Agency.

Le général Petr Pavel | Photo: Kristýna Maková,  Radio Prague Int.

Dans les années 1990 et 2000, le gradé Pavel suivra d’autres formations dans de prestigieuses institutions britanniques, dont le King’s College de Londres, et perfectionnera son anglais, au détriment du français.

Entre la conférence de 2019 à l’Institut français de Prague et la victoire au deuxième tour samedi, le monde et l’Europe ont été bouleversés, d’abord par la pandémie puis par la folie guerrière russe en Ukraine.

Force est en tout cas de constater qu’en un peu plus de trois ans depuis cette conférence rue Štěpánská, le général en retraite a considérablement amélioré ses talents d’orateur, que ce soit en public, en interview ou lors des débats télévisés de cette campagne électorale menée au final contre un adversaire pour le moins pugnace.

Toujours épaulé par l’ancien diplomate Petr Kolář et par une équipe qui aura réussi une campagne presque sans faute, Petr Pavel a fait de son grade de général une marque mais est aussi passé du treillis et de l’uniforme kaki à la chemise en flanelle, qui est devenue l’un de ses symboles.

Soutenu par plusieurs des formations conservatrices et libérales de la coalition gouvernementale, le militaire de carrière, candidat indépendant, s’est montré pendant la campagne plus progressiste qu’elles sur certains sujets de société et en se prononçant pour la ratification de la Convention d’Istanbul.

« Le père de Tom Cruise »

« Les Tchèques sont en train de faire de leur chef d’Etat le père de Tom Cruise » : la blague sur les réseaux sociaux notait sa ressemblance avec l’acteur sexagénaire hollywoodien, qui n’a en fait que huit mois de moins que le gradé à la barbe bien taillée et la chevelure de la même couleur blanche.

Petr Pavel avec son épouse Eva  | Photo: Michal Krumphanzl,  ČTK

Divorcé de la mère de ses deux fils, Petr Pavel s’est remarié en 2004 avec Eva, rencontrée à la caserne et qui a une fille de son précédent mariage ; ils ont tous les deux quatre petits-enfants en tout.

Le premier déplacement officiel à l’étranger du président Pavel sera bien sûr effectué juste après son inauguration en mars en direction de Bratislava, comme le veut la tradition depuis la séparation entre Tchéquie et Slovaquie. Après ce sera Varsovie, a-t-il indiqué après le faux-pas diplomatique d’Andrej Babiš pendant un de leurs débats télévisés.

Kyiv ensuite ? Après la visite du Premier ministre Petr Fiala qui a été l’un des trois premiers chefs de gouvernement de l’UE à s’y rendre, la venue dans la capitale ukrainienne d’un président ancien dirigeant de l’OTAN ne passerait pas inaperçue.

Paris ? Un jour, sûrement. En attendant, la réception d’Andrej Babiš par Emmanuel Macron juste avant le premier tour a eu du mal à passer. « Si le président français peut recevoir qui il veut et quand il veut, il n'est pas d’usage dans les démocraties décentes d’accepter des candidats à la présidence quelques jours avant les élections », a déclaré Petr Pavel au magazine Respekt avant le deuxième tour.

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