Petr Uhl : « Les murs sont toujours une tentative de diviser »

Petr Uhl

A la veille du 21ème anniversaire de la chute du mur du Berlin était organisée par le Comité international de soutien au mouvement palestinien une table ronde sur le thème de « la liberté plutôt que les murs ». Parmi les invités, l’ancien dissident et signataire de la Charte 77 Petr Uhl.

Petr Uhl, nous commémorons le 21ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. Vous avez participé à cette table ronde sur le thème des murs contre la liberté. Les exemples utilisés sont le mur de Berlin, le mur de la rue Matiční à Ustí nad Labem, le mur construit entre les Etats-Unis et le Mexique et celui érigé entre l’Etat d’Israël et les territoires palestiniens. Peut-on et comment comparer ces quatre murs ?

« Ces murs sont toujours une tentative de diviser, de faire une ségrégation, de séparer, de mieux dominer les territoires qui sont de chaque côté du mur. Et bien sûr, ce n’est pas acceptable de nos jours. Le mur de Berlin pesait beaucoup sur les conditions de vie. Je suis allé de nombreuses fois à Berlin Est parce que j’avais une amie qui vivait là-bas et c’était absurde : cet Etat qui s’appelait la République démocratique allemande n’était pas du tout démocratique, pas tout-à-fait allemand et n’était peut-être même pas une république. On en rigolait à l’époque. Pour nous autres Tchécoslovaques, au mois de novembre 1989, ça a été un encouragement fantastique que le mur de Berlin tombe, puisque nous avons eu même pas deux semaines avant que se mettent en route les évènements qui allaient entraîner la révolution de velours. Pour moi, c’était une dictature bureaucratique et donc la bureaucratie qui dominait les pays de l’Est. Et pour la bureaucratie soviétique comme celles de Berlin, Varsovie, Budapest etc., il était très important de nous séparer par des petits murs. C’était les frontières. On voulait empêcher les contacts entre les gens.

Le mur de Berlin
Les Occidentaux ne le savent pas, mais par exemple, pour les Hongrois, il était plus facile d’aller à l’Ouest et d’y passer huit jours ou même deux ans pour des études que de visiter la Tchécoslovaquie ou la Pologne. Le régime avait pour préoccupation d’empêcher nos contacts mutuels. Alors, nous les dissidents, on se rencontrait dans les montagnes, à la frontière. C’était aussi des murs. Le principe est tombé heureusement, et il faut que je le dise, c’est aussi grâce à l’Union européenne, grâce à Schengen. Bien sûr, c’est égoïste, parce que nous sommes en Europe et il y a des gens ailleurs, mais nous, en Europe, étant citoyens européens, nous nous sentons libres sur le plan du mouvement et c’est très important. »

Vous parlez des frontières entre les pays mais pendant le débat, le mur de la rue Matiční à Ustí nad Labem a aussi été évoqué, qui était un mur à l’intérieur d’un pays, en l’occurrence de la République tchèque. Je rappelle qu’il s’agissait d’un mur construit dans une ville du nord de la Bohême pour séparer les communautés roms du reste des habitants. Petr Uhl vous êtes connu pour votre militantisme dans la lutte contre la discrimination des Roms. Pensez-vous qu’il serait encore possible qu’un mur pareil soit construit aujourd’hui en République tchèque ?

« Malheureusement oui, parce que les forces qui sont représentés par l’extrême droite ou par les groupements xénophobes ou nationalistes comme Le Pen en France, Haider en Autriche ou comme en Hongrie, existent aussi en République tchèque. Mais ce qui est encore pire, c’est que les grands partis soi-disant démocratiques reprennent trop souvent des mots d’ordre xénophobes ou populistes. Nous pouvons craindre des situations où des tentatives de créer des murs pour des raisons xénophobes se réalisent. Le mur d’Ustí Nad Labem était un produit de la xénophobie, de l’anti-tsiganisme et un produit raciste. La France a une histoire de protection des droits de l’homme beaucoup plus riche, mais en y réfléchissant, je ne peux pas exclure que même en France, un mur comme celui-là puisse être construit un jour. »

Vous avez une histoire personnelle avec deux de ces murs, soit avec le mur de Berlin puisque vous avez vécu ici pendant la période communiste, et avec celui de Matiční. Avez-vous une expérience avec les deux autres murs, c’est-à-dire avec celui entre les Etats-Unis et le Mexique et avec celui qui sépare Israël et les territoires palestiniens ?

La barrière de séparation israélienne,  photo: Henry Duval,  Wikipedia
« J’étais en 1998 à Tijuana. J’étais à San Francisco, Los Angeles et San Diego et je suis allé jusqu’à Tijuana. Mais j’ai plus vu les murs économiques, sociaux et culturels et non pas ce mur qui, à l’époque, n’était peut-être pas encore tellement visible. J’étais en Palestine, à Jérusalem et dans les territoires occupés. On a voulu aller à Gaza, en janvier de l’année dernière, c’est-à-dire juste après la guerre à Gaza. J’y ai aussi vu un mur qui était une protection des riches contre les pauvres, des citoyens dont on n’a pas besoin, dont il faut se débarrasser, avec bien sûr un nationalisme pas autant marqué qu’en Europe centrale mais un nationalisme quand même. Alors il fallait dénoncer cette situation. Je suis allé avec la délégation de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et des juristes internationaux. Nous étions une quinzaine et nous étions tous d’accord dans la critique de la politique d’Israël contre les Palestiniens et contre Gaza surtout. »

Que ce soit le mur de Berlin, le mur américain, le mur israélien, ou le mur de Matiční, ces murs ne sont jamais infranchissables et ils ont surtout un rôle politique et symbolique élaboré par ceux qui les construisent. C’est en tout cas ce qu’il est ressorti de ces discussions et ce que vous semblez vouloir dire également...

« Oui, c’est un instrument de force, de violence, contre les droits fondamentaux de l’homme, de l’individu et aussi des groupes de personnes. Parce que les droits de l’homme sont toujours individuels mais toujours aussi collectifs. »