Petra Nevečeřalová, la femme qui murmurait à l’oreille des baleines
Originaire d’Ústí nad Labem, en Bohême du Nord, Petra Nevečeřalová est experte en biologie marine et passionnée par les baleines depuis son plus jeune âge. Elle est aujourd’hui membre d’une équipe internationale de scientifiques étudiant l’évolution génétique des baleines franches australes et passe une grande partie de son temps au bord des côtes sud-africaines pour ses recherches. Au micro de Radio Prague Int., Petra Nevečeřalová raconte ce qui avait déclenché son intérêt pour le plus grand des mammifères marins.
« Je pense que je suis née avec ça. L’un de mes premiers souvenirs date de quand j’étais petite, lorsque ma mère m’a acheté une couverture représentant un phoque jouant au ballon. Je me suis alors toujours demandé quel genre d’animal c’était…
Quelques années plus tard, ma mère m’a acheté des livres sur les animaux parce que j’adorais ça. L’un de ces livres concernait les animaux marins et il y avait un phoque sur une page. J’étais très contente de voir des phoques mais sur la page suivante j’ai vu des dauphins et sur celle d’après des baleines.
J’ai donc rapidement perdu l’intérêt que j’avais pour les phoques et je suis tombée sous le charme des baleines et des dauphins. Un peu plus tard lorsque je suis rentrée à l’école, j’ai commencé à constamment prendre des notes à propos de ces livres sur un petit bloc-notes que je transportais partout afin d’en apprendre plus sur les baleines et les dauphins. C’était donc en moi depuis le début. »
A quel moment avez-vous eu l’opportunité de voir une baleine de vos propres yeux ?
« C’était l’un des plus beaux jours de ma vie. C’était d’ailleurs le jour de mon 17ème anniversaire. On était au Mozambique, au milieu de nulle part, dans un endroit appelé Jangamo. Et c’est là que j’ai vu une baleine à bosse, une mère et son petit. On a réussi à se rapprocher d’eux et c’était vraiment une expérience incroyable. J’ai pris une photo de la mère avec son petit et cette photo est désormais à côté de mon lit. Je me lève donc tous les matins avec cette image de ma première baleine à mes côtés ! »
C’est donc à ce moment que vous avez décidé d’étudier les baleines ?
« Je ne crois pas. Je savais que je voulais travailler avec les baleines depuis que je suis petite et je n’ai jamais eu un rêve différent. J’ai su que ma vie tournerait autour des baleines donc la première rencontre n’était qu’un aboutissement. Un jour je me suis rendue à un festival du film où j’ai pu rencontrer des personnes travaillant avec des baleines à bosse au Mozambique. Je leur ai donc parlé de ma passion et leur ai demandé comment je pourrais rentrer en contact avec des équipes de chercheurs. C’est ainsi qu’un Sud-Africain m’a proposé d’aller au Mozambique.
Quand je suis rentrée chez moi, j’ai dit à ma mère que je devais aller au Mozambique pour voir les baleines. Elle m’a répondu que je n’avais que 15 ans et que je ne pouvais pas aller au Mozambique toute seule. Mais après elle s’est retournée et m’a dit : Tu sais quoi ? Je vais venir avec toi. Et nous sommes parties au Mozambique toutes les deux. Elle a été très courageuse !
J’ai donc eu la chance de voir des baleines deux ans plus tard, à 17 ans. C’est à ce moment que j’ai pu rencontrer et échanger avec des locaux et des équipes de chercheurs. Une fois que vous êtes connectée aux bonnes personnes, tout est plus facile par la suite. C’est donc comme ça que tout a commencé. »
Et vous avez ensuite fait des études de biologie à la Faculté des Sciences de la vie à Prague…
« Pas tout de suite car l’étude des baleines était assez inhabituelle en Tchéquie. L’Université Charles n’était donc pas prête à m’accueillir à l’époque. J’ai étudié à l’Université d’Ústí nad Labem qui m’a permis de me concentrer sur les baleines et je leur en suis très reconnaissante.
J’étais en mesure d’étudier spécifiquement ce sujet, c’est pourquoi mes mémoires de licence et de master sont focalisés sur les baleines franches australes. J’ai ensuite pu poursuivre un doctorat au sein de la Faculté des Sciences à l’Université Charles. »
A quoi ressemblent les recherches sur les baleines de quelqu’un qui vit dans un pays enclavé comme la Tchéquie ? A quelle fréquence allez-vous sur le terrain et dans votre cas au bord de la mer ?
« Mon projet de doctorat est basé sur la recherche ADN. C’est un domaine de recherche appelé écologie moléculaire ou génétique de la conservation, j’ai donc besoin d’aller sur place pour collecter des échantillons pour les analyses ADN.
Dans le cadre de mon projet je vais tous les six mois en Afrique du Sud pendant la saison des baleines car elles sont présentes à cet endroit à une certaine période de l’année.
Elles migrent vers le sud et elles retournent ensuite au nord. Je vais donc en Afrique du Sud à chaque fois qu’elles sont là. »
Pourquoi avez-vous décidé de concentrer vos recherches sur les baleines franches australes ? Quelle est la différence avec d’autres espèces de baleine ?
« Au début c’était une question d’opportunité car ces baleines sont proches de l’Afrique du Sud six mois par an. Mais l’espèce en question joue aussi un rôle.
C’est une espèce non agressive et amicale ce qui la rend plus facile à étudier et à approcher. Le fait que ces baleines perdent beaucoup de peau rend aussi la collecte d’échantillons assez facile.
Voici donc les raisons qui m’ont amenée à concentrer mes recherches sur cet animal. Il y a aussi le fait que cette espèce ne soit pas très connue en Afrique du Sud. »
Pouvez-vous nous partager votre plus belle rencontre avec l’un de ces mammifères géants ?
« J’en ai tellement ! Chaque baleine est différente donc chacune a son propre tempérament, mais je dirais que je les aime toutes. L’une des baleines qui m’a le plus marquée s’appelle Daisy, un baleineau qui est né dans la baie où je vivais, elle adorait notre bateau.
A chaque fois qu’on se trouvait dessus, elle se rapprochait pour dire bonjour. Elle était parfois tellement proche que j’aurais pu la toucher mais il ne faut jamais faire ça car on ne doit pas toucher les animaux sauvages. C’était un beau bébé, j’espère que je la reverrai bientôt ! »
Est-ce compliqué de différencier les baleines entre elles ?
« Parfois elles ont des marques blanches uniques. Les baleines franches australes sont noires mais elles ont souvent un peu de blanc sur la tête. Ce sont des callosités, des plaques de peau épaisses colonisées par les poux.
Ce sont des petits crustacés qui mangent les peaux mortes des baleines. Elles ne leur font pas de mal mais elles créent une tache unique sur chaque baleine. C’est un peu leur empreinte digitale.
Pendant les sessions de recherche, on apprend à différencier les baleines. Au début elles semblent toutes identiques mais petit à petit on apprend à les reconnaître. On leur donne aussi des noms, ce n’est pas quelque chose de scientifique, mais c’est amusant. »
Combien de temps passez-vous sur l’eau pendant vos recherches ? Était-ce difficile au départ de s’habituer à passer autant de temps sur un bateau ?
« Je passais toujours six mois par an sur les côtes. Donc pendant six mois je collectais des échantillons et je consacrais les six autres à l’analyse de leur ADN au laboratoire. On va dire que c’était 50-50, c’était donc super.
Le fait que les baleines soient présentes en Afrique du Sud seulement en hiver posait toutefois problème. Les gens pensent qu’il fait chaud en Afrique du Sud mais ce n’est pas le cas. Il fait plutôt froid là-bas, surtout en hiver. Le plus dur pour moi était donc de m’habituer aux basses températures.
Il faut surtout apprendre à travailler avec les animaux. Vivre dans un pays enclavé ou au bord de l’océan comme l’Australie ne change donc pas grand-chose. La partie la plus compliquée dans mon projet était sûrement les procédures administratives entre l’Union européenne, la Tchéquie et l’Afrique du Sud. »
Et est-ce important de coopérer avec d’autres universités et des personnes originaires d’autres pays dans le cadre de vos recherches ?
« C’est absolument nécessaire. Dans le domaine scientifique en général, surtout de nos jours, vous ne pouvez pas réaliser votre projet tout seul. On coopère donc avec des scientifiques de Nouvelle Zélande, d’Afrique du Sud, d’Argentine, du Chili et d’ailleurs.
Si vous regardez nos dernières publications, vous verrez qu’elles sont souvent produites par plus de 20 co-auteurs donc cela montre que la collaboration est nécessaire. »
Vous êtes sur le point de défendre votre thèse de doctorat à la Faculté des Sciences de l’Université Charles. Quels sont vos plans pour l’avenir ?
« Je vais faire une pause après mon doctorat. Ce projet a duré huit ans et c’était une période significative dans ma vie. Je dois dire que je suis un peu triste maintenant que c’est terminé.
Je dois donc prendre un moment pour réfléchir à ce que je vais faire ensuite. J’ai déjà quelques idées en tête mais j’ai besoin de temps pour mettre tout cela au clair. »
Mais je suppose que vos futurs projets seront toujours liés aux baleines…
« Je l’espère. Je les aime tellement, je ne peux pas vivre sans elles ! »