Plus de 300 « stolpersteines » à Prague en souvenir des personnes déportées

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Le 27 janvier a été proclamée par l'ONU Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste. Une des façons d’honorer la mémoire des personnes déportées et exterminées est de placer des pierres devant leur dernier domicile. Depuis 2008 et la pose de la première de ces pierres à Prague, on trouve aujourd'hui plus de trois cents de ces petites plaques métalliques encastrées dans le sol et commençant par les mots « Ici habitait... ». Radio Prague s'est rendue sur leurs traces.

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Des pierres sur lesquelles on trébuche, pas vraiment, mais qui incitent le passant à s'incliner devant la victime du nazisme et à lire le texte gravé dans la petite plaque métallique en laiton enfoncée dans le sol devant le bâtiment où résidait la personne déportée. Les plaques commémoratives commencent toutes avec les mêmes mots : « Ici habitait », suivis du nom, des dates de naissance et de déportation, et du lieu de la mort. L'idée de rappeler de cette manière la mémoire des personnes déportées et exterminées a vu le jour en 1993. Ces petits dés de béton ou de métal de dix centimètres de côté, les dites « stolpersteines », sont une création de l'artiste berlinois Günter Demnig, ce qui explique l'origine de cette expression qui signifie « pierre d'achoppement » ou « pierre sur laquelle on peut trébucher ». En République tchèque, les premières pierres ont été posées en 2008 à Prague et à Kolín, raconte Bianca Lipanská, représentante tchèque du projet « Les pierres des disparus » :

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« Je pense qu'il y en a en ce moment près de 300 à Prague, d'autres se trouvent à Brno, Olomouc, Ostrava, Třeboň. Le premier pavé de mémoire vient d'être installé à Český Těšín et d'autres se trouvent également dans des petites villes et communes comme Kostelec et Neratovice. »

Ces pierres commémoratives ne sont pas dédiées uniquement aux victimes juives de l'Holocauste, comme l'observe Bianca Lipanská :

« Elles honorent la mémoire des personnes pourchassées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale : Juifs, Roms, Sinté, ennemis politiques, membres de la résistance, homosexuels, etc. Ainsi, l'année dernière, a été scellée à Prague une pierre à la mémoire d'un combattant et membre du mouvement Sokol. »

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Les victimes de l'Holocauste se comptent par millions. Avant la fin de 2013, plus de 30 000 pierres commémoratives avaient été installées en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Hongrie, en Pologne et en République tchèque. Bianca Lipanská explique comment se passe la recherche des personnes déportées auxquelles une pierre est ensuite dédiée :

« Nous sommes contactés par les proches des personnes déportées et assassinées. Ces personnes n'ont souvent pas de tombe et leurs familles souhaitent avoir un endroit où elles pourraient se souvenir d'elles. Parmi les demandes que nous recevons, il y a des noms de personnes inconnues, ainsi que d’autres plus connues, comme la famille pragoise des Winternitz à la mémoire de laquelle des pierres ont été récemment posées devant leur villa. »

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Le plus grand nombre de plaques se trouve dans la vieille cité juive de Prague, où on les appelle aussi les pierres des disparus, en lien avec le projet du Musée juif intitulé « Les voisins disparus ». Souvent, les « stolpersteines » sont scellées dans les trottoirs en faisceau, pour que les membres des familles exterminées se retrouvent ensemble de cette manière. Ainsi, il n'est pas rare de trouver à Prague trois ou quatre pavés de mémoire devant un même immeuble. C'est le cas justement de la famille Winternitz : Josef, docteur en droit, déporté à Terezín en 1943 et mort un an plus tard à Auschwitz, son fils Petr a subi le même sort, ainsi que Štěpán Michael et Lore Winternitz déportés tous les deux en 1942 et assassinés en 1944 à Auschwitz. Leur seul crime : être né juif.

Günter Demnig,  photo: ČT24
Depuis la naissance de l'idée des « stolpersteines » en 1993, les pierres sont produites par le fondateur du projet, Günter Demnig. Les plus de 33 000 plaques commémoratives créées jusqu'à ce jour ont toutes été faites à la main, par respect pour les victimes, car ces pierres rappellent leur destin, souligne Bianca Lipanská :

« Günter Demnig et son équipe fabriquent ces pierres dans leur atelier à Berlin. Chaque pièce est faite à la main, chaque nom est gravé séparément. »

En novembre 2005, l'ONU a proclamé le 27 janvier, jour de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz, « Journée de commémoration en mémoire des victimes de l'Holocauste. » Pourquoi si tard, 60 ans après la fin de la guerre ? L'historien du Musée juif Michael Frankl essaie d'expliquer :

Michael Frankl | Photo: Radio Prague Int.
« Cela est lié dans une certaine mesure à l'héritage de la Guerre froide qui ne permettait pas de procéder à une réflexion approfondie des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l'Holocauste. Après une amélioration passagère dans les années 1960, il a fallu attendre les années 1990 pour que la réflexion et les tentatives de s'acquitter du passé s’intensifient. Aujourd'hui, Auschwitz, et le rappel de sa libération le 27 janvier 1945, est le symbole de la mémoire commune entre l'Ouest et l'Est, autrefois communiste. »

Le 20 janvier, 72 ans se sont écoulés depuis la conférence de Wannsee, lors de laquelle les hauts responsables du Troisième Reich ont décidé de l'organisation administrative, technique et économique de la solution finale à la question juive. Depuis quand le monde était-il au courant de ce qui se passait dans les camps nazis ? Michael Frankl :

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« Depuis déjà les années 1930, le monde était relativement bien informé, quoi que sans plus de détails, de la situation dans les usines de la mort. On savait que Dachau et d'autres camps de concentration étaient des lieux extrêmement dangereux. On a su, à partir des années 1939-1940, que les Juifs polonais mourraient dans des ghettos. En ce qui concerne l'extermination systématique du peuple juif, les nouvelles ont commencé à parvenir en Occident à partir de 1942. »

Commémorée le 27 janvier à plusieurs endroits de République tchèque dont le Sénat, la Journée du souvenir des victimes de l'holocauste a été l'occasion de rendre hommage aux 80 000 victimes tchèques de la Shoah. Au moment de la création du Protectorat de Bohême-Moravie, 120 000 Juifs vivaient sur son territoire...