Politique, justice, affaires : l’arrestation du lobbyiste Ivo Rittig pour mieux comprendre la mafia pragoise

Ivo Rittig, photo: ČTK

Ils sont surnommés « les parrains » par les médias. Ils, ce sont Roman Janoušek et Ivo Rittig, deux des plus influents lobbyistes en République tchèque. Proches de l’ODS, le parti civique démocrate de l’ancien Premier ministre Petr Nečas inculpé en début de semaine, les deux hommes sont bien connus pour être depuis plusieurs années à la tête d’un vaste tissu de corruption dans les plus hautes sphères de la politique, du milieu des affaires et de la justice du pays. Jeudi, la police a arrêté Ivo Rittig.

Ivo Rittig,  photo: ČTK
Pour se faire une petite idée du mode de fonctionnement de la justice tchèque il y a peu encore, il suffit de prendre en considération l’information suivante : d’abord annoncée par un site d’information, puis reprise par la Télévision tchèque, l’arrestation d’Ivo Rittig a été confirmée par un de ses avocats. Quoi de plus normal, nous direz-vous ? Sauf que cet avocat est Vlastimil Rampula, qui n’est rien moins d’autre que l’ancien président du ministère public de Prague. Or, c’est justement Vlastimil Rampula qui, avant son limogeage de ses fonctions, était chargé de veiller au bon avancement des enquêtes menées sur des affaires mettant en cause Ivo Rittig. Vlastimil Rampula et son adjoint, Libor Grygárek, qui, lui, fait actuellement l’objet d’une enquête précisément pour son évidente passivité dans certaines affaires impliquant quelques-uns des lobbyistes les plus influents du pays. Le ministère de la Justice étant chargé de nommer les présidents des ministères publics, on imagine ainsi mieux à quel point politiques, juges et hommes d’affaires sont de connivence. Pour évoquer ce système en vase clos, les journalistes tchèques bien informés parlent parfois d’une pieuvre, en référence à la mafia italienne.

Vlastimil Rampula,  photo: ČTK
Malgré tout, les choses semblent évoluer un peu plus positivement ces derniers temps. Les longs tentacules de cette pieuvre tendent même à se raccourcir, concrètement depuis la nomination, en juillet 2012, de Lenka Bradáčová présidente du ministère public de Prague. Juriste réputée pour être intransigeante et incorruptible, « Madame antimafia » a donc succédé à Vlastimil Rampula. A l’époque, sa nomination avait fait naître l’espoir de voir apparaître une plus grande indépendance du ministère public supérieur vis-à-vis du pouvoir exécutif. Et un peu plus d’un an et demi plus tard, même les plus pessimistes des observateurs sont bien obligés de reconnaître que quelque chose est effectivement, peut-être, en train de changer en République tchèque.

Jeudi, Lenka Bradáčová était donc au cœur de l’attention. La procureure générale a expliqué pourquoi Ivo Rittig et trois autres personnes ont été arrêtées :

Lenka Bradáčová,  photo: ČT24
« Tous ont été accusés de blanchiment d’argent. Leur inculpation leur a été signifiée par la Brigade de lutte contre la corruption et la criminalité financière en coopération avec la Brigade de lutte contre le crime organisé. »

Dans les faits, Ivo Rittig, arrêté à Prague mais qui vit l’essentiel du temps à Monaco, est impliqué dans l’affaire de la société des transports en commun de Prague, à laquelle l’impression des tickets de voyage était facturée à un prix surévalué. La moitié du prix de chaque ticket était en effet envoyée par la société d’impression à une autre société de conseil siégeant aux Iles vierges, un paradis fiscal, avant que l’argent ne revienne sur le compte d’Ivo Rittig. Selon la presse tchèque, les premières arrestations de ce jeudi et cette première affaire pourraient ne constituer qu’un début.

Ivo Rittig est soupçonné, comme quelques autres lobbyistes présentés comme des « gros poissons », d’avoir été partie-prenante de la majorité des contrats et affaires douteux conclus depuis plus de dix ans à Prague, où l’ODS, principal parti de droite du pays jusqu’aux dernières élections législatives, a régné en maître absolu pendant de très longues années…