Prague et ses « salles obscures » à travers le temps
« Lucerna », « Aero » ou « Bio oko »… Très peu nombreux sont aujourd’hui les cinémas pragois d’autrefois qui ont survécu au développement de la télévision et aux changements urbanistiques de la ville. Pourtant, dans les années 1920 et 1930, leur âge d’or, la capitale tchèque comptait plus de cent salles obscures. Qui a ouvert le tout premier cinéma à Prague ? Et où se trouvaient les salles les plus luxueuses ? Inspirée d’une exposition intitulée « Les cinémas pragois : la magie éphémère des salles obscures », actuellement à découvrir au Musée de la ville de Prague, Radio Prague vous invite à voyager dans le temps et dans l’espace tout au long de cette rubrique.
Une visite guidée dans le quartier de Žižkov
Il fait froid et les rues s’assombrissent en ce jeudi soir hivernal. Six personnes attendent devant le bâtiment du Musée de la ville de Prague les auteurs de l’exposition, Tomáš Dvořák et Jan Rousek. En leur compagnie, nous nous rendons ensuite dans le quartier de Žižkov :« Bonsoir, je vous souhaite la bienvenue à cette promenade qui nous mènera sur les traces des salles de cinéma de Prague. Nous sommes heureux de pouvoir entamer cette balade devant un de ces cinémas classiques qui ont conservé leur fonction initiale, à savoir le cinéma ‘Aero’. Cette salle a été inaugurée en 1933. Initialement, le bâtiment avait été conçu pour des employés du ministère de l’Intérieur. C’est la raison pour laquelle on a voulu, à un moment donné, rebaptiser le cinéma et lui donner le nom de ‘Stráž’ (la ‘Garde’ en français, ndlr). Mais ce projet a finalement été abandonné et le cinéma s’appele toujours ‘Aero’. »
Comme l’explique ensuite Jan Rousek, « Aero » devient, en 1949, un des cinémas pragois les plus importants, car il propose des premières de films du monde entier. Ces projections solennelles se déroulent en présence des grandes vedettes de l’époque, comme par exemple le sex-symbol Lída Baarová.Aero est le seul parmi tous ceux que nous découvrons lors de notre petite visite guidée qui est toujours resté bien vivant. Pourtant, plus d’une dizaine de salles existaient auparavant rien que dans le quartier de Žižkov, chacune avec une capacité d'accueil de quelque 600 personnes…
1920 et 1930 : l’âge d’or des cinémas pragois
Une multitude de cinémas, certains plus luxueux, d’autres moins somptueux et meilleur marché afin d’être accessibles à toutes les couches sociales, se trouvaient un peu partout dans la ville. Selon Tomáš Dvořák, du Musée de la ville de Prague, on en dénombre pas moins de 250 tout au long du XXe siècle:
« Le plus grand nombre de cinémas a existé à Prague dans les années 1930. Il y en avait alors environ 110. Mais même au fil du temps, Prague a longtemps compté entre 80 et 100 salles obscures. C’est un chiffre relativement important. Dans les années 1920, comme la télévision n’existait pas encore et que les cinémas étaient le seul type de divertissement audiovisuel, la situation était plus ou moins analogue dans d’autres villes. Mais dans les années 1950, 60 ou 70, on peut dire qu’il y en avait vraiment beaucoup … »
Mais revenons au tout début. Le premier film a été projeté à Prague en octobre 1896, il y a donc à peu près 120 ans de cela. L’exposition « Les cinémas pragois : la magie éphémère des salles obscures » est conçue justement pour célébrer cet anniversaire qui rappelle la présentation du cinématographe, une découverte révolutionnaire, au public tchèque. Tomáš Dvořák poursuit :
« Nous sommes là devant une carte de Prague en 1908. Nous y avons indiqué la situation en 1909; il y avait alors quinze cinémas permanents. Le tout premier a été ouvert en 1907, rue Karlova, dans le centre-ville. Il s’agissait d'un cinéma fondé par Viktor Ponrepo (de son vrai nom Dismas Šlambor). Puis d’autres salles ont vu le jour. Parmi elles, citons notamment le cinéma ‘Lucerna’ sur la place Venceslas, qui a été ouvert en 1909. Avant la Première Guerre mondiale, les cinémas se trouvaient surtout dans le centre-ville, sur la place Venceslas et dans les rues avoisinantes, et notamment dans l’actuelle rue Národní třída. Mais on trouve aussi quelques salles par exemple dans le quartier de Žižkov, comme le ‘cinéma de Weiss’ ou d'autres cinémas dont nous exposons des affiches, à savoir de ‘Deutsch’ et de ‘Karafiát’, qui étaient situés respectivement dans les quartiers de Libeň et de Vysočany. »Ce sont toutefois bien les années 1920 et 1930 qui sont aujourd'hui considérées comme l’âge d’or des cinémas tchèques :
« Des dizaines de nouvelles salles ont alors été créées à Prague. Sur la place Venceslas, par exemple, les cinémas ‘Blaník’, ‘Pasáž’ ou ‘Adria’ ont été ouverts. Il ne faut pas oublier le cinéma ‘Flora’ dans le quartier de Vinohrady. Toutes ces salles disposaient de plus de 1 000 places. En plus, ces cinémas étaient souvent très bien équipés avec un café, un foyer de luxe, des escaliers décorés… Bref, c’étaient des bâtiments semblables à des théâtres. Il ne s’agissait plus du tout de culture populaire dans des gymnases ou dans des auberges. Ces bâtiments étaient conçus pour émerveiller le spectateur. »Les cinémas pragois aujourd’hui
Une autre période a elle aussi été très favorable aux cinémas à Prague : les années 1950 et 1960, suite notamment à la création de la Société des cinémas de la ville de Prague, une organisation qui regroupait toutes les salles de cinéma existantes dans la capitale et permettait aux plus petites d'entre elles de bénéficier de subventions de la part de celles qui étaient plus lucratives. Tomáš Dvořák présente d’autres raisons de la popularité du cinéma à cette époque :
« La programmation de la Télévision tchécoslovaque était assez limitée. Il n’existait que deux chaînes qui ne proposaient pas autant de films que les cinémas. Et puis les billets n’étaient pas chers. Un Pragois ordinaire pouvait se permettre d'aller au cinéma à peu près deux fois par semaine. Il faut aussi se rendre compte qu'il n'y avait pas un poste de télévision dans chaque foyer. La télévision n'a pris une place de plus en plus importante dans la vie des gens qu'à partir des années 1970 et 1980. »La plupart des cinémas pragois « classiques » ou traditionnels ont disparu dans les années 1990 et 2000, d’une part à cause du développement des cassettes vidéo et de la possibilité de regarder les films chez soi, d’autre part en raison de l’arrivée en République tchèque de grands réseaux de cinémas multiplexes. Seules quelques salles ont ainsi survécu jusqu’à aujourd'hui. Outre « Aero », dans le quartier de Žižkov, et « Lucerna », un grand cinéma situé dans le palais éponyme sur la place Venceslas, il s’agit également de « Světozor », apparu en 1918 et rénové en 1957, lui aussi à proximité de la place Venceslas, et de « Bio Oko », une salle construite en 1940 dans le quartier de Holešovice.
Ces dernières années cependant, différentes initiatives visant à la réouverture de certaines de ces salles longtemps considérées comme définitivement abandonnées ont été entreprises. Ainsi, les cinémas « Kino Pilotů », dans le quartier de Vinohrady, « Ořechovka », dans le VIe arrondissement de Prague, ou encore le légendaire « U Hradeb », fondé en 1964 près du Pont Charles, rue Mostecká, et qui jusqu’en 1989 était considéré comme la salle la plus moderne de la ville, ont rouvert leurs portes. A noter également la résurrection partielle du plus vieux cinéma de Prague, le célèbre « Ponrepo » qui, tout en conservant son appellation d'origine, se trouve aujourd’hui toutefois dans la salle d’un autre ancien cinéma, le « Konvikt ». Tomáš Dvořák explique ce qu'il est advenu des autres salles obscures :« Dans certaines d'entre elles, nous pouvons observer une tendance spécifique : il s’agissait souvent de salles de théâtre transformées en cinémas. Et il y en a aujourd’hui leur fonction initiale de salles de théâtre. C’est le cas par exemple du cinéma ‘Blaník’ sur la place Venceslas ou de l’actuel théâtre de ‘Broadway’. »Quant aux cinémas au sort « moins heureux », ils servent aujourd’hui de salles de bowling, de dépôts ou encore de bureaux… La plupart d’entre eux étant devenus inaccessibles du public, ils revivent donc en quelque sorte, jusqu’au 5 février prochain, grâce à ladite exposition. Leur histoire et des photos d’archives sont également présentés dans un livre écrit par Tomáš Dvořák et Jan Rousek et dont le titre ne pouvait être autre que « Les cinémas pragois ».